Faire sa transition sociale pendant l’été

Louis-Félix a quitté la garderie en juin et entrera en tant que Lou à la maternelle dans quelques jours. Appuyée par sa famille, elle a choisi cet été de faire un pas de plus dans l’affirmation de son genre, en s’affichant publiquement comme fille.

Pour Karine Gagnon, la mère de Lou, l’aboutissement de la transition sociale de son enfant pendant la période estivale était une décision logique.

« Nous n’avions pas d’idée préconçue sur comment cela allait se passer, dit la Saguenéenne de 41 ans, mère de trois enfants. Mais il semble que pour elle, c’était le bon moment. Elle voulait repartir sur de nouvelles bases en arrivant à l’école. Même si elle est jeune, elle sait où elle s’en va. C’est très clair pour elle. »

Mme Gagnon raconte avec émotions le parcours de sa fille, un parcours unique et singulier, comme celui de toutes les personnes transgenres, jeunes ou moins jeunes.

Dès l’âge de 2 ans, Lou (alors Louis-Félix) avait une propension à bouder les jouets de son frère et à se tourner plutôt vers ceux de sa sœur aînée. « Elle aimait aussi les vêtements de sa sœur et la danse », indique Mme Gagnon.

À ses 3 ans, à la maison, elle enfile des vêtements associés au genre féminin, des robes, des jupes, des froufrous… Et à 4 ans, elle confie à sa mère que « dans son corps, elle est un garçon », mais que « dans son cœur, elle est une fille ».

Un jour, Lou a voulu aller à la garderie avec sa nouvelle robe. Elle souhaitait la montrer à son éducatrice et à ses amis.

« Nous, les parents, nous n’étions pas prêts, avoue Mme Gagnon, mais ce fut un moment déterminant. Les yeux qu’elle avait ! Elle était lumineuse, très heureuse et enjouée ! C’était magique. »

Une démarche profonde

Les parents sont alors convaincus que la démarche de Lou, aujourd’hui âgée de 5 ans, n’est pas seulement « une passe », mais que c’est « beaucoup plus profond et ancré ».

Après un rendez-vous avec le pédiatre de l’enfant, la famille fait appel à une travailleuse sociale puis à un organisme local axé sur la diversité et l’inclusion des membres de la communauté LGBTQ+.

En juin dernier, en vue de sa rentrée à l’école, la famille rencontre la direction et les intervenants scolaires, incluant une psychologue, une sexologue et une orthopédagogue.

« L’école nous a bien accueillis. J’ai senti que nous avions tous le même but, soit d’aider et de soutenir Lou et également d’informer, de prévenir et de sensibiliser. On fait ça pour elle, pour la protéger. »

— Karine Gagnon, mère de Lou

Au centre de services scolaire, le prénom a été modifié : ce sera Lou. Et qu’en est-il au bureau du directeur civil, où on peut changer officiellement de prénom ? « On ne fait rien de drastique, rien de précipité, indique Karine Gagnon. Lou va vieillir et elle décidera si elle souhaite changer définitivement son prénom. On veut respecter son rythme. »

Un parcours unique

Respecter le rythme de l’enfant. Voilà la clé pour bien accompagner son enfant en recherche ou en transition identitaire, croit Annie Pullen Sansfaçon, professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles.

« L’été peut aider certains jeunes dans leur parcours de transition sociale, explique-t-elle, s’ils ne veulent pas que ce soit public, par exemple. Cela peut être un moment qui convient bien, particulièrement lors d’étapes importantes, entre le primaire et le secondaire, ou entre le secondaire et le cégep. »

Elle tient à préciser que chaque personne qui entreprend un parcours de transition du genre, qu’elle soit sociale, médicale ou légale, a une façon bien à elle de le faire. Il n’y a pas de moment privilégié ou propice pour le faire… sauf celui qui convient à la personne qui le vit.

« Chaque personne est unique, dit Mme Pullen Sansfaçon. Cela va dépendre de ses besoins, de son environnement et de l’ouverture du milieu. »

Pas d’étiquette

Samuel*, un garçon trans de 20 ans, a aussi choisi l’été pour franchir une étape importante de sa transition : il a commencé à prendre de la testostérone, une hormone prescrite par son médecin, alors qu’il changeait de ville et d’établissement collégial.

« Je suis suivi au Centre de Santé Meraki, souligne-t-il. Ça fait maintenant un an que je prends des médicaments qui modifient ma voix et mon apparence. »

Pourquoi le faire à l’abri des regards ? « Parce qu’être transgenre ne me définit pas, répond celui qui a aussi profité de la pause estivale pour refaire sa garde-robe. Je ne veux pas banaliser ce que je vis… mais en même temps, je ne veux pas d’étiquette. »

La cadence

Sexologue auprès des enfants et des adolescents, Stéphanie Houle accompagne depuis 15 ans de jeunes transgenres. Selon elle, non seulement le respect du rythme de la personne qui vit la transition est important, mais aussi la cadence – et elle peut être très variable.

« Certains en parlent à leurs amis et font les choses tranquillement, glisse-t-elle, et d’autres y vont très rapidement. Ils ne font pas les mêmes choix, pas dans le même ordre, ni de la même façon ou au même moment. »

Geneviève Fournier, psychoéducatrice dans l’un des plus grands centres de services scolaires du Québec, a été la personne-ressource pour une vingtaine de jeunes transgenres. Elle constate que l’été est souvent un beau tremplin.

« La transformation est d’abord intérieure, dit-elle. Lorsque la personne est prête, elle va d’abord s’ouvrir à son cercle proche. En ce sens, l’été offre huit semaines d’introspection, de réflexion… L’été apporte un beau vent de fraîcheur et de renouveau. Certains décident de vivre une rentrée scolaire qui ressemble à leur été… et qui leur ressemble. »

C’est ce que Lou a fait : pendant l’été, elle a averti ses amis qu’elle voulait désormais se faire appeler par son nouveau prénom, et que le pronom « elle » soit utilisé pour la désigner.

Elle leur a précisé du même coup, selon sa mère : « tu sais, ce n’est pas grave si tu te trompes ».

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