La désinformation qui tue

« Nous ne combattons pas seulement une épidémie, nous luttons aussi contre une infodémie. Les informations fausses se propagent plus vite et plus facilement que ce virus, et elles sont tout aussi dangereuses. »

C’est ce que déclarait le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé à la mi-février.

Un mois et demi plus tard, j’aurais aimé vous dire que son constat était alarmiste. Mais… non. Plus que jamais, les théories du complot ont la cote. Les charlatans qui vendent de faux remèdes miracles se frottent les mains. Les fausses nouvelles mettent leurs plus beaux habits. Et tout ça est particulièrement inquiétant à une époque où l’information juste et rigoureuse n’est ni plus ni moins qu’une question de vie ou de mort.

L’infodémie, telle que la décrit l’OMS, se caractérise par une surabondance d’informations, parfois justes, parfois non, qui fait en sorte qu’il devient difficile pour les citoyens de s’y retrouver, de distinguer les sources crédibles et de s’en remettre aux directives fiables pour lutter efficacement contre la pandémie.

Assoiffés de nouvelles sur la COVID-19, les gens en confinement ont plus de temps pour s’informer. Mais ils ont aussi plus de temps pour se désinformer, en surfant dans les médias sociaux, terreau plus que jamais fertile pour les fausses nouvelles. Alors que les autorités de santé publique, ici et ailleurs, ont le nez collé sur leur fameuse courbe de coronavirus à aplatir, la courbe de désinformation monte et monte encore. Les journalistes décrypteurs de fausses nouvelles, dont il faut saluer le travail plus essentiel que jamais, en ont plein les bras.

Le phénomène n’est évidemment pas nouveau. Mais ce qui frappe, c’est sa fulgurance, remarque Marie-Ève Carignan, professeure au département de communication de l’Université de Sherbrooke. Avec une équipe de chercheurs de son université et des collaborateurs internationaux, la professeure Carignan mène une étude dans différents pays sur le niveau de confiance dans les sources d’information et l’adhésion à certaines fausses nouvelles liées à la COVID-19. 

« Les premières recherches qui sont sorties, notamment aux États-Unis et en France, montrent qu’il y a vraiment une adhésion rapide à différentes théories complotistes. Des théories similaires sur d’autres maladies qui ont pris des années à s’installer se sont installées en quelques semaines, super rapidement, parce que les gens consomment tellement d’information ! C’est ce qui est inquiétant. »

J’ai été renversée d’apprendre qu’en France, une personne sur quatre croit (à tort) que le virus a été créé en laboratoire. Chez les Américains, c’est environ 30 %.

Même dans les cas où la désinformation semble relativement inoffensive, les conséquences peuvent être très graves. Si quelqu’un croit dur comme fer qu’il est possible de tuer le virus en buvant des boissons chaudes ou de l’eau toutes les 15 minutes, comme l’affirment à tort des publications virales, a priori, cette personne ne risque pas grand-chose. Mais si ça lui procure un faux sentiment de sécurité qui fait en sorte qu’elle se sent autorisée à défier les directives de confinement de la Santé publique, ça devient plus dangereux.

L’adhésion à certaines théories conspirationnistes est souvent plus répandue chez les jeunes. Cela s’explique notamment par le fait qu’ils ont davantage tendance à bouder les médias traditionnels et à s’informer dans les médias sociaux.

Bien que l’OMS ait fait appel à la collaboration de Google, YouTube, Facebook ou Twitter pour enrayer la propagation de rumeurs et d’informations mensongères sur la COVID-19, ce type de stratégie n’a pas toujours l’effet escompté, observe Marie-Ève Carignan. 

« Même si Facebook retire maintenant des vidéos de fake news, le temps que ça circule, les gens y sont exposés. Et lorsque c’est retiré, cela crée une méfiance. Dans différents groupes qui adhèrent à des fausses nouvelles, on dit : “Dépêchez-vous de voir ça parce que ça va être retiré, vu que les autorités publiques essaient de cacher la vérité.” C’est comme si cette censure pour empêcher la circulation de fausses nouvelles réalimentait les théories complotistes. »

En janvier dernier, une étude publiée par la revue américaine Science Advances révélait que les utilisateurs de Facebook âgés de plus de 65 ans propagent sept fois plus de fausses nouvelles que les jeunes. Cela dit, jeunes ou vieux, nous sommes tous susceptibles de tomber dans le panneau.

Comment s’en sortir ? L’essentiel est d’apprendre à distinguer les sources d’information crédibles de celles qui ne le sont pas. Le remède, c’est l’éducation aux médias et à l’information.

D’intéressantes initiatives de lutte contre la désinformation comme le programme « 30 secondes avant d’y croire » de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) gagneraient à être offertes au plus grand nombre, croit Marie-Ève Carignan, qui est aussi directrice du Pôle Médias de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent.

Victime de son succès, le programme « 30 secondes avant d’y croire » n’arrive pas à répondre à la demande. Pour l’année scolaire 2019-2020, moins de la moitié (46 %) des 204 écoles secondaires qui souhaitaient offrir cette formation à leurs élèves y ont eu accès. La formation a aussi été offerte dans des cégeps, des universités et des résidences pour personnes âgées. « Depuis janvier 2018, on a rejoint près de 15 000 personnes. Ça répond à un réel besoin », souligne Ève Beaudin, journaliste à l’Agence Science-Presse et coresponsable de l’aile « éducation aux médias et à l’information » à la FPJQ.

En ce moment, dans les écoles du Québec, il n’y a malheureusement toujours pas de formation spécifique obligatoire sur la désinformation et les fausses nouvelles. Dans le programme du ministère de l’Éducation, l’éducation aux médias est considérée comme une compétence transversale.

« Des professeurs font des projets fantastiques, note Ève Beaudin. Mais ça reste des initiatives personnelles. Or, dans le contexte actuel où il est extrêmement difficile de distinguer le vrai du faux, ça devient essentiel. »

On comprendra qu’avec un calendrier scolaire complètement chamboulé par la pandémie, le ministère de l’Éducation a d’autres chats à fouetter en ce moment. Mais comme les crises sont aussi de formidables occasions d’apprentissage, pourquoi ne pas ajouter des outils d’éducation aux médias, comme le site de « 30 secondes avant d’y croire », sur le portail ecoleouverte.ca ?

Au cabinet du ministre Jean-François Roberge, on dit être conscient que ce savoir-faire est essentiel. D’autant plus que le ministre a lui-même fait les frais de l’épidémie de désinformation liée à la COVID-19. « Dans les derniers jours, nous avons pris connaissance de certaines tentatives de désinformation du public, notamment de fausses directives qui auraient été envoyées par le ministre Roberge, et nous les condamnons fortement », m’écrit son attaché de presse, Francis Bouchard.

Comme la plateforme L’École ouverte lancée lundi dernier a été mise sur pied dans l’urgence, on y a déposé en priorité les contenus relatifs aux matières obligatoires. Toutefois, on promet d’y ajouter sous peu du contenu visant l’éducation aux médias ainsi que d’inclure ce type de contenu dans la trousse pédagogique qui sera bientôt envoyée hebdomadairement aux parents.

L’autre bonne nouvelle, à plus long terme, c’est qu’on avait déjà prévu, avant même la crise de la COVID-19, dans le cadre de la révision du cours d’éthique et culture religieuse en vue d’en faire un cours davantage axé sur l’éducation citoyenne, rendre obligatoire le volet éducation aux médias.

En attendant, pour éviter de propager de fausses nouvelles, il serait bon de garder en tête un conseil tout simple qui vaut pour tous, petits et grands, rappelle Ève Beaudin. « De la même façon qu’on dit aux gens : “Lavez-vous les mains pendant 20 secondes”, il faut aussi leur dire : “Prenez vraiment 30 secondes pour vérifier la source. Trente secondes avant d’y croire.” »

Dans les deux cas, ça peut sauver des vies.

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