OPINION

ENVIRONNEMENT
Avons-nous vraiment besoin de croissance économique ?

Les dernières semaines ont été éprouvantes pour ceux et celles qui se préoccupent de l’avenir de notre planète.

De la vague de chaleur inédite qui a fait cuire l’hémisphère Nord, laissant 75 morts derrière elle au Québec, aux études scientifiques qui annoncent une terre « étuve » pratiquement invivable au cours de la vie de nos enfants, la multiplication des signaux d’alarme nous assomme littéralement. La terre hurle et nous semblons paralysés.

Au milieu de ce vacarme, le 1er août, nous arrivait le « jour annuel du dépassement », journée où nous avons déjà épuisé les ressources que la Terre peut nous fournir en une année. Le reste de l’année se fera à crédit écologique. Depuis les années 70, ce jour arrive de plus en plus tôt. En 1970, c’était le 29 décembre. En 1992, lors du Sommet de la Terre, c’était le 13 octobre. À la naissance de mes enfants, en 2004, c’était le 1er septembre, et pendant les 13 années de leur courte vie nous avons encore reculé d’un mois.

Au rythme de croissance actuel, l’économie mondiale va être multipliée par trois d’ici 2050. Je vous pose la question : croyez-vous que l’économie mondiale peut encore doubler, tripler ? En d’autres termes, une croissance infinie est-elle possible sur une planète qui s’épuise ? À moins de tomber dans la pensée magique, nous savons que non. Et pourtant, nous faisons comme si c’était possible.

La croissance économique a été érigée en dogme comme l’unique indicateur de notre prospérité et de notre qualité de vie. 

Remettre la croissance en question au XXIe siècle est aussi difficile que d’affirmer que la terre n’est pas au centre de l’univers, comme l’a fait Copernic au XVIIe siècle. La biosphère est le centre de notre économie et la condition essentielle de notre existence. Pas l’inverse. Difficile de l’affirmer sans risquer l’excommunication.

Depuis 1970, dernière année où notre économie ne fonctionnait pas à crédit écologique, la richesse par habitant a été multipliée par plus de deux au Canada. Nous sommes passés d’une à deux ou trois voitures par ménage, d’une à trois ou quatre télévisions. Chacun d’entre nous a son ordinateur, son téléphone intelligent, sa tablette. La superficie moyenne de nos maisons s’est considérablement accrue. Nous vivons dans une ère d’abondance matérielle.

Richesse et bonheur

Mais les études sur le sujet démontrent que le niveau de bonheur, qui augmentait avec le niveau de richesse, a cessé d’augmenter il y a 40 ans. L’endettement des ménages a quant à lui explosé pour atteindre 170 % du revenu annuel.

Nous sommes plus riches, certainement, mais aussi plus endettés et pas plus heureux. 

Et depuis la crise de 2008, la quasi-totalité de la croissance économique s’est retrouvée dans les poches du 1 %. La majorité d’entre nous n’avons pas vu d’impact réel.

Ce qui nous amène à nous demander : pourrions-nous vivre une vie prospère et heureuse en consommant un niveau viable de ressources qui réponde à nos besoins sans dépasser la capacité de la biosphère ? Cette proposition est étudiée sérieusement par un nombre croissant d’économistes, dont Kate Raworth, auteure de Doughnut Economics, qui propose un nouveau modèle économique axé sur la satisfaction des besoins fondamentaux et le respect des limites du monde naturel.

Nous sommes de plus en plus nombreux à constater que l’équation traditionnelle de la croissance s’est inversée depuis 40 ans. Alors que la croissance économique était jadis synonyme d’enrichissement, nous avons traversé le seuil où elle est devenue un facteur d’appauvrissement et d’endettement irréversible pour les générations à venir, sans avoir d’impact véritable sur notre niveau de bonheur. Pour paraphraser l’ouvrage à succès : en avons-nous vraiment besoin ?

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