Opinion

Un État-providence mais pas tout-puissant

La crise braque les feux sur les forces et les faiblesses de l’État. Autant on apprécie sa réaction rapide pour limiter la pandémie et assurer un revenu à ceux qui ont perdu leur emploi, autant on découvre avec stupeur son incapacité à soigner convenablement les personnes âgées en CHSLD. Que faut-il attendre de l’État après la crise ?

Fragilisée et inquiète, la population aura des attentes élevées envers notre État-providence, que certains rêveront tout-puissant. La nécessité d’assainir les finances publiques imposera cependant des contraintes sévères aux choix stratégiques que nous devrons faire. Voici quelques repères pour guider notre réflexion.

Le premier défi sera de réduire, puis d’éliminer un déficit gigantesque. D’abord assez rapidement, en resserrant, puis en mettant fin aux très coûteuses mesures d’aide temporaire aux personnes et aux entreprises. Ensuite, plus lentement, lorsque la reprise économique viendra regarnir les coffres des gouvernements. Il sera difficile de trouver le rythme juste, car le profil de la reprise est incertain et qu’il y aura un prix politique à payer, surtout pour le gouvernement minoritaire à Ottawa.

Quant aux mesures à venir pour favoriser la relance, on devra privilégier celles qui ont un fort effet d’entraînement sur la croissance et qui répondront le mieux à trois tendances lourdes pour notre avenir : le vieillissement de la population, le réchauffement de la planète et le redéploiement de la mondialisation.

Le vieillissement de la population

L’économiste Pierre Fortin qualifie d’ouragan le choc démographique qui déferlera sur le Québec * — deux fois plutôt qu’une. De 2009 à 2029, les baby-boomers auront pris leur retraite, laissant un vide grandissant sur le marché du travail. Ensuite, ils passeront tour à tour le cap des 85 ans, faisant exploser les coûts de santé.

Bien sûr, il faudra rénover les CHSLD désuets et construire des Maisons des aînés, mais surtout accroître les soins à domicile ou en résidence, beaucoup moins chers et plus rapides à implanter.

La pauvreté a pratiquement disparu chez les retraités et, selon leurs revenus, ils peuvent payer une plus grande partie de leurs soins non médicaux.

Malgré cela, il sera prudent d’avoir réduit le poids de la dette avant que les boomers, dans leurs dernières années de vie, ne fassent grimper les coûts médicaux, si on veut limiter l’iniquité envers les générations suivantes.

L’immigration seule ne peut remplacer tous les retraités, mais faite à un rythme qui assure la bonne intégration sociale des nouveaux venus, elle est indispensable pour assurer la croissance économique. Il faut donc ouvrir plus grandes nos portes aux travailleurs qualifiés, mais aussi à ceux qu’on peut qualifier rapidement, comme préposés aux bénéficiaires par exemple.

Le réchauffement climatique

On écoutait distraitement lorsque les experts nous mettaient en garde contre d’éventuelles pandémies. On ne peut refaire cette erreur au sujet du réchauffement climatique, qui nous réserve des conséquences plus brutales et durables. Il est urgent d’agir.

Imposer un prix de plus en plus élevé pour le carbone demeure la stratégie maîtresse à long terme, mais avec la chute du pétrole, il faut envisager des hausses plus rapides.

Plusieurs mesures complémentaires sont aussi à considérer, comme de nouvelles infrastructures de transports en commun, l’isolation et la conversion au chauffage électrique des édifices publics.

Le moment est propice pour les investissements publics verts. Toutefois, l’effort principal doit venir des entreprises privées, aiguillonnées par les exigences de la finance durable, consciente du risque climatique et pratiquée de plus en plus par les banques et les investisseurs institutionnels. Ici, le rôle de l’État est de fixer les cibles de réduction des GES, d’établir les règles du jeu et de mettre en place les incitatifs appropriés.

Le redéploiement de la mondialisation

Attaquée à gauche comme à droite, la mondialisation ne disparaîtra pas, mais va plutôt se restructurer en blocs rivaux, sous la pression d’une guerre froide larvée entre les États-Unis et la Chine. Cette tendance se poursuivra, même si les démocrates remportent la présidentielle de novembre.

On peut regretter le déclin du multilatéralisme qui nous a bien servis, mais notre État devra s’ajuster à ce nouvel ordre mondial, sans pour autant sombrer dans le nationalisme économique étriqué et coûteux des gouvernements populistes.

Les entreprises prudentes modifieront leurs chaînes d’approvisionnement pour trouver un meilleur équilibre entre la résilience et l’efficience. Elles réduiront leur dépendance envers la Chine et les pays qui tomberont dans sa sphère d’influence pour miser davantage sur ceux avec qui nous avons des traités de libre-échange, notamment les États-Unis et le Mexique.

La concurrence restera rude dans cette arène redéfinie. Les firmes gagnantes resteront celles qui misent sur les nouvelles technologies pour innover et accroître leur productivité.

À cet égard, la plus puissante contribution que puisse faire l’État demeure l’éducation, pour former les nouveaux travailleurs et reformer ceux qui ont besoin d’acquérir de nouvelles habiletés. Ici encore, la technologie doit tenir une plus grande place, tant comme sujet d’étude que comme moyen de dispenser l’enseignement.

Vilipendé durant plusieurs décennies, l’État devra assumer des responsabilités plus lourdes, mais avec des ressources limitées, choisir ses interventions avec soin.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.