Projet pétrolier à Terre-Neuve-et-Labrador

Un nouveau Trans Mountain ?

Le gouvernement fédéral s’apprête à prendre une décision qui nous en dira long sur le sérieux et la cohérence de son engagement contre la crise climatique. S’il approuve le projet de forage pétrolier de Bay du Nord, au large de Terre-Neuve-et-Labrador, cela démontrera qu’il n’a rien appris de l’acquisition de l’oléoduc Trans Mountain en 2018.

Le projet de forage en mer produirait environ 300 millions à 1 milliard de barils de pétrole sur un horizon de 30 ans. Cela entraînerait l’émission d’au minimum 430 millions de tonnes de CO2 eq., ce qui équivaut aux émissions de gaz à effet de serre (GES) de huit centrales électriques au charbon ou à l’ajout de 7 à 10 millions de voitures sur nos routes.

Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, doit faire une mise à jour concernant ce projet pétrolier le vendredi 4 mars. Selon les échos qui nous parviennent d’Ottawa, même si c’est ce dernier qui portera le fardeau de la décision finale, le cabinet de Justin Trudeau serait très divisé au sujet du projet de Bay du Nord.

Entre de potentielles retombées économiques et les réelles conséquences climatiques, le cabinet hésite.

Incohérence et aveuglement

Dans la foulée de la publication du nouveau rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) plus tôt cette semaine, dire oui à Bay du Nord apparaît davantage comme du laxisme et un aveuglement qui enfermeraient le Canada dans l’exploitation du pétrole pour encore des décennies, tout en mettant à risque les communautés locales, la faune et la flore marine d’un déversement ou autre accident.

Alors que ce même gouvernement vient de rejeter le projet d’exportation de gaz fossile de GNL Québec à cause des effets négatifs qu’il aurait eus sur le climat et la biodiversité marine, comment ne pas appliquer la même logique au projet de Bay du Nord à peine quelques semaines plus tard ?

C’est ce genre d’incongruités qui mine la crédibilité de ce gouvernement en tant que pseudoleader climatique depuis son arrivée au pouvoir en 2015. Malgré de nombreuses bonnes décisions et des avancées concrètes, les décisions les plus incohérentes pèsent toujours lourd dans la balance.

Avec une approbation de Bay du Nord, les prétentions vertes du fédéral deviendraient encore plus dures à défendre devant les provinces qui font des gestes pour faire avancer la transition énergétique, comme le Québec qui s’apprête à mettre fin à l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures.

Pour en finir avec les ultimatums

Comment pouvons-nous donc sortir collectivement de ce psychodrame qui se joue autour de chaque projet du genre ?

Il faut arrêter de présenter les projets d’énergies fossiles, comme celui de Bay du Nord, comme l’unique solution pour sauver une économie locale en difficulté.

Terre-Neuve-et-Labrador se trouve justement devant cette situation économique difficile entre autres parce que les gouvernements ont trop misé sur le pétrole dans les dernières décennies. Elle s’est ainsi exposée aux aléas de ce marché.

Bâtir une économie résolument orientée vers le futur et s’affranchir de la dépendance à l’économie des énergies fossiles devrait être une priorité.

Le gouvernement fédéral a le pouvoir et le devoir de faciliter cette transformation de l’économie afin qu’elle soit moins polluante. Il doit non seulement refuser le projet de Bay du Nord, mais surtout présenter rapidement un plan crédible, juste et ambitieux de transition pour les travailleurs, les travailleuses et leur communauté. Ce type de financement ne serait pas de refus dans le prochain budget. Un exemple ? Le fonds de l’avenir pour la diversification promis en campagne électorale doit impérativement voir le jour.

La population de Terre-Neuve-et-Labrador, dont une importante proportion appuie d’ailleurs une transition verte et juste, doit pouvoir compter sur les ressources financières et le soutien nécessaire afin de développer des projets économiques durables, porteurs d’avenir et compatibles avec un environnement sûr et sain.

* Cosignataires : Charles Bonhomme, spécialiste des affaires publiques à la Fondation David Suzuki ; Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec ; Eric Pineault, président du comité scientifique de l’Institut des sciences de l’environnement, UQAM ; Angela Carter, professeure agrégée au département de sciences politiques à la Balsillie School of International Affairs de l’Université de Waterloo ; Patricia Clermont, coordonnatrice de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME) ; Jean Philippe Sapinski, professeur d’études de l’environnement à l’Université de Moncton ; Simon Guiroy, coordonnateur/porte-parole du Front étudiant d’action climatique-FÉDAC ; Conor Curtis, coordinateur des communications numériques à la Fondation Sierra Club Canada et chercheur sur la politique de changement climatique de Terre-Neuve-et-Labrador ; Carole Dupuis, porte-parole du Mouvement écocitoyen UNEplanète ; Gabrielle Spenard-Bernier, coordonnatrice du mouvement Mères au front ; Rébecca Pétrin, directrice générale d’Eau Secours ; Yves Mailhot, Comité de citoyens responsables de Bécancour

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