Santé mentale

Quand son parent ne va pas bien

Terrible. Pour les jeunes qui ont un parent ayant un trouble de santé mentale, cette période de pandémie doit être « terrible », résume le producteur et animateur Jean-Philippe Dion, qui est bien placé pour en parler : il a grandi auprès d’une mère ayant lutté contre des épisodes de dépression grave.

« C’est ce à quoi je pense depuis le début du confinement, au printemps passé, parce que la soupape est très difficile à trouver pour ces jeunes, confie Jean-Philippe Dion. Tu es confiné avec tes parents 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Et ça se peut que ton parent n’aille vraiment pas bien. C’est triste, mais la semaine de sensibilisation arrive à un fichu bon moment. »

Cette semaine de sensibilisation, qui commence aujourd’hui, c’est celle du réseau Avant de craquer, qui offre gratuitement du soutien à l’entourage des personnes ayant un trouble de santé mentale. Jean-Philippe Dion en est le porte-parole. Cette année, la campagne a pour thème « J’aide sans filtre » et vise les 18-25 ans.

Des initiatives seront déployées au courant de la semaine, dont la publication, mercredi, du guide Quand ton parent a un trouble mental. Le document a été préparé par Aude Villatte et Geneviève Piché, professeures au département de psychologie et de psychoéducation de l’Université du Québec en Outaouais. Il donne aux jeunes des conseils pour comprendre son parent, l’aider et préserver son propre équilibre.

Des jeunes ont contribué à l’élaboration du guide, dont Joany Roussel, 25 ans. C’est à l’adolescence qu’elle a pris conscience que sa mère, Lyze, avait quelque chose de différent des autres. Le diagnostic viendra quelques années plus tard : sa mère a un trouble bipolaire.

Joany s’est longtemps sentie seule à vivre une telle situation.

« Ça m’a amenée à me poser beaucoup de questions. Est-ce que moi aussi, je vais être comme ça plus tard ? Est-ce que je vais avoir un bon travail ? Est-ce que je devrai être derrière ma mère toute ma vie ? Et quand je vais partir de la maison, comment ça va se passer avec mes petits frères ? »

— Joany Roussel

Jean-Philippe Dion est passé par les mêmes questionnements. « Vais-je être capable d’évoluer, de réussir, de grandir ? » résume le producteur, dont la mère est tombée malade pour la première fois après l’avoir mis au monde.

Quand leur parent a un trouble de santé mentale qui atteint son fonctionnement de façon marquée, les enfants peuvent être appelés à prendre beaucoup de responsabilités dans la maison, voire se sentir hyper responsables, souligne la professeure Aude Villatte. « Chez les jeunes en transition vers l’âge adulte, les responsabilités sont souvent énormes », dit-elle. Les jeunes peuvent aussi avoir tendance à repousser leurs projets. « Quand tu as 16, 17 ans, on te demande ce que tu veux faire dans la vie. Moi, dans ma tête, je me disais que ma mère avait besoin de moi », dit Joany, qui s’est beaucoup occupée de ses petits frères à la maison quand sa mère n’allait pas bien.

Jean-Philippe Dion a lui aussi développé rapidement son autonomie. Son métier de producteur, dit-il, s’est construit pendant son enfance.

« À 14, 15 ans, je préparais les chèques à mon père pour qu’il signe les comptes, je préparais à manger à ma mère, des fois, quand elle revenait à la maison la fin de semaine si elle était hospitalisée. »

— Jean-Philippe Dion

Si la personne souffrant d’un trouble de santé mentale a besoin de son entourage, de son soutien, de son amour, le jeune ne doit pas pour autant s’oublier, note Aude Villatte. L’idée, dit-elle, c’est d’être capable de mettre ses limites et d’aller chercher du soutien de l’entourage, mais aussi de l’aide extérieure, au besoin. L’apprentissage de ces réflexes est d’autant plus important que ces jeunes sont statistiquement plus sujets à développer des troubles à l’adolescence et à l’âge adulte, souligne Geneviève Piché.

Les deux chercheuses constatent que les mesures d’isolement liées à la COVID-19 amplifient les difficultés vécues chez ces jeunes, tant chez ceux qui habitent chez leurs parents, confrontés aux effets de l’anxiété à la maison, que chez ceux qui n’habitent plus avec leurs parents, inquiets et désolés de ne pouvoir être plus présents. « Je suis venue aux nouvelles auprès de ma mère assez régulièrement, confie Joany Roussel, mais heureusement, elle a bien vécu le confinement. »

Joany est aujourd’hui ambassadrice pour le réseau Avant de craquer. « J’ai décidé d’en parler. Ma vie, c’est ça. C’est ce qui fait que je suis rendue la personne que je suis aujourd’hui, et je suis fière de qui je suis rendue, dit l’adjointe administrative, qui souhaite poursuivre sa formation à l’université. Et je suis fière de qui ma mère devient, aussi. Parce que c’est elle qui a fait le gros du travail. »

Avant de craquer…

Le réseau Avant de Craquer regroupe 41 associations au Québec

Ligne de référence : 1 855 272-7837 (1 800 CRAQUER)

Le guide sera offert dès mercredi sur les sites d’Aider sans filtre et d’Avant de craquer

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