Science

Le ver de terre menace nos forêts

Réputé pour ses bienfaits au jardin, le ver de terre est maintenant considéré comme une nuisance pour nos forêts. Depuis l’été dernier, le parc du Mont-Tremblant demande aux pêcheurs de jeter leurs appâts aux ordures à la fin de leur excursion, imitant ainsi l’Alberta et plusieurs États américains, dont le Minnesota. Explications.

LE CONSTAT SCIENTIFIQUE

– Diverses études indiquent que nos forêts mixtes sont perturbées par la présence des vers de terre, notamment du lombric commun, l’espèce la plus connue.

– Publié en septembre dernier dans le magazine scientifique Global Change Biology sous le titre « Les envahisseurs invisibles » (« The Unseen Invaders ») et signé par 24 chercheurs internationaux, l’article fait le point sur l’impact négatif de cette invasion en Amérique du Nord à l’aide de 645 observations sur le terrain.

– Des recherches au mont Saint-Hilaire et une étude réalisée autour de 61 lacs du parc du Mont-Tremblant en arrivent aux mêmes conclusions.

UTILE AU JARDIN, NUISIBLE EN FORÊT

En milieu artificiel (jardin) : 

– le ver de terre aère le sol en creusant des galeries ;

– il facilite la germination des graines ;

– il favorise le développement des racines ;

– il dévore la matière organique et la transforme en déjections fertilisantes.

En forêt : 

– il creuse (jusqu’à 2 mètres de profondeur pour le lombric) et apporte le terreau en surface, modifiant la composition chimique du sol ;

– ces changements ont un impact sur la faune microbienne, fongique et mycorhizienne, perturbant la faune souterraine et les plantes ;

– les galeries du ver modifient le drainage du sol, qui devient plus poreux, plus sec, plus sensible à l’érosion.

LES CONSÉQUENCES ÉCOLOGIQUES

– Le sol habituellement recouvert de feuilles mortes se dénude (parfois à plus de 50 mètres du bord des lacs au parc du Mont-Tremblant).

– Diverses plantes indigènes (trilles, fougères, etc.) disparaissent progressivement, remplacées par des plantes exotiques, souvent des graminées envahissantes composant bien avec les vers exotiques.

– Le nombre de radicelles de certaines espèces d’arbres baisse considérablement.

– On observe une diminution des graines viables, notamment celles des arbres matures.

– On observe une baisse du nombre d’espèces animales comme les insectes et mammifères vivant dans le sous-bois ou les oiseaux qui nichent sur le sol.

– Ces impacts devraient augmenter avec le réchauffement climatique.

AUTRES IMPACTS

– L’impact sur la végétation varie selon les espèces de vers présentes, la composition du sol, la région et le climat.

– Il favorise la sécheresse et le lessivage des sels minéraux essentiels.

– Dans certaines forêts du Minnesota, une seule plante a remplacé toute la végétation de sous-bois et les graines des arbres matures sont absentes.

– Au mont Saint-Hilaire, la présence du ver persiste sur une partie du territoire après son introduction il y a plus de 100 ans.

– Dans certains cas, les méfaits sur la végétation sont accentués par la présence d’espèces comme le cerf de Virginie.

DES VERS ÉTRANGERS

– Disparus il y a 12 000 ans partout en Amérique du Nord où a sévi la dernière glaciation, les vers de terre présents dans notre environnement sont tous exotiques, surtout d’origine européenne.

– Ils ont été importés par les premiers colons lors du transport de plantes, ou encore dans la terre servant de ballast dans les navires, surtout entre les années 1800 et 1900.

– La progression récente en milieu éloigné est surtout attribuable aux amateurs de pêche qui jettent leurs vers en forêt après leurs excursions.

– Le transport forestier et les véhicules tout-terrain sont aussi en cause.

BIOLOGIE 

6000 Nombre approximatif d’espèces dans le monde

17 Nombre d’espèces au Québec, dont 7 dans le parc du Mont-Tremblant

Hermaphrodites Les vers se fécondent l’un et l’autre.

3 à 80 Nombre de cocons (Lombricus terrestris) produits par un ver de terre chaque année

Le ver à fumier, une espèce prisée par les pêcheurs et utilisée pour la fabrication de compost (vermiculture), est rarement retrouvée dans nos forêts car elle ne résiste pas à nos hivers.

QUE FAIRE ?

– L’invasion actuelle est impossible à contrer en raison de son envergure continentale. Selon la région, les vers peuvent progresser de 5 mètres annuellement.

– On peut ralentir l’envahissement ou éviter qu’elle ne se propage en invitant les pêcheurs à jeter leurs appâts aux ordures. C’est le principal appât utilisé pour la pêche au Québec.

– Ne pas apporter compost et terreau en forêt.

– Un ver rejeté dans l’eau peut se retrouver sur la rive avant de périr noyé.

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