14 de 14 La relève du Québec pense l’après COVID-19

Comprendre le « chez-soi » des autochtones

La relève du Québec, en provenance des sciences naturelles, humaines et sociales, propose une réflexion sur les nombreux défis qui attendent la société québécoise pour affronter la crise de la COVID-19 et en sortir*.

« On sort de la réserve pour aller à la maison. »

Tels sont les mots d’un Innu d’Uashat Maliotenam, relatés récemment par les chercheuses Christiane Guay et Catherine Delisle L’Heureux. Alors que le Québec entier est appelé à se confiner chez lui, dans le refuge symbolique que représentent ses maisons, les communautés autochtones sont une fois de plus coupées de leur demeure identitaire : le territoire.

La maison-territoire

La notion de « chez-soi », qui se formalise dans la maison chez les non-autochtones, s’étend au territoire entier pour les communautés autochtones. Pour paraphraser le philosophe français Gaston Bachelard, ici librement transposé en contextes autochtones : il y a un sens à prendre le territoire comme un instrument d’analyse pour l’âme humaine ; l’âme est un territoire.

La vision autochtone du monde est profondément liée à la relation entretenue avec le territoire. Cette relation est de l’ordre de l’intime.

Il y a un lien physique et spirituel, profond et durable entre les autochtones et le territoire, le paysage, l’environnement et les ressources. Cette liaison au territoire est aussi un rapport aux ancêtres. Le langage courant des communautés témoigne d’ailleurs de cette connexion particulière, les autochtones évoquant fréquemment leurs séjours sur le territoire.

Les projets d’exploitation du territoire qui défrayaient les manchettes il n’y a pas si longtemps représentent une atteinte symbolique à la demeure même des communautés. Comprendre ce concept peut être difficile. Il faut l’aborder avec ouverture, en tenant compte du fait que les communautés autochtones ont une conception du monde fondamentalement différente de celle des Occidentaux. Pas nécessairement meilleure ou pire, mais différente.

C’est de cette manière que l’on peut comprendre la vivacité de leur opposition à certains projets de développement. Car le territoire est leur maison. Même si ces enjeux ont été relégués à l’arrière-plan de l’actualité, le débat demeure vif et la crise actuelle n’y mettra pas un terme, alors que certains travaux de développement pétrolier se poursuivent malgré la pandémie, en Colombie-Britannique notamment. L’heure est toutefois au confinement.

Un confinement paradoxal

Au pire de la crise, un confinement complet dans les réserves a été décrété par les conseils de bande de certaines communautés, un mal nécessaire imposé pour limiter la propagation du virus, allant au-delà des recommandations de la santé publique.

Que de paradoxes dans cet (auto)confinement, rappelant un passé douloureux et pas si lointain où le gouvernement contrôlait les allées et venues des citoyens autochtones, qui ne pouvaient sortir des réserves sans raison « valable » !

En un clignement d’yeux, les clôtures métalliques qui ceinturaient alors certaines communautés semblent se dresser à nouveau. Sentiment doux-amer que d’être coincé volontairement dans cette réserve qui a vu naître, malgré tout, un fort sentiment d’appartenance chez ceux qui y vivent.

La dépossession territoriale n’a pas eu raison de la résilience et de la résistance autochtones. Cette résilience et cette résistance se vivent à l’heure actuelle dans la transformation instantanée des rapports communautaires. À Maliotenam, devant les rues silencieuses, difficile d’imaginer le fourmillement habituel des jeunes enfants qui y jouent, des habitués qui prennent leur marche de santé quotidienne et des quatre-roues qui font fi des tracés des rues. Aujourd’hui, pourtant, on est ensemble plus que jamais, dans le monde virtuel. À la manière des Tshissinuatshitakana (bâtons à message) anciennement laissés sur le territoire pour transmettre des informations cruciales au prochain chasseur ou portageur, les canaux de communication demeurent bien forts sur les réseaux sociaux. Les Innus sont à pied d’œuvre pour faire perdurer le « mamu » (ensemble).

Pour la suite de nos mondes

Au sortir de la crise, les enjeux laissés en plan devront être remis à l’ordre du jour. Le dialogue, promis depuis tant d’années, devra enfin être établi. Il faudra mettre de côté les clichés éculés, les statistiques accablantes et reconnaître ces peuples pour ce qui les définit réellement. À cet égard, le rapport au territoire offre des pistes de réflexion porteuses. Un souffle d’humanité et d’imaginaire sera essentiel pour s’ouvrir aux différentes visions du monde qui s’entrechoquent quand allochtones et autochtones se rencontrent. 

On devra tenter de comprendre et de reconnaître nos différences et, sans les nier, en faire le point de départ d’une conversation honnête pour construire des ponts.

Les autochtones devront être considérés comme des égaux : comme des partenaires et non plus comme des prestataires. Ce sera alors là l’occasion d’entamer un dialogue réel et authentique, essentiel, à court et à long terme, pour le vivre ensemble.

* Ce dossier est coordonné par Catherine Girard, Isabelle Laforest-Lapointe et Félix Mathieu, respectivement de l’Université Laval, de l’Université de Sherbrooke et de l’Université du Québec à Montréal.

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