Opinion Logements pour aînés

« Les vieux se cachent pour mourir »

Après 10 ans du programme Municipalités amies des aînés, il y a lieu de questionner le succès de cette politique 

On constate au Québec un engouement des aînés pour les logements ou les copropriétés dans des immeubles réservés spécifiquement à leur groupe d’âge.

Ils y vivent dans une sorte d’autarcie, à l’écart du reste de la société. Cette auto-ségrégation marque l’échec des politiques d’intégration des aînés et soulève des enjeux importants tant d’un point de vue personnel, que sociétal et sanitaire dans la perspective du vieillissement rapide de notre population.

Actuellement, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement, plus de 112 000 Québécois âgés de 65 ans et plus (8 %) habitent dans plus de 1300 résidences pour aînés. Le Québec se démarque des autres provinces canadiennes sur cet aspect puisque la moitié des places en résidences pour aînés au Canada se retrouvent au Québec. Alors que 8,5 % des personnes de 75 ans et plus au Canada habitent dans des résidences pour aînés, ce pourcentage grimpe à 18,5 % au Québec. 

La majorité de ces logements se situe dans des immeubles de 90 unités et plus. Et il ne s’agit là que des locataires. Il faut aussi considérer que 30 % des copropriétés sont occupées par des personnes âgées au Canada et que ce nombre est en progression croissante. Dans ce marché lucratif, on ne compte plus les mises en chantier de résidences par les grandes corporations (Résidences Soleil, Groupe Maurice, Réseau sélection et autres Chartwell). Il en va de même pour les copropriétés dont les promoteurs ciblent souvent exclusivement les aînés.

De façon stratégique, on incite les retraités à troquer leur patrimoine pour louer ou acheter ces logements. Les publicités promettent confort, sécurité et services.

On y entre comme à l’hôtel. Plus besoin de faire la cuisine, plus de tâches ménagères fastidieuses, plus besoin de sortir pour les loisirs. Tout y est. Au besoin, on vous organise une sortie en autobus pour jouir du monde extérieur et de ses casinos, musées et autres sites touristiques. Les contacts avec la famille et les petits-enfants sont réglementés et confinés dans des espaces réservés, quiétude oblige. 

Certains endroits interdisent, par règlement, le séjour des petits enfants pour plus de quelques heures. Les vieux se cachent et s’isolent eux-mêmes de la société et de leur famille.

On leur promet aussi des services de santé et d’aide à l’autonomie. Les lendemains déchantent bien souvent lorsque le transfert à l’urgence est la réponse aux problèmes de santé ou lorsque des tarifs souvent prohibitifs sont facturés pour les services d’aide personnelle. Et l’on ne saurait ignorer tous les cas d’expulsion en cas de perte d’autonomie significative ou de troubles cognitifs dérangeants. Alors qu’on sait que les aînés souhaitent vivre dans leur domicile le plus longtemps possible, pourquoi continuer à favoriser le développement de ces résidences collectives en lieu et place de soins et services à domicile accessibles et suffisants ?

Il y a lieu de se poser des questions sur l’évolution de notre société dans le contexte du vieillissement de la population et de l’arrivée massive des baby-boomers à la retraite. Pourquoi les aînés choisissent-ils de vivre dans ces grands immeubles avec services ? Est-ce par commodité, par sécurité ou encore par dépit ? Parce que nos cités n’ont pas su s’adapter à leurs besoins ? 

Après 10 ans du programme Municipalités amies des aînés qui avait justement pour but de mieux aménager nos villes et nos villages pour intégrer les aînés, il y a lieu de questionner le succès de cette politique. En dépit de l’engouement des municipalités pour ce programme, il semble qu’une proportion importante des aînés choisisse plutôt l’ostracisme à l’intégration sociale. Avons-nous vraiment fait le plein des stratégies d’urbanisme, d’aménagement, d’adaptation du logement et de transport pour que les personnes de tous âges vivent pleinement en collectivité ?

Dans les années 70, Anne-Marie Guillemard parlait de mort sociale pour qualifier la retraite. L’autarcie des aînés dans des complexes immobiliers représente aussi une mort sociale. Les vieux se cachent pour mourir. Une mort sociale dans des ghettos dorés bien à l’abri des regards d’une société indifférente et complice. Une réflexion s’impose pour analyser les causes de ce phénomène et surtout pour explorer et soutenir des alternatives plus compatibles avec la persistance des contacts intergénérationnels, l’intégration sociale et le soutien à l’autonomie à domicile.

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