Une petite révolution

Le 2 juin dernier, alors que nous étions totalement pris par la pandémie et l’envie d’aller nous ébattre dans des parcs, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une loi qui aura un impact majeur dans la vie de milliers de Québécois. Je vous parle de la nouvelle Loi sur le curateur public, qui encadre la vie et le bien-être des personnes en situation de vulnérabilité.

J’ai tenu à vous en parler parce que cette nouvelle est d’une importance capitale. Elle touchera les personnes jugées inaptes, mais aussi leurs proches, leurs parents, leurs frères, leurs sœurs, ceux qui occupent le rôle de proche aidant, de tuteur, de curateur.

Je me suis entretenu cette semaine avec Denis Marsolais, curateur public du Québec. Il est absolument intarissable quand vient le temps de parler de la nouvelle loi dont il est le principal artisan avec un nombre incalculable de partenaires et de collaborateurs.

Pendant une heure, Denis Marsolais m’a décrit avec passion chacun des piliers de cette loi qui fera vivre, lors de son entrée en vigueur, en juin 2022, un important changement social aux Québécois.

« Une loi, c’est le cœur et les poumons d’une transformation, aime à dire M. Marsolais. Je ne crains pas de le dire, cette loi est extraordinaire. »

Créée pour dépoussiérer un concept mis en place il y a une trentaine d’années, la nouvelle loi ne promet rien de moins qu’une véritable révolution.

« La nouvelle loi a une approche positive à l’égard des personnes en situation de vulnérabilité, explique Denis Marsolais. Elle va considérer ces gens comme des personnes à part entière et présumer de leur capacité juridique. Elle va favoriser leur autonomie. »

« Un des principes directeurs de la loi est de tabler sur les forces d’une personne plutôt que sur ses limitations. Ça change toute la dynamique. »

— Denis Marsolais, curateur public du Québec

Cette loi a de nombreuses ramifications. Elle touchera la Chambre des notaires du Québec, le Collège des médecins du Québec, le Barreau du Québec, le ministère de la Famille, l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, les organismes œuvrant auprès de personnes handicapées ou souffrant de déficience intellectuelle, les regroupements d’aidants naturels, etc.

Des représentants de ces secteurs se sont exprimés dans une vidéo lancée la semaine dernière. On peut également y entendre trois porte-parole de choix : le comédien Vincent-Guillaume Otis, l’animateur Charles Lafortune et l’auteure Kim Thúy, dont le fils souffre d’autisme sévère.

« Je dois admettre que je ne connaissais pas le rôle du Curateur public avant de rencontrer Denis Marsolais, m’a confié Kim Thúy. Je suis allée luncher avec lui et au bout de quelques minutes, j’ai compris l’importance du changement qui est à venir. Je lui ai dit : “Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ?” »

Cette loi aura également des impacts sur le Code civil, sur le Code de procédure civile et sur la Loi sur le curateur public. Elle va offrir une plus grande reconnaissance des droits des personnes inaptes ou en situation de vulnérabilité.

Les deux principaux leviers sont une simplification des régimes de protection et la création de mesures d’assistance et de représentation temporaire. Cette loi valorise davantage l’autonomie des personnes et l’exercice de leurs droits civils. Elle va tenir compte de leurs volontés et de leurs préférences.

Depuis des années, les personnes inaptes sont classées selon divers régimes (curatelle publique, tutelle privée, mandats homologués par la cour). La nouvelle loi introduit le concept de tutelle modulée, c’est-à-dire que l’état des personnes sera évalué par des experts afin de déterminer la latitude dont jouira la personne dans la prise de décisions qui la concernent.

« Je vous préviens, nous allons vivre un changement de culture », dit Denis Marsolais.

Ce dernier rappelle qu’actuellement, au Québec, il existe 160 000 personnes jugées inaptes ; 36 000 d’entre elles sont sous un régime de protection, les 124 000 autres ne le sont pas.

L’autre aspect important de cette loi touche le régime d’assistance.

Les droits des personnes inaptes bénéficieront d’une meilleure reconnaissance du rôle des assistants, c’est-à-dire de ceux et celles qui veillent au bien-être d’un proche en jouant le rôle de tuteur ou de curateur.

Les assistants seront inscrits à un registre public. Une entrevue avec l’assistant et l’assisté permettra d’encadrer leur relation et déterminera le rôle de chacun.

Kim Thúy ne croit pas que cette loi aura un impact direct dans la vie de son fils, dont le degré d’autisme est élevé. « J’ai accepté de m’impliquer, car je pense aux autres personnes, m’a-t-elle confié. J’ai en tête un camarade de classe de mon fils. Il est en mesure de prendre des décisions. Pour lui, ça va changer beaucoup de choses. »

Ancien président de la Chambre des notaires du Québec pendant une douzaine d’années, puis sous-ministre au ministère de la Justice, à la Sécurité publique et aux Transports, Denis Marsolais a été nommé au poste de curateur public en juillet 2018. Dès son arrivée, il s’est jeté corps et âme dans ce vaste chantier. « Ce fut un travail titanesque », admet-il.

En terminant, Denis Marsolais m’a demandé de publier le numéro de téléphone du Curateur public. Il tient à ce que les citoyens qui se posent des questions puissent les soumettre.

Alors, le voici : 1 844 LECURATEUR (532-8728).

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