Chronique

L’armée de Dumbledore

C’est la journaliste Lisa Miller du site web The Cut qui a lancé l’idée. Et son idée n’est pas folle du tout. Elle concerne les jeunes activistes de Parkland, ceux qui ont perdu 17 de leurs camarades et enseignants lors de la fusillade à l’école secondaire Marjory Stoneman Douglas, le jour de la Saint-Valentin. Ces jeunes-là ont non seulement refusé de baisser les bras en créant le mouvement #neveragain, mais, par leurs discours empreints de colère et leur activisme teinté de solidarité, ils ont fait une brèche inattendue dans le droit inaliénable des Américains à être armés jusqu’aux dents.

Au lendemain de la tuerie de Parkland, alors qu’ils auraient dû être en train de panser leurs plaies et de pleurer leurs morts, ils ont préféré monter au front et clamer avec assurance et aplomb que les morts par balles dans les écoles devaient cesser à jamais.

En ce moment même, ces jeunes qui ont attaqué de front le président Donald Trump et la puissante National Rifle Association (NRA) veillent aux derniers préparatifs de la grande marche pour un contrôle plus strict des armes à feu qui aura lieu samedi à Washington et à laquelle George et Amal Clooney, Oprah Winfrey et Steven Spielberg ont déjà souscrit chacun un demi-million de dollars. Rien de moins.

La journaliste de The Cut a surnommé les jeunes rebelles de Parkland « l’armée de Dumbledore », allusion à l’armée née dans les pages de la saga Harry Potter.

Mais ce n’est pas seulement l’âge des jeunes héros et héroïnes de Parkland qui a inspiré la comparaison ; c’est aussi que ces jeunes ont grandi en lisant des histoires de superhéros du même âge qu’eux. Ils les ont vus, face à l’adversité, prendre leur destin en main et renverser les forces du mal.

Or, selon la journaliste de The Cut, si les jeunes de Parkland n’ont pas eu peur de prendre la parole et de dénoncer les trop nombreuses tueries dans les écoles, c’est parce qu’ils sont inspirés et influencés par les superhéros de leur enfance.

Pour en avoir le cœur net, la journaliste a tout bêtement posé la question à Emma González, considérée comme la leader, voire la Jeanne d’Arc, du mouvement #neveragain, celle dont le discours furieux au lendemain de la fusillade a enflammé les réseaux sociaux et les médias.

Emma lui a confirmé qu’elle avait lu tout Harry Potter et que les personnages qui avaient eu une influence marquante sur sa conscience sociale naissante, c’était Ginny Weasley – l’énergique sœur de Ron, la fondatrice, en somme, de l’armée de Dumbledore – et Luna, la jeune et blonde sorcière, la seule à croire avec Harry au retour de Voldemort.

Emma González n’est pas la seule. Anna Crean, une survivante de la tuerie âgée de 15 ans, a été encore plus directe et explicite dans sa réponse à la journaliste.

« Nous avons grandi avec des histoires d’ados égarés dans de lointaines dystopies, qui sont devenus les héros de leurs villes après les avoir sauvées du désastre. Et puis, nous avons vu notre vie de tous les jours se transformer en dystopie, et vous voulez qu’on ne fasse rien ? Nous savons que nous pouvons faire une différence parce que c’est exactement ce que les livres et les films de notre enfance nous ont enseigné », a-t-elle déclaré.

Samedi, l’armée de Dumbledore – la vraie et non la fictive – va prendre d’assaut Washington dès 10 h le matin. Des marches sont prévues au même moment à New York, Boston, Los Angeles, Miami, Chicago et dans d’autres villes du monde entier. Les protestations de milliers de jeunes accompagnés de leur famille vont résonner comme elles n’ont jamais résonné. De nombreuses célébrités ont déjà confirmé leur présence, malgré le désir des jeunes activistes de garder leurs distances pour ne pas se faire voler la vedette par Hollywood.

Ce n’est certes pas la première marche de protestation à converger à Washington pour prendre à partie le gouvernement et exiger des changements.

Mais c’est la première fois, ou à tout le moins une des rares fois, où l’on sent s’élever une détermination de fer de la part d’une génération qui n’est pas habituée à se faire dire non et qui n’a pas peur d’affronter le pouvoir politique et de lui demander des comptes.

Or, comment résister à des jeunes qui ne demandent rien d’autre que d’étudier en sécurité et de ne pas être obligés de risquer leur vie chaque fois qu’ils vont à l’école ?

On ignore si Donald Trump et les bonzes de la NRA ont déjà lu les aventures de Harry Potter. Chose certaine, l’armée de Dumbledore n’a pas fini de leur donner du fil à retordre jusqu’à ce qu’ils comprennent et acceptent de rendre les armes. Au propre comme au figuré.

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