Réflexion

Pâques, printemps de l’âme

Nous revoici à Pâques, environ un an après l’avoir fêtée en mode mineur, en plein traumatisme d’une pandémie révélant en nous des angoisses insoupçonnées. Cette année, les églises peuvent accueillir jusqu’à 250 personnes, ce qui permet des célébrations pascales plus étoffées.

Mais au-delà de cet aspect pratique et religieux, comment profiter du « printemps de l’âme » que prétend offrir cette fête ? Que l’on soit croyant ou non, après l’hiver affectif qu’on vient de traverser, un peu de résurrection n’est assurément pas de refus.

Récemment, j’ai lu à mon fils de deux ans et demi un charmant petit livre d’Élise Gravel dans lequel un enfant s’improvise dictateur tout-puissant. Il joue à « c’est moi qui décide ! » (le titre même de l’ouvrage) et exige donc que l’un de ses parents lui fournisse, « tout de suite », un château en chocolat, un avion « qui vole pour vrai », un robot qui crache du feu, etc.

Son parent, amusé et patient, lui répond chaque fois : « Non, je ne peux pas te donner telle chose. » Jusqu’à ce que l’enfant manifeste sa frustration devant ces refus répétés. En larmes, il réclame alors un câlin. Qui est immédiatement accordé avec grande joie, évidemment !

J’ai refermé le livre avec un sourire aux lèvres, tout comme mon fils qui était ravi par le retournement de situation… et par les câlins de son père.

Quant à mon sourire, il découlait davantage du fait que je voyais dans cette petite histoire illustrée, accessible aux plus jeunes enfants, une merveilleuse expression à la fois de la prière et de notre fantasme de maîtrise absolue sur les évènements.

De la prière : rien n’est consenti à celui qui prétend savoir ce qu’il veut, sauf l’amour qui, lui, l’est toujours, accordé, et en abondance.

De notre fantasme de contrôle : la réalité se moque bien souvent de nos plans et de nos désirs.

D’ailleurs, la dernière année de confinement fut éloquente sur ce point : on ne peut pas toujours faire ce que l’on veut. Pour la plupart d’entre nous, jamais notre liberté d’action n’avait été aussi entravée depuis notre entrée dans la vie adulte.

Traditionnellement, le christianisme offre une réponse à cet enjeu : renoncez à faire votre volonté, faites celle de Dieu. Passez de « c’est moi qui décide » à « c’est toi, mon Dieu, qui décides ».

Ne pas renoncer à l'amour

Très bien. J’ai assez étudié ce conseil spirituel pour en voir la justesse fondamentale.

Mais je me suis également assez égaré, en pensant le suivre, pour savoir qu’il y a mille façons de mal le comprendre.

Car il ne s’agit pas d’obéir aveuglément ou de renoncer à notre jugement. Nous avons été témoins, ces dernières décennies, de trop d’abus de toutes sortes, tout particulièrement dans l’Église catholique, pour penser naïvement que la soumission est la condition paradoxale de la liberté.

Bref, renoncer à sa volonté pour suivre celle d’un autre, ce dernier serait-il Dieu lui-même : en tant que tel, voilà un conseil absurde et dangereux.

Sauf s’il ne s’agit pas tant de renoncer à notre volonté qu’à ce qui fait pression sur elle : nos fantasmes, nos impulsions, nos idées toutes faites.

Autrement dit, pour revenir au livre d’Élise Gravel : à nos désirs de châteaux en chocolat.

En fait, ce que le jeune protagoniste de cet ouvrage voulait vraiment, c’était d’aimer, d’être aimé et de vivre pleinement. Comme nous tous.

Renoncer à cela, au nom d’un commandement (mal compris), serait nous trahir et courir à notre malheur. Renoncer à tout le reste, par contre, c’est parfois le seul moyen de s’assurer que la vie et l’amour survivront à l’épreuve. Et les avis, les requêtes de notre entourage ou des institutions en sont souvent de précieux rappels.

Il en va ainsi de notre obéissance aux mesures sanitaires décrétées par le gouvernement. La vertu n’est pas dans le fait de s’y soumettre aveuglément. Plutôt dans la reconnaissance que d’y préférer les impulsions spontanées de notre liberté individuelle n’est sans doute pas la meilleure façon d’aimer et de s’assurer que la vie l’emporte sur la mort.

Pâques, fête de la résurrection, c’est un peu cela : renouveler notre confiance qu’il vaut la peine de miser sur l’amour et sur la vie. Car c’est là le fond des choses, et ce que l’on veut par-dessus tout.

Joyeuses Pâques !

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