Ron DeSantis

Le républicain qui donne des cauchemars à Trump

New York — En une image, l’héritier politique renvoie Donald Trump à son statut de retraité. Il y a seulement quatre ans, ce quasi-inconnu, jeune membre de la Chambre des représentants, avait eu besoin de l’appui du tonitruant président pour se faire élire gouverneur de Floride. Aujourd’hui, avec 59,4 % des voix, il devient la star des républicains. En vue de la présidentielle de 2024, les riches donateurs votent déjà pour lui… avec leurs chèques. Ron DeSantis, un nom dont il va falloir se souvenir.

Sur scène, on aurait dit Kennedy. Ce soir du 8 novembre à Tampa, Ron DeSantis arrive triomphant avec sa fille de 2 ans dans les bras. Derrière, sa femme, Casey, dans une longue robe dorée, clinquante mais glamour, entourée de leurs deux autres enfants. Ron vient d’être brillamment réélu au poste de gouverneur de Floride. À 44 ans, il incarne la nouvelle génération et parle avec punch. Au même moment, sous les dorures de la salle de bal de Mar-a-Lago, à Palm Beach, 300 kilomètres au sud-est, les convives de Donald Trump observent les grands écrans avec gêne.

Ici, tout le monde sait que la victoire éclatante de DeSantis est une mauvaise nouvelle pour le maître des lieux, qui n’a pas réussi à faire triompher « ses » propres candidats. Les commentateurs le traitent déjà de « loser », perdant, le terme qu’il abhorre.

Selon un participant de la soirée, certains pensent « tout bas » que c’est de sa faute si le scrutin ne s’est pas traduit par le raz de marée républicain attendu… Quand Trump fait enfin son apparition, il semble fatigué. Dans un discours expédié en cinq minutes, il félicite ses rares « poulains » vainqueurs… et oublie DeSantis. Pour une raison simple : entre les deux hommes, la guerre froide est déclarée.

Tout les oppose : Trump est riche de naissance, DeSantis est né pauvre.

Aujourd’hui ses actifs représentent à peine 350 000 $. Il a grandi à Dunedin, un bled à côté de Tampa, dans le modeste pavillon où ses parents, des catholiques d’origine italienne, habitent toujours.

Ron senior, son père, était installateur technicien pour l’institut Nielsen, qui mesure les audiences télévisées, et Karen, sa mère, infirmière. Enfant, il excelle aussi bien à l’école que sur les terrains de baseball, ce qui lui vaut de décrocher une bourse à la faculté d’histoire de la prestigieuse université Yale.

À 23 ans, il devient prof à Darlington, une école privée de Géorgie. Les étudiants gardent le souvenir d’un type intelligent mais qui le montre un peu trop, un ambitieux : « Peut-être, qui sait, serai-je élu président des États-Unis », disait-il alors.

Au bout d’un an, il part faire son droit à Harvard. Pour son premier job, il choisit l’US Navy. Il sera défenseur de marines, comme Tom Cruise dans Des hommes d’honneur (A Few Good Men), le film de Rob Reiner, qui, paraît-il, lui a donné envie de postuler. Le voilà déployé à Guantanamo puis en Irak, ce qui lui vaut plusieurs médailles.

Démobilisé, il rentre en Floride, où il est nommé procureur adjoint. Il joue au golf, l’occasion de rencontrer sa femme, Casey, belle brune, présentatrice d’une chaîne de télé locale dont on dit qu’elle rêve d’épouser un futur président des États-Unis. C’est chose faite en 2009. Les noces ont lieu à Disneyworld. Et DeSantis continue sa trajectoire météorique : il se fait élire représentant au Congrès en 2012, après avoir publié un livre conçu comme une réponse à l’autobiographie de Barack Obama Les rêves de mon père. L’ouvrage en dit long sur ses ambitions mais passe totalement inaperçu.

Très vite, DeSantis se sent à l’étroit au Congrès, où il n’est pas à l’aise : solitaire et introverti, il n’a pas la rondeur qui sied aux députés et se lasse vite des réunions du Freedom Caucus, le groupe d’élus de la droite radicale dont il est pourtant un des cofondateurs.

En 2015, il songe à se présenter au Sénat, puis jette son dévolu en 2018 sur le poste de gouverneur de Floride. Seul problème : il a face à lui des rivaux bien plus connus. C’est pourquoi il dégaine la carte Trump. Le maître de la Maison-Blanche est alors menacé par l’enquête du procureur spécial Robert Mueller sur ses liens avec la Russie. DeSantis est l’un de ses plus ardents défenseurs. Trump apprécie. Il jette tout son poids en faveur de ce jeune loup qui, dans un clip télévisé, s’affiche en train de lire The Art of the Deal, la bible présidentielle, à son fils Mason, assis sur ses genoux, tandis que la petite Madison arbore une layette rouge estampillée « Make America Great Again »…

Flagorneur, mais efficace : DeSantis est élu de justesse gouverneur. Merci Trump. Une fois investi, friand d’outrances verbales, contre les médias en particulier, DeSantis se présente comme un héraut « antiwoke », antiavortement, décidé à abroger les lois « progressistes » protégeant la communauté LGBT. Résolument pro-Trump, il est régulièrement invité à Mar-a-Lago.

La pandémie qui change tout

Tout bascule avec la COVID. Ce sera le cauchemar de Trump et le tremplin de DeSantis. Après avoir imposé le très impopulaire confinement recommandé par le DAnthony Fauci, qui pilote depuis Washington la lutte contre la pandémie, Ron DeSantis cherche des alternatives auprès de scientifiques « non orthodoxes ».

Ainsi, un dimanche après-midi de septembre 2020, il appelle le Pr Jay Bhattacharya, de l’université Stanford, qui se souvient : « On a passé deux heures au téléphone. Il avait tout lu, tout mémorisé : lui qui n’a aucune formation médicale s’était penché sur le sujet en se plongeant dans des revues scientifiques, et ça m’a impressionné. Il posait beaucoup de questions et demandait des éclaircissements quand il ne comprenait pas. Puis il m’a invité à des tables rondes : toutes nos conversations débouchaient sur du concret. C’était très différent de mon expérience avec Donald Trump, qui m’a également consulté. Je l’avais rencontré dans le bureau Ovale et il m’a donné l’impression d’avoir une connaissance superficielle du problème », confie le scientifique à Paris Match.

C’est un des traits de caractère de DeSantis – qui le distingue de Trump, trop paresseux même pour lire les briefings de ses conseillers : ce fort en thème est un bosseur fou, « doté d’une mémoire photographique qui lui permet de régurgiter des documents complexes après les avoir lus une seule fois », témoigne Dexter Filkins, journaliste au New Yorker.

Dans la gestion de la COVID, il peut aussi faire preuve d’opportunisme. Son électorat ne veut pas entendre parler de confinement ? Il rouvre les écoles, refuse d’imposer le port du masque, flirte même avec les « antivax », fustige le DFauci qui, selon lui, devrait aller en prison. La Floride est ainsi l’un des États les plus touchés par la COVID, mais pas davantage que la Californie, qui a fermé son économie pendant deux ans…

DeSantis devient alors l’homme qui s’est « rebellé » contre l’establishment médical, un héros populaire, celui qui privilégie la liberté face aux précautions sanitaires.

« Sa gestion de la COVID a fait de lui une star et lui a permis de se faire réélire », estime Antonio Fins, rédacteur en chef politique du Palm Beach Post. Véritable paradis fiscal, la Floride devient « the place to be », l’endroit où il faut être pour les milliardaires républicains comme les financiers Ken Griffin ou Peter Thiel (cofondateur de PayPal), qui s’y font construire d’immenses villas et y relocalisent leurs activités. Ces généreux donateurs qui ne juraient que par Trump commencent à s’intéresser de près à la « relève ».

Les malheurs de Trump

Jusque-là, Trump « ne voulait pas croire que Ron DeSantis se présenterait contre lui », nous confie un de ses proches. Mais il a bien dû se rendre à l’évidence : Brutus finira par vouloir tuer César, qui l’affuble d’un surnom peu flatteur, DeSanctimonious (« moralisateur », « donneur de leçons »).

Trump ne voulait pas croire à cette « trahison ». Mais l'évidence est là : Brutus DeSantis a sorti les poignards

Poussé par ses fils, le reclus de Mar-a-Lago rêve d’annoncer sa candidature avant les élections de mi-mandat mais se ravise, convaincu par les hiérarques républicains qui le conjurent d’attendre, de peur que cela n’altère le scrutin. Il reporte au 15 novembre, une semaine après l’élection, espérant tirer profit de la « vague rouge » (couleur du Parti républicain) attendue. Mais rien ne se passe comme prévu.

La fébrilité monte chez les soutiens de Trump, de moins en moins nombreux. « Il est barbant », écrit Michael Goodwin, éditorialiste jusque-là très trumpiste du New York Post.

Même Ivanka Trump semble avoir abandonné son père

Le tabloïd, propriété de Rupert Murdoch, est devenu un adversaire après avoir été un allié. Même sa fille Ivanka semble l’avoir abandonné : après avoir refusé de se rendre à sa déclaration de candidature, elle s’est fait photographier quelques jours après sur un wakeboard dans la baie de Miami…

Contre deux présidents

Selon Maxim Lott et John Stossel, experts en pronostics électoraux, Ron DeSantis disposerait aujourd’hui de 42 % de chances de remporter la primaire républicaine à la présidentielle 2024, contre 33 % pour Trump. A-t-il pour autant gagné son pari ? Pas forcément, nous confie un lobbyiste républicain : « J’étais assis à côté de lui à un mariage, il n’avait absolument rien à dire. C’est sa femme, Casey, qui brillait. Elle paraît plus conservatrice que lui et pourrait bien tirer les ficelles. La conversation a roulé sur la légalisation du cannabis en Floride. Ron semblait trouver que c’était une bonne idée. « Pas question », a conclu Casey. »

Les détracteurs l’appellent déjà Lady Macbeth. C’est la grande question qui taraude les républicains : le glacial DeSantis, qui parle avec une voix nasillarde, saura-t-il y faire dans l’Iowa ou le New Hampshire, ces États cruciaux pour la primaire, où l’art de serrer des mains est primordial ? Lui que l’on dit susceptible, complexé par la modestie de ses origines, saura-t-il réagir aux assauts de Trump ?

La nomination, la semaine dernière, d’un procureur spécial chargé de « superviser » les enquêtes contre l’ancien président pourrait changer la donne : en se posant en « martyr », Trump pourrait provoquer un sursaut. Ce qui ferait bien les affaires de Biden, qui rêve de se représenter en 2024 : lui qui vient de souffler ses 80 bougies sait bien que sa seule chance est d’avoir Trump, 76 ans, face à lui. DeSantis va donc devoir se battre contre deux présidents, l’ancien et l’actuel. Attention, bataille en vue…

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