Manque de contacts sociaux

Les tout-petits au temps de la COVID-19

La socialisation est au cœur du développement des enfants, qui s’opère à la vitesse grand V. Et pendant la pandémie, les tout-petits ont vu beaucoup moins de monde qu’en temps normal. Est-ce que des sphères de développement pourraient être touchées ? C’est possible, mais de façon temporaire, estime une chercheuse. Témoignages.

Cet été, à l’âge de 4 ans, Samuel a fait la première grande sortie de sa vie : le zoo de Granby.

L’occasion ne s’était pas présentée avant. Au printemps 2020, il y a eu le confinement, mais aussi la naissance de son petit frère. « On est restés ensemble quatre mois à la maison : pas de sorties au parc, pas de grands-parents », résume sa maman, Marie-Eve Bégin. Pendant la saison froide, la petite famille a aussi minimisé les contacts conformément aux mesures sanitaires. Samuel a donc l’habitude d’être dans sa bulle, à la maison ou au CPE. Sa sortie chouchou ? Aller à l’épicerie.

Cet été, le temps était venu pour Marie-Eve et son conjoint de faire découvrir les animaux à leurs deux garçons.

Dès leur arrivée, Marie-Eve a senti une fébrilité chez Samuel, qui s’étonnait de voir autant de gens. Il refusait aussi de mettre son bracelet d’entrée. Et sur place, sa fébrilité s’est transformée en grande excitation. Samuel semblait dépassé. « Trop de stimuli, trop de monde, trop de bruit. C’était juste trop pour lui », résume sa mère.

« En fait, j’ai l’impression qu’avec mon grand, on a raté beaucoup de premières », souligne Marie-Eve, qui trouve que son garçon, de nature timide, ne maîtrise pas encore les codes de la société.

Intégration difficile

Des cours de natation aux ateliers parents-enfants, Rachel faisait plusieurs sorties avec sa maman dans les premiers mois de sa vie. La pandémie a mis un terme à tout cela.

Quand le temps est venu d’entrer à la garderie, à l’âge de 1 an, Rachel n’avait pas vraiment côtoyé d’enfants depuis six mois. L’intégration a été pénible. « Elle s’est rapidement attachée à son éducatrice, mais... elle avait peur des autres bébés ! », résume Janie Harbec, qui trouve ça drôle quand elle en parle, mais qui la trouvait moins amusante à l’époque : « Les premiers jours, j’ai dû aller la chercher tant l’éducatrice avait de la difficulté à la calmer. Et pendant plusieurs semaines, elle pleurait dès qu’un enfant s’approchait d’elle. »

Le bruit faisait peur à Rachel, habituée au calme de la maison. Encore aujourd’hui, elle refuse de se faire toucher par les étrangers et se laisse très peu prendre par les membres de la famille qu’elle a peu côtoyés pendant la pandémie.

Éducatrice en CPE depuis 29 ans, Isabelle Laurence n’a jamais connu un groupe comme celui de l’an dernier : la moitié des enfants (4-5 ans) présentaient une grande timidité, proche de l’anxiété, dit-elle. « Quand je leur demandais d’aller demander quelque chose à la directrice, ils avançaient timidement dans le corridor, avaient de la difficulté à faire la demande et revenaient presque à la course. Même dire bonjour, le matin, pouvait être difficile. »

Des sphères à regarder

Il est difficile de départager les effets de la pandémie de ceux liés au tempérament propre à l’enfant. Dans le cadre de ce reportage, plusieurs parents et éducatrices ont dit que le manque de contacts sociaux ne semblait pas avoir eu d’impact sur leurs tout-petits. Le petit frère de Samuel, Rémi, est quant à lui plutôt sociable, souligne Marie-Eve Bégin.

Il y a encore très peu de recherches sur lesquelles on peut s’appuyer clairement, note la neuropsychologue Miriam Beauchamp.

« Il y a des sphères du développement qui pourraient être touchées, à différents degrés, et qui seraient à surveiller par les parents, mais c’est le temps qui nous dira quels sont les réels effets et combien de temps ils vont durer. »

— Miriam Beauchamp, professeure au département de psychologie de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine

Miriam Beauchamp note d’abord la question de l’attachement. Le contact avec les parents a été maintenu (voire augmenté !) pendant la pandémie, mais avec les autres, beaucoup moins : grands-parents, éducateurs, amis, étrangers... « Cette exposition les amène à comprendre la sécurité d’être avec leur parent, à ne pas avoir peur d’aller vers certaines personnes, à retourner vers les parents ou leurs grands-parents s’ils sont nerveux », énumère Miriam Beauchamp.

La deuxième sphère à regarder, c’est celle du toucher. Pendant le confinement, l’équipe de Miriam Beauchamp a sondé des enfants de 5 à 14 ans, et l’un des grands thèmes qui sont ressortis, c’est qu’ils s’ennuyaient de faire des câlins à leurs amis. Les tout-petits ont peut-être aussi souffert de ce manque de proximité physique, suggère la chercheuse.

Miriam Beauchamp signale aussi la cognition sociale, c’est-à-dire les habiletés qui permettent d’entrer en relation avec les autres de façon harmonieuse : reconnaître les émotions des autres, comprendre leur intention, s’imaginer à leur place... Ces habiletés se développent dès la naissance et de façon importante entre l’âge de 3 et 5 ans. « Pour les développer, il faut interagir avec des gens, être exposé à différents visages », souligne-t-elle.

Enfin, il y a la sphère des apprentissages, qui pourrait être touchée par la suspension des activités de loisirs et la fermeture des infrastructures. Cet été, à la piscine, Janie Harbec a constaté que Rachel était craintive dans l’eau, ce qu’elle n’était pas avant. « Je trouve que nous avons perdu des acquis », résume-t-elle.

Par ailleurs, l’isolement social est aussi associé à un risque plus élevé de dépression et de troubles anxieux, « durant la période où l’enfant est isolé, mais aussi parfois des années plus tard », souligne Fannie Dagenais, directrice de l’Observatoire des tout-petits.

Des effets transitoires

Le vrai confinement s’est concentré sur une courte période. Depuis, la majorité des familles ont exposé leur enfant à plus de contacts sociaux. « C’est pour cette raison qu’on pense que, s’il y a des effets, ils vont être transitoires », souligne Miriam Beauchamp.

Des facteurs peuvent aussi limiter les impacts de l’isolement, comme la présence d’une fratrie et l’âge des enfants (les effets pourraient être moindres chez les bébés). « Les enfants pour qui on s’inquiète un peu plus, ce sont ceux qui ont été isolés plus longtemps, ou ceux qui avaient déjà des facteurs de risque de vulnérabilité », dit-elle.

La neuropsychologue demeure optimiste : les tout-petits sont capables d’apprendre des choses extrêmement rapidement et il y aura un réapprentissage, selon les niveaux d’exposition prochains. La petite Rachel, qui a tout juste 2 ans, est de plus en plus à l’aise avec les autres enfants. « Ça se rattrapera », dit sa mère. Marie-Eve Bégin aussi regarde vers l’avenir. « Et il va falloir continuer à habituer Samuel à aller dans des lieux publics, parce qu’on ne veut pas qu’il devienne sauvage ! », dit-elle en riant.

Milieu défavorisé

La pandémie n’a pas seulement limité le nombre de contacts sociaux chez les plus petits : elle a aussi ébranlé plusieurs déterminants du bien-être des enfants, comme le revenu familial, l’accès à un logement décent, les pratiques et le stress des parents, souligne Fannie Dagenais, directrice de l’Observatoire des tout-petits. « Ce n’est pas tant chaque élément que l’accumulation de tout ça », dit-elle. L’impact de ce cocktail de facteurs s’est fait davantage sentir chez les enfants en milieu défavorisé, selon Nathalie Martel, éducatrice spécialisée. Jusqu’à récemment, elle travaillait dans une garderie de l’Estrie qui accueille notamment des enfants suivis étroitement par la DPJ. « Plus d’anxiété, plus de pleurs, plus de problèmes de comportement », résume Mme Martel, selon qui l’équipement de protection exhaustif requis au départ rendait le contact plus difficile. Les retards de développement, surtout sur le plan du langage, se font toujours sentir aujourd’hui, dit-elle.

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