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Réviser la diplomatie canadienne, une occasion à ne pas manquer

La ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a annoncé lundi dernier qu’elle lancerait sous peu un exercice de révision de la diplomatie canadienne. Centré sur le fonctionnement d’Affaires mondiales Canada (AMC), l’exercice vise à bâtir, selon ses dires, « une diplomatie moderne » « adaptée aux défis d’aujourd’hui ».

De la manière dont il a été dévoilé, l’exercice de révision de la diplomatie canadienne pourrait se transformer en une occasion ratée. En effet, selon les informations disponibles, l’exercice se limiterait à l’aspect organisationnel, ne constituant ainsi pas un examen de la politique étrangère.

Bien que l’exercice soit souhaitable sur le plan interne, car il répondrait aux critiques qui déplorent le retranchement de la présence diplomatique canadienne à l’étranger et aux frustrations au sein d’AMC, il l’est aussi sur le plan externe. Si l’objectif est de transformer la diplomatie canadienne en un outil adapté aux défis d’aujourd’hui, force est de constater qu’un examen de ces défis est nécessaire pour faire les bons choix sur le plan organisationnel.

Il y a au moins deux raisons impérieuses pour lesquelles cette décision devrait être revue. La première relève de l’évidence. Le dernier livre blanc de politique étrangère remonte à 2005. La posture qu’il préconisait semblait alors à la fois simple et cohérente : un renforcement du partenariat nord-américain, une vision de l’aide au développement davantage concentrée sur certains pays, une action pangouvernementale et une posture multilatérale. Bien que le Canada n’ait jamais abandonné le multilatéralisme, l’invasion russe, la montée de la Chine et le repli américain ont réduit la marge de manœuvre du Canada sur la scène internationale.

En 2017, la ministre Chrystia Freeland avait évoqué, lors d’un discours devant le Parlement, les changements profonds de l’ordre mondial auxquels le Canada serait confronté. Elle nous implorait de « réfléchir soigneusement et longuement sur ce qui se passe et tracer la voie à suivre ». Or, cette réflexion reste inachevée. Elle a certes été entamée avec la Politique d’aide internationale féministe, le Plan d’action national en matière de Femmes, paix et sécurité et le dévoilement prochain d’une stratégie indo-pacifique, mais ces efforts sont insuffisants pour tenir compte des développements inédits de l’état du monde actuel.

La deuxième raison pour laquelle un examen de la politique étrangère s’avère nécessaire relève de la cohérence de l’action gouvernementale. En effet, la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, vient d’annoncer une mise à jour de la politique de défense canadienne. Or, il est évident que celle-ci est profondément liée à la politique étrangère.

Augmenter les capacités de la diplomatie canadienne est essentiel à la mise en œuvre des objectifs de défense. Cette complémentarité est de mise pour coordonner la réponse canadienne à la guerre en Ukraine, par exemple.

Les deux exercices ne doivent donc pas être entrepris en silos. La cohérence de l’action gouvernementale exige un effort conscient de coordination stratégique.

Au-delà de ces deux raisons impérieuses de ne pas limiter l’examen de la diplomatie à des questions organisationnelles, deux autres éléments devront également être pris en considération par la ministre Joly. Pour un gouvernement qui a défini sa politique étrangère comme féministe, les récents développements augmentent les risques de tension entre les normes et les intérêts qui sous-tendent la politique étrangère.

D’ores et déjà, certains membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies expriment des réticences quant au programme Femmes, paix et sécurité cher au Canada. Notre voisin du Sud a également enregistré de sérieux reculs concernant les droits des femmes, qu’il s’agisse du droit à l’avortement ou de leur place dans les conseils d’administration que la justice américaine a récemment remis en question.

Dans un tel contexte, comment concilier compétition entre grandes puissances, tensions avec la Chine, guerre en Ukraine, nécessité de coordination avec les États-Unis et politique étrangère féministe ? Sans réponse à cette question, sans stratégie pour démontrer l’utilité d’une politique étrangère féministe pour bâtir une paix durable et un ordre international plus juste, le fleuron de la politique étrangère canadienne pourrait être sérieusement terni.

Enfin, nous ne pouvons pas clore cette réflexion sans revenir sur la manière dont l’exercice sera mené. À ce sujet, les informations diffèrent. Certains suggèrent que le comité qui sera mis en place sera principalement formé d’anciens membres du corps diplomatique, d’autres affirment qu’il inclura des experts, des leaders du monde des affaires et des représentants des jeunes.

Sans faire un parallélisme entre les deux exercices, nous tenons quand même à souligner la leçon du rapport Arbour sur la culture au sein des forces armées canadiennes. Seul un exercice ouvert et une grande participation de l’externe pourront donner à l’examen de la diplomatie canadienne la légitimité dont Affaires mondiales aura besoin pour rendre compte de ses stratégies à une population dont l’appui sera d’autant plus nécessaire que les choix seront difficiles.

Plus près qu’on pense

Pour le Québec et la francophonie canadienne, la révision de la diplomatie s’avère aussi nécessaire parce que la ministre Mélanie Joly a dit vouloir faire des langues officielles l’un des piliers d’Affaires mondiales Canada. Les frustrations relatives aux rapports entre francophones et anglophones ont filtré dans la presse dans les dernières années, les fonctionnaires francophones jugeant que les anglophones sont favorisés dans l’accès aux postes de haute gestion.

Pour aller plus loin

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