Vladimir Poutine

Rumeur ou tumeur ?

Sa santé a beau être un secret d’État, Moscou s’interroge sur ses absences et ses silences

Parmi la cohorte qui accompagne Vladimir Poutine à l’étranger, une personne est chargée de collecter ses déjections naturelles et de les emporter à Moscou. Toutes. C’est là l’indice, passé inaperçu, que ses excréments et urines recèlent des informations capitales… pour l’avenir du monde. Autant de traces de traitements éventuels à camoufler.

Nous avions eu vent de cette « récolte » en octobre 2019, après la visite de Poutine en Arabie saoudite. Des sources indirectes au Moyen-Orient nous apprenaient que la délicate mission avait été conduite sous le contrôle du FSO, le Service de protection fédérale, chargé de la sécurité des personnalités officielles russes. Un agent avait dû placer les déjections de Poutine dans des pochettes prévues à cet effet, afin de ne laisser aucune trace et de tout rapporter au pays dans une valise spéciale. Secret absolu et pression intense pour forcer au mutisme le personnel de l’ambassade de Russie. Cette pratique avait déjà eu cours lors de la visite de Poutine en France le 29 mai 2017, jour où Emmanuel Macron recevait son homologue russe à Versailles. 

Les Américains ont appris à se méfier de leurs informations, surtout lorsqu’elles correspondent à leurs souhaits. Mais le 2 juin, l’article que le magazine « Newsweek » consacrait au « cancer » de Vladimir Poutine, président de Russie et chef d’une guerre qui ne veut pas dire son nom, n’est pas passé inaperçu. Trois responsables du renseignement y évoquaient son « traitement ». Information démentie deux jours plus tard par la Maison-Blanche. À Moscou, les disparitions répétées du président, comme les modifications de son apparence ou de ses gestes accréditent l’idée d’une fragilisation qu’il serait hasardeux de considérer comme la clé de la paix en Europe.

Les apparitions publiques de Vladimir Poutine, mais aussi et surtout les cinq « disparitions » de plusieurs jours depuis 2012 que nous avons comptabilisées, laissent supposer que le désormais vieil homme – il aura 70 ans le 7 octobre – n’a plus la santé d’antan. Lors de son entretien avec son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, le 23 avril, il paraissait s’enfoncer dans ses épaules, agrippant la table de sa main droite, tout au long des douze minutes diffusées de l’entretien. Poutine arborait le visage crispé d’un homme qui endure de vives douleurs. Les rumeurs se sont alors propagées : cancers multiples, dont un « à un stade avancé » (la Maison-Blanche a démenti avoir reçu une telle information), maladie de Parkinson, mal de dos tenace, traitement à la cortisone…

L’an passé, le président sportif se laissait aller à une rare confession, évoquant une mystérieuse chute de cheval : « Il se trouve que le cheval se tenait devant la barrière et j’ai fait un saut périlleux, un vrai saut périlleux, boum ! » Une mésaventure qu’il a minimisée en précisant qu’il était retombé sur de la sciure de bois, un matelas « assez confortable ». L’accident aurait eu lieu pendant son premier mandat. Il avait dû demeurer quelque temps alité. En subit-il encore les séquelles ? Y en a-t-il eu d’autres ? Une certitude : l’une d’elles fut très grave.

On sait que Poutine, en 2012, a souffert du dos. Il a commencé à boiter sérieusement. Le mal avait été remarqué pour la première fois lors du sommet Asie-Pacifique de l’Apec. Le président s’est ensuite abstenu de prendre l’avion des mois durant, tandis que le protocole du Kremlin avait pour consigne de ne prolonger aucun de ses rendez-vous au-delà d’une heure. Durée à laquelle fut limité, au théâtre Bolchoï, un concert organisé pour le 200e anniversaire de la victoire sur Napoléon. Le 4 novembre 2012, jour de l’Unité nationale, les chaînes de télévision d’État avaient même dû redoubler d’imagination pour ne pas diffuser d’images d’un Vladimir Poutine claudiquant, au moment où il déposait des fleurs sur un monument de la place Rouge en compagnie du patriarche Kirill. Le site Web du Kremlin s’est contenté, ce jour-là, de publier des photos. Mais celui du patriarcat de l’Église orthodoxe, allez savoir pourquoi, mettra la vidéo en ligne sans coupures et révélera ainsi un homme affaibli. Par cette mauvaise chute de cheval ?

Le mythe du président en pleine forme s’effrite

À plusieurs reprises, notamment à Versailles en 2017, Poutine a semblé porter un corset sous sa veste de costume. Selon nos informations, il a subi au moins deux opérations sérieuses du dos. La première fin 2017 et l’autre deux ans plus tard, jour pour jour, si l’on en croit la composition des équipes médicales présentes à ses côtés à ces dates-là : spécialistes en neurochirurgie, anesthésistes-réanimateurs, experts de la réadaptation.

Ce dos récalcitrant explique-t-il l’inconfort du président lors de son récent entretien avec son ministre de la Défense ? Certains ont cru déceler une tentative de dissimulation de la maladie de Parkinson, la main agrippée à la table permettant de l’empêcher de trembler. Pure spéculation. Mystère.

Par-delà la guerre de l’information et les intox des services de renseignement, un faisceau d’indices tendrait à établir le diagnostic suivant : Poutine serait atteint d’un cancer de la glande thyroïde. D’où les précautions prises pour rapporter ses déjections. Le 1er avril, le média russe en ligne « Proekt » publiait une longue enquête établissant que le chef de l’État était suivi, en permanence, par un groupe de cinq à douze médecins. Des traumatologues spécialistes du dos et des lésions médullaires, certes, des réanimateurs et médecins ambulanciers, mais surtout des spécialistes en oncologie comme le chirurgien Yevgeny Selivanov, auteur d’une thèse intitulée « Particularités du diagnostic et du traitement chirurgical des patients âgés et séniles atteints d’un cancer de la thyroïde ». Sans négliger la sphère ORL, avec les docteurs Alexeï Shcheglov et Igor Esakov, ou un « pro » des maladies infectieuses, Yaroslav Protasenko.

Étrange coïncidence, un peloton de médecins séjourne à Sotchi chaque fois qu’il descend dans son palais au bord de la mer Noire

Après avoir consulté le site des marchés publics russes, « Proekt » révélait que l’Hôpital clinique central de Moscou, qui soigne les hauts responsables politiques, avait signé une convention avec quatre hôtels de Sotchi. Tiens donc !… Poutine passe une partie de l’année dans cette ville qui borde la mer Noire. L’enquête montre que l’équipe de médecins descend quasi systématiquement à Sotchi lorsque le président séjourne dans l’immense palais qu’il a fait construire sur place. Entre 2016 et 2020, le Dr Shcheglov s’est envolé 59 fois pour Sotchi, y passant 282 jours auprès de Poutine, tandis que son confrère cancérologue Selivanov y allait au moins 35 fois, soit un total de 166 jours. Lors des « disparitions » du chef, le Kremlin et les médias russes comblent son absence au moyen de « boîtes de conserve », des enregistrements de ses discours diffusés comme des faits du jour.

Le cancer de la glande thyroïde se soigne plutôt bien. « Récupération de 95 % à 98 % ? » s’était enquis en juillet 2020 le président russe auprès d’Ivan Dedov, le chef du Centre national de recherche médicale en endocrinologie, qu’il visitait ce jour-là. Dedov, patron de la fille aînée du président, diplômée de la faculté de médecine de l’université d’État de Moscou, en avait profité pour l’entretenir de l’existence d’un nouveau et efficace médicament hormonal. Mais un cancer reste un cancer, avec ses complications possibles, d’éventuelles métastases et un système immunitaire qui s’affaiblit. D’où, peut-être, les précautions extraordinaires pour protéger Poutine : gestion du pays depuis deux ans par des réunions en vidéoconférence, entretiens à distance – qu’il s’agisse d’Emmanuel Macron ou de ses ministres et collaborateurs – au bout d’interminables tables, quarantaine imposée à certains visiteurs étrangers, tel le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian.

Cela n’a pas empêché Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, de déclarer récemment sur TF1, avec autant d’aplomb que lorsqu’il évoque les opérations de « dénazification » en Ukraine, que de telles rumeurs sont infondées. « Je ne crois pas que quelqu’un qui a toute sa tête puisse voir chez cette personne des signes d’une maladie ou d’une affection quelconque. » L’indéboulonnable attaché de presse du Kremlin, Dmitri Peskov, continue lui aussi de marteler que la santé de Poutine est « excellente ». À entendre de pareils thuriféraires, on serait encore au temps de la première décennie de règne de l’ancien espion. Ce dernier exhibait son corps de sportif, que ce soit à cheval ou pêchant en rivière torse nu dans la taïga, pratiquant la plongée sous-marine peu avant les Jeux olympiques de Sotchi…

Peine perdue, le mythe du président en pleine forme s’effrite. Vladimir Poutine, qui cultive des pratiques à l’orée de la médecine ancienne et du mysticisme, comme des bains dans des décoctions à base de bois de cerf, censés améliorer le fonctionnement du système cardio-vasculaire, semble rejoindre la liste d’anciens dirigeants russes à la santé vacillante. Une tradition qui, de Staline à Eltsine, de Brejnev à Andropov, pousse les hauts responsables politiques à s’isoler et à privilégier le secret, quitte à fragiliser l’appareil d’État. Poutine ne voyageant presque plus, il faut scruter chaque apparition officielle afin de guetter le moindre symptôme des maux qui l’affecteraient. Tâche aussi ingrate que capitale, même si sa mort ne signifierait ni l’arrêt immédiat de la guerre en Ukraine ni la fin de la confrontation entre la Russie et l’Occident.

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