Grande entrevue Valérie Pisano, PDG du Mila

L’IA toujours en croissance à Montréal

L’annonce de la vente, la semaine dernière, d’Element AI à la firme américaine ServiceNow et la décision qu’a prise à l’été le gouvernement fédéral de ne pas utiliser l’application de traçage de la COVID-19 conçue par le Mila, l’Institut québécois de l’intelligence artificielle, ont jeté de l’ombre sur l’expertise mondiale de pointe que Montréal a développée dans le domaine de l’intelligence artificielle. Valérie Pisano, PDG du Mila, fait le point sur l’état de la situation et défend les avancées faites par l’IA à Montréal au cours des deux dernières années.

Element AI n’était peut-être pas un fleuron québécois, mais elle était quand même une entreprise phare de l’intelligence artificielle montréalaise avec son cofondateur Yoshua Bengio, qui est également fondateur et directeur scientifique du Mila. Est-ce que la vente de cette entreprise va entacher la crédibilité de la grappe de l’IA à Montréal ?

Je ne pense pas. Cette transaction avec une grande entreprise opérante comme SerivceNow vient plutôt valider la pertinence d’avoir créé un hub de l’intelligence artificielle à Montréal. Cette transaction confirme l’importance de l’écosystème montréalais et des talents qui y travaillent.

Mais l’échec commercial d’Element AI qui a entraîné sa vente ne vient-il pas porter ombrage à notre capacité de développer nous-mêmes des entreprises rentables dans le domaine de l’intelligence artificielle ?

C’est certain qu’Element AI a pu connaître des enjeux de commercialisation, mais l’entreprise a aussi réussi à développer des solutions innovantes dans le domaine de l’IA, et c’est pourquoi une entreprise du secteur s’y est intéressée. L’entreprise va poursuivre son développement à Montréal avec du nouveau capital et un nouveau partenaire, ce n’est pas la première start-up à qui cela arrive.

Mais cette transaction ne doit pas nous faire oublier qu’on a plusieurs autres entreprises en IA qui continuent de se développer fort bien à Montréal et au Québec, comme Coveo, Imagia, StradigiAI, Lightspeed, Upper…

Le Mila a développé au printemps dernier une application pour lutter contre la COVID-19 qui n’a pas été retenue par le gouvernement fédéral. Est-ce que vous avez considéré ce refus comme un échec ?

Pas du tout. Les chercheurs du Mila ont développé un outil de prédiction du risque dont les algorithmes permettaient de prévenir l’exposition à la maladie. On a conçu un modèle épidémiologique unique qui a donné lieu à la publication de deux études scientifiques. On va bientôt publier les deux codes de simulation qu’on a développés.

Le problème, c’est qu’on devait envoyer toutes les données recueillies sur un serveur central, et certains ont émis des craintes au sujet de la protection des données personnelles des utilisateurs même si on ne prélevait aucune donnée du type nom ou adresse IP. Bref, le gouvernement a préféré l’application de Shopify qui n’utilise pas l’intelligence artificielle.

Cela dit, l’Institut québécois de l’intelligence artificielle, le Mila, a été créé pour attirer et garder à Montréal le plus de compétences possible en matière d’IA, et vous êtes opérationnels depuis deux ans maintenant. Quel bilan faites-vous de ces deux dernières années ?

On a débuté avec une vingtaine de professeurs associés à HEC Montréal, à l’Université de Montréal, à McGill et à Polytechnique et quelque 200 étudiants. On compte maintenant plus de 50 professeurs-chercheurs et plus de 600 chercheurs-étudiants.

Nos quatre universités recrutent des professeurs-chercheurs en IA et le Mila finance des chaires de recherche dans leurs domaines respectifs. On a entrepris nos activités avec des chercheurs-étudiants – maîtrise, doctorat et postdoctorat – qui venaient principalement d’ici, mais maintenant, la moitié de nos étudiants proviennent de partout dans le monde, dont principalement de l’Inde, de la Chine, de la France et des États-Unis.

Est-ce qu’il y a des secteurs d’activité où l’expertise du Mila est plus sollicitée que d’autres ?

Nos chercheurs sont actifs dans tous les secteurs d’activité. Dans le domaine de la santé, par exemple, on a des équipes qui développent des algorithmes pour accélérer la production de molécules. Plusieurs grandes sociétés se sont aussi associées au Mila pour avoir accès à nos talents, comme la société Novartis ou Roche, qui a récemment ouvert un laboratoire de recherche en IA à Montréal et qui collabore avec nous. On est un épicentre de la recherche scientifique et nos travaux se font en mode ouvert.

Est-ce que vous croyez que le Mila a permis de renforcer la position de Montréal comme pôle important de l’IA dans le monde ?

Le gouvernement fédéral a commandé une étude à Accenture pour mesurer l’impact de la création des trois laboratoires canadiens en IA, et ce rapport nous a appris il y a trois semaines que l’Université de Montréal se classait aujourd’hui au premier rang mondial pour la recherche en IA.

Un autre rapport de Montréal International a démontré que Montréal se classait au premier rang des villes nord-américaines pour investir en IA et que les investissements directs en technologies ont augmenté de 50 % entre 2017 et 2019.

Vous avez aussi le mandat de rendre plus accessible l’intelligence artificielle aux entreprises d’ici. Comment gérez-vous ce volet de votre mission ?

C’est une part importante de nos activités. Il y a beaucoup d’appétit chez nos entreprises pour l’IA, mais il y a aussi un déficit numérique à combler dans de nombreuses sociétés.

On a tout de même plus de 50 entreprises partenaires comme Hydro-Québec, avec qui on développe des algorithmes qui vont permettre de prédire la radiance solaire afin de mieux gérer l’ensemble du réseau.

Ces grandes entreprises, comme le CN, font affaire avec notre équipe de chercheurs appliqués qui ont une dizaine de projets en cours.

On a aussi un partenariat avec la Caisse de dépôt, qui a accès à nos ressources technologiques et qui est installée sur place avec une vingtaine de start-up dans lesquelles elle a investi. On a aussi une équipe de chercheurs qui encadrent nos propres start-up, celles qu’ont mises sur pied nos chercheurs-étudiants.

Comment entrevoyez-vous l’avenir du Mila et de l’IA à Montréal ?

On est nous-mêmes une start-up. On s’est installés rapidement, il y a deux ans, on est dans l’opérationnalisation, et là, on veut accélérer notre rayonnement. On a la responsabilité de participer à la discussion publique pour mieux faire comprendre comment l’intelligence artificielle s’intègre à la vie et on doit aussi rendre plus fluides les avancées de l’IA pour nos entreprises.

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