Transition énergétique

Le Québec pourrait-il manquer d’électricité ?

Le Québec et d’autres provinces canadiennes se dirigent, si rien ne change, vers un manque d’électricité, alors que de nouveaux besoins sont créés avec la transition énergétique. C’est du moins la conclusion du livre blanc Une perspective stratégique pour le secteur de l’électricité dans le centre et l’est du Canada, publié à la fin août par l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal. Discussion avec Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut et coauteur du livre blanc, et Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal.

Qu’est-ce qui vous inquiète particulièrement dans la situation actuelle au Québec ?

Normand Mousseau : « Si on électrifie au complet le parc automobile actuel des particuliers, on a besoin d’environ 20 térawattheures (TWh) de plus par année au Québec. Si on atteint le tiers de cette cible en 2030 avec 1,6 million de véhicules électriques sur les routes, cela signifie qu’on aurait besoin d’environ 5 TWh de plus. Et ça, c’est si on garde les véhicules de la même grosseur, alors que la tendance est d’aller vers des véhicules plus gros. C’est beaucoup d’électricité, surtout lors des périodes de pointe en hiver. »

Pierre-Olivier Pineau : « Si le Québec venait à manquer d’électricité, ce serait seulement parce qu’on aurait voulu tout électrifier sans prévoir et sans réfléchir à nos usages énergétiques. Et c’est vers cela qu’on se dirige. »

Quelle solution proposez-vous ?

Pierre-Olivier Pineau : « Il faut revoir notre gestion du chauffage et de l’efficacité énergétique dans les secteurs résidentiel, commercial et industriel. François Legault dit que pour atteindre la carboneutralité en 2050, le Québec a besoin de 100 TWh de plus par année. Or, dans les documents déposés à la Régie de l’énergie, Hydro-Québec affirme qu’il y a un potentiel technico-économique d’efficacité énergétique qui dépasse les 20 TWh dans les conditions actuelles du marché.

« On ne pourrait pas tout faire du jour au lendemain en matière d’efficacité énergétique, mais on pourrait réaliser de grandes choses sur 10 ans. La première chose serait de revoir les tarifs ou la réglementation dans le domaine des bâtiments. Il faut déterminer ce qui n’est plus acceptable en matière de consommation, puis contraindre les gens à s’y conformer d’ici 2030 en leur donnant accès à des subventions et en augmentant les tarifs des récalcitrants. »

Normand Mousseau : « Il faut décarboner le chauffage. Pour les bâtiments neufs, on pourrait interdire le gaz naturel et instaurer des normes de consommation maximales par mètre carré. Mais, dans le contexte qu’il faut investir énormément dans la décarbonation, on n’a pas la main-d’œuvre nécessaire au Québec pour rénover massivement les maisons qui sont déjà chauffées à l’hydroélectricité. Les efforts doivent plutôt être investis pour sortir du gaz naturel et du pétrole. Il faut électrifier le chauffage et les procédés dans le secteur industriel.

« Puis, il reste des solutions à trouver dans le transport lourd. Si on ne veut pas se retrouver à manquer d’électricité en 2030, produire de l’énergie éolienne est une bonne piste de solution. Nous avons 200 TWh de stockage, ce qui est énorme. »

— Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal et coauteur du livre blanc Une perspective stratégique pour le secteur de l’électricité dans le centre et l’est du Canada

« On pourrait donc utiliser l’énergie éolienne lorsqu’elle est présente, ce qui est le cas généralement en période de pointe, dans les grands froids hivernaux venteux. Et lorsqu’elle n’est pas présente, utiliser plus d’hydroélectricité. Notre problème serait le manque de puissance dans les périodes de pointe en hiver.

« Pour le régler, on pourrait ajouter des turbines sur les barrages existants. Construire de nouveaux barrages aujourd’hui, comme le propose François Legault, n’a pas l’acceptabilité sociale. Hydro-Québec doit investir pour se préparer à la transition énergétique et, de toute façon, si on a trop d’électricité, on en vendra facilement aux provinces autour dont la situation est bien pire que celle du Québec. »

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