Des centaines de jeunes touchés par un dangereux syndrome
Quand Gabrielle Marchand a réveillé sa petite sœur de 12 ans, Rebecca, au lendemain de la semaine de relâche 2021, elle a paniqué et téléphoné à leurs parents.
« Elle nous demandait d’appeler le 911. On aurait dit que mon chat avait griffé Rebecca partout dans la figure », raconte Stéphanie Peillon.
En plus d’être recouverte de plaques, son enfant était amorphe et brûlante. La fièvre dépassait 40 °C. L’Advil et le Tynelol n’y changeaient rien. Rebecca ne voulait même pas regarder sa tablette électronique. « Elle avait trop mal aux yeux », explique Mme Peillon, qui a quitté en catastrophe le service de garde qu’elle dirige.
Pour la deuxième fois en trois jours, la résidante du quartier Côte-Saint-Luc s’est précipitée avec sa fille aux urgences du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Avec raison.
« On a attendu les résultats de tests pendant six heures. Cinq minutes après les avoir eus, la petite tombait en état de choc et ils la rentraient aux soins intensifs… »
— Stéphanie Peillon, au sujet de l’état de santé de Rebecca
La tension artérielle de Rebecca était si basse que ses cellules manquaient d’oxygène. Elle aurait pu en mourir. Tout son corps se trouvait ravagé par une hyperinflammation périlleuse pour ses organes. Son système immunitaire était en train de répondre de façon incontrôlée – tardive – à une infection. Vraisemblablement à la COVID-19, croient les médecins, bien qu’aucun test n’ait permis de le confirmer.
« Même si je travaille dans une école primaire depuis très longtemps et que je suis super informée, je n’avais jamais entendu parler de ce phénomène, affirme Mme Peillon. Les urgentologues avaient commencé par nous dire que ce n’était rien, juste un petit virus. »
Vérification faite auprès des trois grands hôpitaux pour enfants, près de 300 jeunes Québécois y ont été soignés pour une réaction hyperinflammatoire liée à une infection depuis mars 2020. Environ 100 au CHU Sainte-Justine, 100 au CHU de Québec et 80 au CUSM. Au moins une soixantaine d’entre eux ont reçu des soins intensifs.
Avant la pandémie, d’autres virus pouvaient déjà déboussoler le système immunitaire, causant à retardement ce qu’on appelle la « maladie de Kawasaki ». Mais depuis le printemps 2020, « on a eu une explosion de cas reliés aux infections de la COVID et certains sont beaucoup plus graves que d’habitude », indique Anne-Laure Chetaille-Nezondet, rhumatologue au CHU de Québec (CHUL).
Leur nombre a presque quadruplé au CHUL. Presque triplé à Sainte-Justine et plus que doublé au CUSM. Dans ce dernier centre, 30 % des enfants concernés ont reçu des soins intensifs au cours des 19 derniers mois – contre 5 % de ceux qui contractaient auparavant la maladie de Kawasaki.
Comme Rebecca, des jeunes tombent en état de choc tellement leur cœur ou leur sang sont enflammés, explique Rosie Scuccimarri, rhumatologue pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants. D’autres ont de violentes douleurs abdominales. Ce n’est pas ce qui les met en danger, dit la spécialiste. « Mais au début, certains se sont retrouvés en chirurgie parce qu’on pensait que c’était une appendicite. »
Le tableau global est si unique que les médecins ont affaire à une nouvelle maladie, qu’ils ont baptisée « syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique » (ou PIMS, l’acronyme anglais).
Le gouvernement devrait mentionner le nombre de cas semblables dans ses bilans quotidiens, conclut Mme Peillon, et les écoles devraient mettre les parents en garde dans les lettres envoyées pour déclarer les cas de COVID-19. « Pas pour les effrayer, pour les informer », dit la Montréalaise, qui a créé sur Facebook un groupe de soutien et d’information.
L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) évalue la faisabilité de mettre en place un programme provincial de vigie et surveillance.
Rebecca a passé six semaines à l’hôpital, dont cinq jours aux soins intensifs. Elle a subi des transfusions sanguines d’immunoglobuline. Reçu des injections sous-cutanées et pris de la cortisone pendant des mois, pour lutter contre l’inflammation. Elle a vu un neurologue, un néphrologue, un cardiologue. Et elle a dû manquer les quatre derniers mois de sa 6e année.
Aux États-Unis, des dizaines d’enfants sont morts du PIMS, avant que la communauté médicale comprenne mieux comment les soigner. Tous les enfants québécois ont survécu. « Quand ils sont pris en charge rapidement, ils répondent bien au traitement et rentrent à la maison dans les jours suivants, sans séquelles », rapporte Marie-Paule Morin, rhumatologue au CHU Sainte-Justine.
Moins de 1 % des jeunes frappés par le coronavirus développeront le PIMS – généralement, quatre semaines après avoir été contaminés, ajoute-t-elle. Environ un mois après la rentrée, qui a favorisé la contagion, les médecins ont donc recommencé à voir des patients atteints de ce syndrome.
Le nombre de jeunes âgés de 19 ans et moins contaminés à la COVID est en hausse. Et la semaine dernière, il a bondi de 30 % chez les moins de 10 ans.
Dans la classe de Rebecca, aujourd’hui en première secondaire, sept enfants ne seraient pas vaccinés. Et un élève d’une autre classe vient d’avoir la COVID-19. « Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement a décidé du jour au lendemain d’enlever les masques au secondaire. On oublie les risques de PIMS ! », s’indigne Stéphanie Peillon.
« L’angoisse a envahi ma fille quand elle a appris la nouvelle. C’est un choc post-traumatique qu’elle vit. »
Les symptômes du syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique
Une forte fièvre, des douleurs intenses, l’enflure des mains, des pieds et des ganglions du cou… Les symptômes du PIMS sont nombreux. Voici leur fréquence selon une étude publiée dans JAMA Pediatrics en avril 2021*
90 % des cas
Atteinte d’au moins quatre systèmes organiques
66 %
Douleurs abdominales (souvent avec vomissements ou diarrhée)
58 %
Séjour aux soins intensifs
56 %
Éruption cutanée (souvent aux pieds, aux mains, à la bouche ou près des organes génitaux)
54 %
Tension artérielle très basse ou état de choc
31 %
Fonction cardiaque anormale
28 %
Toux/essoufflement
23 %
Accumulation de liquide autour du cœur
19 %
Pneumonie
17 %
Myocardite
16 %
Dilatation des artères/anévrisme
* « Trends in Geographic and Temporal Distribution of US Children With Multisystem Inflammatory Syndrome During the COVID-19 Pandemic »