Passion Lego

Adultes et mordus de Lego

De plus en plus, les adultes affichent sans gêne leur passion pour les Lego, qu’ils soient animés par la nostalgie ou par le désir du collectionneur. Portraits.

Catherine Hallé

L’investisseuse avertie

Après avoir vu le père d’une amie à l’œuvre il y a une dizaine d’années, Catherine Hallé s’est aperçue que les collectionneurs les plus habiles pouvaient faire un peu d’argent en misant sur le marché de la revente de Lego.

Évidemment, ça a aussi eu l’effet collatéral de rallumer sa passion pour les petits blocs, elle qui n’avait pas touché au jouet depuis l’âge de 15 ans. « Je suis allée à la boutique Lego de Laval, j’ai tellement capoté que je voulais tout acheter dans le magasin, se rappelle-t-elle. J’ai finalement choisi un gros ensemble de Star Wars, un village Ewok que j’ai aussitôt monté. »

L’approche de Catherine Hallé est néanmoins tout sauf impulsive.

« Pendant trois ans, j’ai étudié le marché, je regardais les ensembles qui sortaient, ceux qui étaient discontinués, je regardais l’évolution des prix dans le temps. Quand j’ai commencé à être adroite pour prévoir leur valeur, je me suis mise à acheter pour revendre. »

— Catherine Hallé

Consignée dans un fichier constamment mis à jour, sa collection actuelle de 485 ensembles neufs vaut autour de 25 000 $, alors qu’elle lui a pourtant coûté environ 17 000 $ à l’achat. Elle a effectué exactement 155 ventes depuis qu’elle a lancé sa boutique en ligne en 2016. « En moyenne, je dépense de 3000 $ à 4000 $ en Lego annuellement, nous dit la jeune femme de 35 ans qui bénéficie aujourd’hui d’un accès VIP lors du dévoilement de nouveaux ensembles Lego. Mais avant d’acheter, je consulte des sites d’investisseurs. On trouve parfois des rumeurs qui proviennent de chez Lego, des informations sur des ensembles qui vont rester très longtemps ou d’autres qui seront bientôt réédités, ce qui influence beaucoup la valeur des modèles. »

Lego se tient par ailleurs très au courant du marché secondaire, alors pas étonnant que la multinationale danoise soit aujourd’hui propriétaire du site de revente bricklink.com, qui héberge justement la boutique en ligne de Catherine Hallé. C’est aussi le bon endroit pour connaître le stock des pièces de Lego, même chose pour le site indépendant brickset.com, qui compte actuellement au-delà de 240 000 membres.

Catherine dit mettre plusieurs heures par semaine à éplucher les différents sites de revente. « Quand il y a des nouveaux Lego qui arrivent sur le marché, je peux passer facilement trois ou quatre heures à les analyser, et je fouille aussi pour des aubaines au moins une fois par semaine sur les sites de petites annonces.

« Je joue un peu à la Bourse avec mes Lego, illustre-t-elle. Oui, il y a un facteur risque, je perds parfois de l’argent, mais je maintiens jusqu’à maintenant un rendement de 30 % de profit. Mais ça reste bien sûr un hobby, je le vois comme un loisir. Et si jamais je me trompe et que l’ensemble que j’ai acheté 400 $ perd de la valeur, eh bien, j’ai un maudit beau jouet, je le trouve super cool, je le monte et je le mets bien en vue. Je vais avoir eu du fun, je n’ai vraiment rien à perdre ! »

Philippe Desmarais

Le nostalgique décontracté

Enfant, Philippe Desmarais ne jouait à rien d’autre qu’avec des Lego. C’est la nostalgie qui l’a convaincu de recommencer à construire des modèles. « Lego joue beaucoup sur ça, ils ont ajusté leur offre pour justement répondre aux demandes des adultes qui étaient des enfants à l’époque », explique le quadragénaire montréalais.

Ainsi, après avoir acheté sur un coup de tête un premier Lego qu’il a aussitôt donné à un neveu, il est tombé par hasard sur ce qui allait véritablement relancer sa passion pour les petites briques de couleur. « Je me promenais dans un magasin et, comme à mon habitude, je suis passé par la section des Lego, par simple curiosité. C’est alors que j’ai vu le module lunaire de la NASA. Je pense que j’ai saigné du nez ! C’est là que j’ai réalisé que je venais d’ouvrir une petite boîte de Pandore. »

Philippe a depuis décidé de n’acheter que des Lego NASA, qu’il expose fièrement au sommet de sa bibliothèque – ça lui permet aussi de limiter ses élans. « Je m’intéresse beaucoup à la science, j’adore la vulgarisation scientifique et pour moi, la conquête de l’espace, c’est le trip ultime, admet-il. Ça vient frapper dans ma fibre nostalgique à fond la caisse et en plus, ces modèles sont, selon moi, extrêmement spectaculaires. C’est quelque chose que j’aime regarder, ça me fait plaisir. »

Non seulement Philippe s’étonne-t-il de la simplicité et de l’intelligence derrière la conception des ensembles Lego – « avant que ça ressemble à une fusée, ça ne ressemble à rien, jusqu’à ce que ça prenne forme, et là, tu as l’impression de découvrir le Klondike ! » –, mais encore il adore le fait que les manuels d’instructions de modèles de la NASA soient accompagnés de véritables extraits de documentation historique. « Il y a par exemple des représentations d’ébauches de la fusée Saturn 5, des photos, un résumé de comment le programme Apollo a été mis en branle, etc. Ils ont réellement créé un très beau produit. Et moi, ça me parle doublement. »

En plus d’être responsable d’un service de garde, Philippe Desmarais offre ses services de vulgarisateur historique en milieu scolaire. Et il n’hésite pas à utiliser ses Lego.

« C’est un outil qui va chercher autant le loisir intellectuel profond que ludique. C’est un excellent angle d’apprentissage pour les enfants. Le jeune qui demande une fusée Saturn à Noël ne le fait pas seulement pour jouer, mais aussi pour ce que ça représente, parce que je lui ai transmis cet intérêt-là. »

— Philippe Desmarais

« Quand je parle de ma passion pour la conquête spatiale, je suis enthousiaste, mais quand je dis que j’ai des Lego de la NASA à la maison, ça vient allumer encore plus la passion chez certains des élèves, poursuit-il. Les enfants comprennent ainsi qu’un intérêt scientifique peut s’extrapoler vers quelque chose de très ludique. »

Marc-André Caron

Le pédagogue inventif

Depuis 2011, les films d’animation signés Monsieur Caron ont été vus par plus de 40 millions d’internautes.

Les « brickfilms » de Marc-André Caron ont en effet connu un franc succès. Il a d’ailleurs réalisé en 2015 quelques films avec ses Lego pour la section des sports de La Presse. « Pour les courts métrages, tu ne fais qu’utiliser des décors partiels, mais quand tu joues aux Lego, tu veux faire de véritables maquettes, explique Marc-André. Je me suis donc mis à faire de la maquette pour m’amuser et c’est là que j’ai découvert le groupe QueLug [le Québec LEGO User Group] et que j’ai pu voir ce que les autres passionnés de Lego faisaient. »

Il s’est aussi mis à fréquenter les expositions, faisant connaissance avec le regretté Jonathan Bussières, qui est mort en juin dernier des suites d’un cancer. Les deux amis ont ainsi mis sur pied l’exposition Ciné-Brique, devenue Brickomanie à partir de 2017, quand Marc-André Caron s’est vu offrir un job de rêve. « J’ai reçu le courriel d’un ami qui quittait le distributeur de matériel scolaire Brault et Bouthillier ; ils cherchaient quelqu’un pour prendre sa place, se rappelle l’enseignant de formation. Sa place, c’était de montrer aux profs comment jouer aux Lego ! »

« C’est drôle parce que quand j’étais jeune, mon père me disait : “As-tu fait tes devoirs, parce que tu ne gagneras pas ta vie en jouant aux Lego !” Quand j’ai été embauché, j’ai pris le téléphone, j’ai appelé mon père et je lui ai dit : “Devine quoi ! Aujourd’hui, je gagne ma vie en jouant aux Lego !” »

— Marc-André Caron

En enseignant les rudiments de la robotique aux professeurs du primaire et du secondaire, il est en quelque sorte devenu l’ambassadeur québécois de Lego Education – en 2017, il s’est d’ailleurs rendu à la maison mère de Billund à l’occasion de la première conférence internationale de la division vouée à la production d’outils pédagogiques pour les écoles. « Il y a moins de dix ans, les profs devaient sortir le bois et les outils pour réaliser un bras robotisé, ça prend du temps et des ressources, soutient Marc-André. Avec les Lego, l’enfant prend moins de temps à assembler son projet, il va aller chercher sa fonction plus rapidement, c’est du prototypage instantané. »

« Le Lego est en fait devenu la porte d’entrée de la robotique, un peu comme un journal étudiant l’est pour le journalisme. »

— Marc-André Caron

Entre deux séances de formation, Marc-André se permet de continuer à jouer aux Lego. « J’ai voulu relever mes propres défis, amener le robot au-delà de ses propres limites, admet-il, sourire en coin. En tant qu’adulte, on pousse la démarche beaucoup plus loin, et j’aime ça, le challenge. Je suis justement en train de construire une gare où l’on va charger et décharger des wagons automatiquement, c’est un défi que je me suis lancé. Mais ça, ce sont mes vacances. »

Robert Rollin

Le collectionneur créatif

« Je sortais de ma passion de tuning automobile quand je suis entré dans un Toys “R” Us et que j’ai aperçu par hasard un TIE Fighter Advanced », se souvient Robert Rollin en parlant du premier Lego qu’il a acheté, à 51 ans.

« Il y avait un trou dans la boîte, j’ai demandé ce que je pouvais faire s’il manquait des pièces. On m’a suggéré d’aller voir la représentante de Lego, qui était justement sur place ! Elle m’a donné un catalogue avec ses coordonnées et m’a invité à la contacter au besoin. Je me suis aperçu que certaines pièces n’étaient pas de la bonne couleur, j’ai donc écrit à Hélène et quelques jours plus tard, je recevais les briques à la maison. Quelques jours plus tard, c’est la réédition du Faucon Millénaire qui était lancée, à 649 $. J’ai décidé de l’acheter et c’est là que j’ai eu la piqûre. »

L’année suivante, en 2009, Robert achetait pour plus de 11 000 $ de Lego, tous du thème Star Wars. Sa collection s’est diversifiée depuis, bien qu’il ait toujours un faible pour les Lego de la gamme Technic.

« J’ai fait mon dernier inventaire en 2019, j’avais alors pour 234 000 $ de Lego chez moi, en valeur du marché. »

— Robert Rollin

« C’est certainement plus que ça maintenant », assure-t-il en nous montrant la collection qui occupe toutes les pièces de son modeste quatre et demi de Laval.

« Quant aux pièces individuelles, j’en ai des millions. Tu me demandes un morceau, je vais aller te le chercher ! »

Robert Rollin a en effet aménagé un mur complet de tiroirs où il classe ses pièces par grandeurs et couleurs. C’est très utile parce que l’homme de 64 ans a commencé à modifier des modèles, suffisamment pour qu’ils soient considérés comme des MOC, l’abréviation consacrée pour « My Own Creation » [ma propre création]. C’est notamment le cas de son superbe Faucon Millénaire noir, qui compte maintenant 11 500 pièces à la place des 5400 du modèle original.

Ses pièces détachées lui ont aussi permis de réaliser une spectaculaire mosaïque du Hulk Buster, construite au terme de plus de 200 heures de travail, dont quelques nuits blanches, selon le principal intéressé. « Je l’ai terminée en juin, elle compte exactement 29 515 pièces, explique Robert. Je me suis inspiré d’une affiche qui venait de l’ensemble Hulk Buster ; j’ai téléchargé la photo et j’ai obtenu sa modélisation en pièces Lego via le site bricklink.com. C’était toutefois un modèle fait avec des plaques. Moi, j’ai voulu le réaliser uniquement avec des pièces 1x1. »

Robert Rollin ignore combien de temps il va encore consacrer à sa collection, mais il est conscient qu’il devra commencer à diminuer le rythme – « j’ai assez de Lego pour remplir une maison complète », soutient-il en riant. « À date, je n’ai pas été obligé de limiter mes achats, mais d’ici deux ans, je vais sans doute commencer à ralentir… admet-il. Ma fille m’avertit déjà qu’elle ne reprendra pas ma collection, elle va la vendre. J’ai toutefois gardé certains modèles de voitures sport pour mon petit-fils. Son père est camionneur, et comme j’adore moi aussi les voitures, je suis pas mal sûr qu’il va aimer ça, du moins, je le pense ! Mais bon, s’il veut les vendre, il le fera, je n’ai aucun problème avec ça ! »

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