Des murs qui ressuscitent

Hubert Sacy est un véritable turbo. Après une trentaine d’années à la tête d’Éduc’alcool, l’homme met aujourd’hui son énergie légendaire au service d’une multitude de conseils d’administration et d’organismes communautaires. Il m’en a fait la liste et j’étais étourdi.

Mais il lui fallait plus encore. Un projet qui allierait son amour du patrimoine et ses élans créatifs. Il a trouvé tout cela entre les murs de l’église Sainte-Madeleine d’Outremont.

Ce lieu, qui souffre de la flamboyance de ses consœurs Saint-Viateur et Saint-Germain, cache de véritables trésors. Les fidèles qui assistent aux messes savent-ils que sous la peinture insignifiante des murs et des plafonds sommeillent de splendides tableaux et œuvres murales du peintre d’origine italienne Guido Nincheri ?

Surnommé le « Michel-Ange de Montréal », cet artiste, débarqué à Montréal en 1914, a décoré plusieurs églises du Québec, dont Saint-Léon de Westmount, Saint-Viateur, Notre-Dame-de-Grâce, Saint-Jean-Baptiste, Saint-Rédempteur, mais aussi d’autres lieux comme le Château Dufresne.

Il est aussi l’auteur des œuvres murales de l’église Notre-Dame-de-la-Défense, dans la Petite Italie. Un des tableaux de l’abside a ceci de particulier qu’il offre la présence de Mussolini. L’artiste, qui a étudié la peinture à Florence, a illustré le traité entre le Saint-Siège et l’Italie signé par le fondateur du fascisme et le pape en 1929.

Accusé de fascisme au début de la Seconde Guerre mondiale, Nincheri a été interné comme d’autres compatriotes à Petawawa. Sa femme a réussi à le faire libérer au bout de trois mois en prouvant, croquis à l’appui, que son mari avait été forcé d’ajouter la figure de Mussolini dans son œuvre murale.

En 1924-1925, au moment de construire Sainte-Madeleine d’Outremont, on a évidemment pensé à lui pour décorer les lieux. « Sainte-Madeleine était en quelque sorte la paroisse des prolétaires d’Outremont, explique Hubert Sacy. Elle était surtout fréquentée par des ouvriers, notamment les travailleurs qui ont construit le chemin de fer de la gare de triage. »

De 1932 à 1934, Nincheri a peint les murs et les plafonds de Sainte-Madeleine. Dans le transept nord, il a créé une série de tableaux installés selon la technique du marouflage (toile collée au mur). Il a aussi conçu un ensemble de vitraux d’une beauté à couper le souffle qui, fort heureusement, ont résisté au temps.

« Il faut le dire, le résultat était magnifique, mais plutôt chargé », ajoute Hubert Sacy.

Une trentaine d’années après la réalisation de l’œuvre de Nincheri, l’Église catholique a connu une véritable révolution avec la tenue d’un concile œcuménique au Vatican communément appelé Vatican II. De 1962 à 1965, des centaines de membres influents ont réfléchi à des moyens de rapprocher cette religion de ses fidèles qui vivaient alors un énorme progrès social.

Plusieurs changements ont été apportés et une vision plus épurée et plus proche des fidèles a émané de cela. Les églises qui furent construites par la suite ont alors connu un style beaucoup moins ostentatoire que celles du XIXe siècle et du début du XXe siècle.

Cette recherche de simplicité a frappé l’église Sainte-Madeleine lorsqu’on a décidé de recouvrir tous les murs et les plafonds d’une couche de peinture blanche qui a effacé du même coup l’œuvre de Guido Nincheri. Seul le tableau Madeleine au pied de la croix, qui se trouve derrière le maître-autel, a été épargné.

Fait intéressant : c’est la femme de Nincheri, Giulia, qui a servi de modèle pour la représentation de Madeleine. Le peintre a aussi utilisé ses enfants et ses neveux pour imaginer certains anges. Il a même offert son propre visage à Judas dans l’un de ses tableaux.

Après avoir été dissimulés pendant six décennies sous une lamentable peinture qui hésite entre le blanc et le beige, voilà que certains tableaux de Guido Nincheri respireront de nouveau. Et cela devrait se faire d’ici à trois mois. Des échafaudages ont été montés. Une première équipe s’affaire depuis deux semaines à nettoyer les surfaces. Des experts en restauration prendront le relais dans 15 jours.

C’est par un minutieux travail de grattage que les œuvres de Nincheri (protégées par un vernis) vont ressusciter.

Pour le moment, trois œuvres situées dans le transept nord-ouest ont été ciblées : La résurrection de Lazare, Jésus chez Marthe et Marie dans la région du Jourdain, de même que Saint Antoine Daniel et saint Noël Chabanel.

Les travaux de restauration sont évalués à environ 175 000 $. Grâce à la générosité de nombreux donateurs, près de 135 000 $ ont été amassés. Il manque environ 40 000 $ pour compléter le budget.

Pour atteindre cet objectif, Hubert Sacy a eu l’idée de créer une série de manifestations qui ont comme point commun de mettre en valeur la culture italienne. Du 25 février au 26 mars, cinq évènements-bénéfices se dérouleront avec la collaboration de plusieurs partenaires, dont le Consulat général d’Italie.

Ainsi, on profite de la présence du contre-ténor Luigi Schifano, qui sera de la distribution d’Ainadamar à l’Opéra de Montréal, pour organiser un récital qu’il offrira le 24 mars en compagnie de l’organiste Andrea Cohen. Un autre public préférera peut-être le spectacle du groupe florentin Tempo Reale Electroacoustic Ensemble le 14 mars.

On le sait, le sort de notre patrimoine prend parfois des allures de film d’horreur. La protection de ces traces du passé qui est le nôtre a besoin de batailleurs comme Hubert Sacy. C’est grâce à eux qu’on arrive à pouvoir dire « je me souviens ».

Il ne reste qu’à souhaiter que les murs sur lesquels vont bientôt revivre les œuvres de Guido Nincheri restent debout encore longtemps. Ça, c’est une autre histoire.

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