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Quand un groupe de personnes se ligue contre une autre pour l’exclure, parfois sans motif sérieux, on peut parler de mobbing, une stratégie connue du milieu universitaire.

Rumeurs d’inconduite sexuelle

Trois étudiantes de l’UQAM suspendues pour mobbing

Le service de prévention du harcèlement de l’UQAM a dû consacrer plus de 200 heures pour gérer une situation de harcèlement psychologique de groupe – ou mobbing – par laquelle trois étudiantes en théâtre ont interdit aux hommes de leur cohorte de collaborer avec un étudiant qui faisait l’objet de rumeurs d’inconduite sexuelle.

Dans le cadre de cette affaire, le Bureau d’intervention et de prévention en matière de harcèlement psychologique (BIPH) dit dans une déclaration sous serment avoir fait 70 rencontres avec 15 membres de la cohorte, ainsi qu’avec le personnel enseignant de l’École supérieure de théâtre, pour tenter de trouver une solution.

Les évènements remontent à la rentrée universitaire de 2021. Après avoir vu le nom de l’étudiant en jeu théâtral sur le site de dénonciation anonyme Dis son nom, une des étudiantes a écrit un message à tous les hommes de la cohorte indiquant que les femmes du groupe ne souhaitaient pas collaborer avec l’étudiant dans un « contexte professionnel ou social » compte tenu des allégations de violence sexuelle.

Lancé en août 2020, Dis son nom s’est donné pour mission de dénoncer anonymement de « potentiels agresseurs ». Il a compté jusqu’à 1500 noms. Le site ne vérifiait pas la véracité des allégations et a fait l’objet de plusieurs poursuites en diffamation.

Les étudiantes en théâtre n’ont jamais communiqué avec la plaignante anonyme pour connaître la nature des allégations publiées contre leur confrère.

Elles ont ensuite rencontré l’étudiant : « On lui a dit qu’on n’avait pas de solution, mais qu’on n’était pas bien » en sa présence, résume une des trois étudiantes dans des documents déposés en cour. « J’ai rencontré [l’étudiant] pour lui suggérer de quitter l’UQAM [et] d’aller à une autre école », explique une deuxième.

Quinze étudiantes ont ensuite signé une pétition indiquant qu’elles refusaient de collaborer avec l’étudiant dans le contexte universitaire. La « sécurité émotive » du groupe était « inatteignable » en raison de sa présence, ont-elles justifié.

Elles ont aussi créé un groupe de clavardage intitulé « La Résistance », dont les discussions visaient à « planifier des actions d’exclusion » contre le collègue, selon l’UQAM.

« Cris de colère »

La directrice du BIPH a alors rencontré l’ensemble de la cohorte, en l’absence de l’étudiant, pour trouver une solution. La rencontre a été ponctuée de « cris de colère » de personnes ayant vécu des traumatismes, selon le témoignage d’une étudiante.

La doyenne a également envoyé des courriels d’avertissement et une lettre formelle aux étudiantes, demandant qu’elles arrêtent d’attaquer l’étudiant, mais sans succès.

Dans l’année suivante, des membres du groupe ont adopté des comportements similaires avec un autre étudiant de la cohorte, selon les documents de cour.

MChristina Mageau, avocate spécialisée en harcèlement psychologique mandatée par le BIPH, a enquêté sur la situation et conclu que la dynamique a créé un « climat d’étude néfaste », marqué par l’acharnement de trois étudiantes contre différents membres de la cohorte.

Malgré des excuses et un désir de réconciliation que les étudiantes ont fini par exprimer à l’égard de l’étudiant, les trois étudiantes ont été suspendues et on leur a interdit l’accès au campus de l’UQAM, en septembre 2023, pendant une session complète.

Les étudiantes ont contesté leur suspension devant les tribunaux, reprochant à l’UQAM et au BIPH une « gestion déficiente » ainsi qu’une sanction « disproportionnée » et « draconienne ».

« J’aurais dû être à l’écoute davantage lors des rencontres avec le BIPH », a écrit l’une d’elles, dans une lettre adressée à la direction.

Elles se sont plus tard désistées du recours qu’elles avaient intenté.

Le mobbing, un « meurtre social »

Peu connu au Québec, le harcèlement de groupe, ou mobbing, est bien documenté dans le milieu universitaire et dans le secteur de la santé. La politologue Eve Séguin, spécialiste de la question à l’UQAM, décrit le phénomène comme du « terrorisme organisationnel » ou une forme de « meurtre social ».

Vous employez des mots extrêmement durs pour décrire ce phénomène peu connu. Est-ce justifié ?

Le mobbing est une stratégie de groupe qui vise à se débarrasser d’une personne dans une organisation. Et pour y arriver, tous les moyens sont bons. Le groupe emploie une justice de meute, qui vise à isoler la cible. Je n’hésite pas à parler de « terrorisme organisationnel » parce que les personnes du groupe qui en sont témoins se rendent compte que très rapidement, si elles n’y participent pas, elles vont elles aussi devenir des cibles. Les gens ont peur.

En quoi est-ce différent de l’intimidation ?

Les deux sont des méthodes de harcèlement psychologique, mais pour qu’on parle de mobbing, il faut que l’autorité en place se range du côté de ceux qui font le bullying. Dans les cas les plus graves, la cible ne peut plus se tourner vers personne, elle n’a aucune bouée de secours. C’est une situation invivable qui peut mener au suicide. L’autorité peut se ranger du côté des mobbeurs de façon passive, en détournant le regard, ou de façon active, en cherchant aussi à se débarrasser de la personne.

Vous dites que le recrutement de l’instance d’autorité se fait souvent par une communication non éthique. Que voulez-vous dire par là ?

Essentiellement, le groupe répand une rumeur, qu’il partage avec les personnes en situation de pouvoir. C’est une arme fondamentale dans le mobbing. Pour la direction, c’est inconfortable à gérer et ça enfle. Souvent, ça pousse l’équipe de direction à avoir une première rencontre avec la cible, ce qui la déstabilise et la fragilise. La personne peut alors décider de se retirer d’elle-même, en démissionnant, en partant en congé prolongé, en prenant sa retraite… ou pire.

Les allégations de nature sexuelle contre les cibles sont-elles fréquentes ?

Nous vivons dans une société néo-moraliste où, dès que tu touches au sexe, tu peux dire n’importe quoi. C’est une des meilleures armes du mobbing. Dans ce que j’appelle la gauche identitaire, on associe beaucoup la sexualité au harcèlement sexuel. N’importe quoi de lié de près ou de loin à la sexualité est considéré comme menaçant pour les femmes.

Que peut faire une personne qui constate des gestes ou des comportements qui peuvent ressembler à du harcèlement de groupe ?

Assurez-vous de ne jamais agir seul, parce que vous allez vous aussi devenir une cible. On peut ouvrir les yeux de l’autorité en place en agissant à plusieurs. Une bonne mesure à mettre en place dans une organisation est aussi de s’assurer que tout le monde puisse parler de tout, sauf des autres collègues. Toutes les discussions sont bonnes autour de la machine à café, sauf celles qui concernent des rumeurs au sujet des autres.

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