Il y a 25 ans, la mort tragique de Lady Di

Lady Di, le grand mythe

Il y aura 25 ans, le 31 août 1997, Diana Spencer, princesse de Galles, mourait tragiquement à Paris. Quelle place a-t-elle gardée auprès du public et comment son souvenir se perpétue-t-il ? La Presse en a discuté avec quelques experts.

Un dossier d'André Duchesne et de Jean-Christophe Laurence

« Une princesse généreuse... et malheureuse »

Il est minuit vingt-trois, heure de Paris, le dimanche 31 août 1997, lorsque la Mercedes S280 transportant Diana Spencer et son amoureux Dodi al-Fayed percute le treizième pilier du tunnel passant sous le pont de l’Alma. Le chauffeur Henri Paul, qui tentait de fuir une meute de paparazzis, meurt sur le coup. Dodi al-Fayed aussi.

Gravement blessée, Diana est transportée à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, dans le 13e arrondissement de Paris. Elle est opérée d’urgence. Peine perdue. À 4 h, son décès est annoncé. Lady Di avait 36 ans.

Dans les heures qui suivent, un tsunami médiatique balaie la planète. Les yeux rougis tournés vers Londres, le monde entier pleure Diana, princesse du peuple. Ses funérailles, le 6 septembre, sont suivies par près de 2,5 milliards de personnes.

« À Kensington Palace […] qui était la résidence officielle de la princesse de Galles, ce n’est plus un tapis, c’est un champ immense de bouquets et de messages qui entoure le palais », écrit Louis-Bernard Robitaille, correspondant de La Presse à Paris et dépêché dans la capitale anglaise.

Vingt-cinq ans plus tard, Diana reste dans les mémoires. Des dizaines d’ouvrages et de films lui sont consacrés. Des vêtements, bijoux et objets de collection s’inspirent de sa vie, reproduisent son visage.

Comment est-elle demeurée aussi populaire ?

« Parce qu’elle se démarquait du reste de la famille royale, répond Marc Laurendeau, journaliste et analyste de la monarchie. Elle dépoussiérait la monarchie et n’était pas emprisonnée par le protocole. Et, c’est capital, elle avait de la compassion. On l’a vue aller dans un hôpital s’asseoir avec un sidéen, lui tenir la main. Plus tard, on l’a vue rencontrer des victimes des mines antipersonnel en Yougoslavie. »

Son souvenir va toujours rester, poursuit M. Laurendeau.

« Diana est un grand mythe. Comme au théâtre et au cinéma. Elle est la princesse généreuse. Et malheureuse. Alors qu’elle aurait dû être heureuse. »

— Marc Laurendeau, journaliste et analyste de la monarchie

À travers ses fils

Historienne et spécialiste de la royauté à l’Université de Toronto, Carolyn Harris estime que « son héritage est plus complexe de nos jours ».

« À sa mort, l’accent a été mis sur Diana, victime des paparazzis. Mais de nos jours, on s’interroge davantage sur ses relations avec la presse, poursuit-elle. Par contre, dans la culture populaire, on lui reste très sympathique. »

Marc Laurendeau fait un constat semblable.

« Elle a été victime des médias. Certains la pourchassaient de façon horrible. Mais elle manipulait aussi les médias. Elle savait se mettre en scène et jouer avec l’opinion publique. Elle pouvait s’entendre avec les médias pour se faire prendre en photo à tel endroit et pas un autre. »

— Marc Laurendeau, journaliste et analyste de la monarchie

Ses fils ont aussi révélé qu’elle avait des problèmes d’équilibre mental, note M. Laurendeau. « Harry est très sensibilisé à cela », dit-il.

À propos de ses fils, Carolyn Harris estime qu’ils sont des vecteurs du souvenir de Diana. « En raison de leur profil public, on s’intéresse à la façon dont Diana les a influencés et donc a influencé l’avenir de la monarchie, dit-elle. Tous deux évoquent souvent cette influence. Tous deux ont donné Diana comme second prénom à leurs filles, la princesse Charlotte et Lilibet. On s’intéressera à elle aussi longtemps que les fils seront dans l’œil du public. »

C’est aussi l’avis d’André H. Caron, professeur émérite au département de communication de l’Université de Montréal.

« Après sa mort, on s’est mis à suivre ses deux fils. La presse s’est repliée sur eux. Les médias ont comparé leurs épouses à Diana. Et cela nous faisait penser à elle. Donc, elle n’est jamais disparue. »

— André H. Caron, professeur émérite à l’Université de Montréal

Marc Laurendeau relève que l’héritage de la princesse à ses fils est « scindé en deux ». William a le côté plus conventionnel alors que Harry a le côté plus délinquant.

« Jusqu’à maintenant, c’est Harry et Meghan [Markle] qui ont fait la manchette, constate-t-il. Pensez à l’entrevue avec Oprah Winfrey, l’évocation du racisme dans la famille royale. La presse à potins n’a pas lâché Meghan avec des controverses la concernant. Aux funérailles du prince Phillip, on se demandait si Meghan et Harry seraient là, si Harry allait parler à William. Il est devenu le pôle d’attraction. »

L’effet The Crown

Chez les jeunes adultes, la mémoire les a rejoints, entre autres, par des ouvrages, des documentaires et des films de fiction. Par exemple, Netflix a ramené Diana (incarnée par Emma Corrin) dans la lumière à l’automne 2020 avec la quatrième saison de la série The Crown. Désormais interprété par Elizabeth Debicki, son personnage reviendra dans la saison 5, qui sortira en novembre.

« The Crown a ravivé l’intérêt pour Diana comme membre de la famille royale, notamment auprès du jeune public, croit Carolyn Harris. Cela a suscité discussions et débats sur la façon dont Diana a été interprétée et mémorisée. »

En somme, Diana est là pour de bon.

Billie, Maeve, Anya, Diana

En 2021, en Grande-Bretagne, Diana arrive au quatrième rang des prénoms les plus populaires donnés à des filles. Il est précédé des prénoms Billie (d’après la chanteuse Billie Eilish), Maeve (personnage de Sex Education) et Anya (pour la comédienne Anya Taylor-Joy).

Sources : Daily et Sunday Express

Hommages discrets au Canada

Avec sa grande popularité, on aurait pu s’attendre à ce que son nom ait une petite place dans la toponymie officielle québécoise. Mais non. La princesse Diana n’a pas le moindre édifice, rue, boulevard, lac, parc, étang, boisé, île ou ruelle à son nom.

Même pas une impasse ! Parce que, oui, ça existe des noms d’impasse en l’honneur d’une personne.

Il est vrai que la royauté britannique et le Québec, c’est une histoire compliquée. Ça peut facilement soulever les passions. Mais bon, en matière de toponymie royale britannique, rappelons que Montréal a l’hôtel Le Reine Elizabeth, le chemin Queen-Mary et la rue Victoria. En fait, le Québec compte quelques rues, places et avenues Victoria, de même que Prince-Albert (son mari), Édouard-VII, George-V et autres.

La Commission de toponymie du Québec confirme que dans cette flopée de lieux liés à la Couronne anglaise, la princesse Diana n’a aucun espace à revendiquer.

« La Commission de toponymie n’a reçu aucune demande concernant l’attribution ou l’officialisation d’un nom d’un lieu en lien avec la princesse Diana », indique Chantal Bouchard, conseillère en relations publiques et porte-parole de l’organisme.

Elle ajoute qu’il n’existe pas de règles concernant la commémoration des membres de la famille royale, si ce n’est, comme dans tous les cas, que la personne honorée doit être morte depuis plus d’un an.

Autrement dit, tous ces noms de sportifs ou d’artistes associés à des arénas ou des lieux de créations existants au Québec ne se trouvent pas dans le registre de la Commission de toponymie.

Ailleurs au Canada

Si la princesse Diana est absente de la toponymie québécoise, elle n’est pas très présente non plus ailleurs au pays.

Hors de tout doute, le théâtre Princess of Wales de Toronto, rue King (ça ne s’invente pas), a été ainsi nommé en son honneur, et avec son consentement, en 1991. Au moment de la mort de Diana, en 1997, les gens sont spontanément venus porter des fleurs au pied de l’édifice.

À Saskatoon, on trouve le Princess Diana Multi-District Park, alors qu’à Saltair, en Colombie-Britannique, on peut se promener dans le Diana, Princess of Wales Wilderness Park.

À noter que le prince Charles est nettement plus avantagé dans la toponymie canadienne avec, notamment, des écoles à son nom dans plusieurs provinces. Même le prince Andrew avait, jusqu’à récemment, deux écoles à son nom, à Denfield (Ontario) et Dartmouth (Nouvelle-Écosse). Celle de Dartmouth vient de changer de nom en raison de la controverse entourant le prince déchu de ses titres militaires.

Quel intérêt à la BAnQ ?

Lady Di est-elle populaire auprès des usagers de la Grande Bibliothèque, à Montréal ? La réponse : moyennement. Depuis 2005, la Grande Bibliothèque, institution phare de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, a enregistré un total de 6907 prêts de document relatifs à la princesse de Galles. Plus de la moitié de ces prêts (3673) sont des enregistrements vidéo. « Au fil du temps, l’emprunt est stable, soit environ 400 emprunts par année en moyenne. Mais il n’est pas spectaculaire », nous indique-t-on à la direction des communications de l’organisme. En 2021-2022, il y a eu 413 prêts de 99 documents disponibles et relatifs à Diana. C’est le film Sa Majesté la reine (v.o.a. The Queen) d’abord consacré à la reine Élisabeth, mais dans lequel l’histoire tragique de Diana occupe une place importante, qui a été le plus emprunté, soit 1861 fois depuis 2006. Quant au long métrage Spencer sorti en 2021 et mettant en vedette Kristen Stewart dans le rôle de Diana, il avait été emprunté 156 fois en date du 10 août.

— André Duchesne, La Presse

La réalité pire que la fiction ?

Les Borgia, sans le sang et le poison. C’est ainsi que le journaliste Marc Roche décrit la famille royale britannique dans son livre Les Borgia à Buckingham. Un portrait sans compromis, par celui qui a été correspondant au Royaume-Uni pendant plus de 35 ans pour Le Monde et Le Point.

La Presse : Vous comparez les Windsor à la famille maudite des Borgia. Vous n’y allez pas un peu fort ?

Marc Roche : Il est très clair que les Windsor ne sont pas les Borgia, parce qu’ils ne sont pas sanguinaires et qu’il n’y a pas de recours au poison. Mais on retrouve les mêmes ingrédients que dans la saga de la grande famille de la Renaissance, à savoir l’adultère, les scandales de mœurs, les haines fratricides, les luttes de pouvoir… La comparaison n’est pas uniquement faite pour frapper l’imagination. Elle existe.

Comment expliquez-vous que le palais de Buckingham soit un tel « nœud de vipères » ?

Je dirais qu’en fin de compte, c’est la reine qui est responsable de cette ambiance délétère. Elle connaît tout de Machiavel. La manière dont elle tend le piège Harry à Meghan. Comment elle a éliminé tous les rebelles dans sa famille qui sortent du lot. Pour elle, le devoir doit toujours l’emporter sur sa vie personnelle. Ce qu’elle a fait tout au long de ses 70 ans de règne.

À quel prix ?

Il a été terrible. Un désastre pour ses enfants et pour ses petits-enfants.

Et pourtant, sa popularité semble exponentielle. Pourquoi ?

L’habitude d’abord, à savoir que la quasi-totalité des Britanniques n’ont connu qu’elle comme monarque. La reine Élisabeth est un point fixe dans la tourmente. La deuxième chose, c’est qu’aucun scandale n’est venu entacher son règne. Ses enfants et ses petits-enfants ont été au cœur de scandales, mais jamais elle.

Vous passez plusieurs chapitres sur la brouille entre Harry, Meghan et la famille royale. À quoi ou à qui attribuer cette rupture ?

Indéniablement, il y a eu un hiatus avec les attentes de Meghan, qui n’était pas du tout prête à assumer son rôle secondaire dans la famille royale. Et hiatus avec la réalité d’une institution royale qui privilégie l’ordre de succession. C’est ce hiatus qui est responsable de la brouille entre les deux frères, entre les deux belles-sœurs, entre Meghan et la reine. La reine n’a pas précisé à Meghan quel allait être son rôle, une fois mariée, dans la dynastie, et cela ne pouvait qu’être qu’un rôle secondaire par rapport à Camilla et à Kate, qui sont de futures reines.

L’autobiographie de Harry doit sortir cet automne. La famille royale doit-elle avoir peur ?

C’est un exercice difficile pour Harry. Si l’éditeur lui a donné une énorme avance, ce n’est pas pour qu’il raconte des banalités. Il va devoir faire des révélations sur la face obscure de la famille Windsor, sinon, son livre ne se vendra pas. Le danger pour lui, c’est que ça va provoquer la révulsion générale au Royaume-Uni et qu’ensuite, il va perdre ce qu’il lui reste comme rôle au sein de la famille. Si son livre, comme on semble le penser, attaque Camilla et le prince Charles, la famille va réagir en coupant tous les ponts. Mais il est possible que la famille décide de rembourser l’avance et que le livre ne sorte jamais.

Dans votre livre, vous avez choisi la forme de la saynète. Vous visez une adaptation au théâtre ?

J’ai voulu écrire une série, en reconstituant des dialogues basés sur des faits réels. Cette forme m’intéressait parce qu’elle permet de renouveler le genre de la biographie royale, qui est quand même très traditionnel et pas très aventureux.

Cette forme vous permet aussi d’avoir de l’humour. On a même un peu l’impression que vous les caricaturez…

Et pourtant, je n’invente rien. La réalité est bien pire que la fiction. Parce qu’il y a ce huis clos permanent entre eux, ces luttes de pouvoir, ces coups fourrés. On m’a dit que les dialogues étaient froids, mais je peux vous dire, pour les avoir tous rencontrés, que c’est la manière dont ils parlent et règlent entre eux les contentieux.

Diriez-vous que c’est un livre antimonarchiste ?

Non. Seulement, je trouve que l’absence de modernisation de la monarchie est responsable de la persistance des divisions de classe dans ce pays. La complaisance de mes confrères britanniques face à la monarchie, qu’ils ont beaucoup de mal à critiquer, il fallait l’écorner. Et encore plus vu l’hystérie du jubilé. Ces quatre jours de propagande monarchique, cette débauche de patriotisme m’ont fortement dérangé.

La reine n’est pas éternelle. Le prince Charles est prêt à prendre la relève. À quoi ressemblera son règne ?

Il devrait moderniser la monarchie en y apportant une touche plus favorable à la diversité et une touche plus écologique, deux domaines où la reine n’a guère fait preuve d’ouverture. Et cela risque de s’accentuer avec son fils William. Ce sera un règne plus ouvert sur les questions de société, moins protocolaire et beaucoup plus réduit en termes de dépenses.

Changement de sujet pour terminer. Vous avez écrit, il y a quatre ans, le livre Le Brexit va réussir. A-t-il réussi, selon vous ?

Le Brexit n’a pas réussi économiquement. Mais le Brexit a réussi politiquement en évacuant une fois pour toutes la question européenne du débat politique. Les défis qui se présentent au Royaume-Uni ne sont plus ceux de l’UE. Ce sont l’immigration non européenne, les changements climatiques, la guerre en Ukraine, le Global Britain d’une Angleterre interplanétaire qui se rapproche des États-Unis et du Commonwealth. Pour le public, le Brexit n’est plus un facteur de division. On a tourné la page.

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