Lac Massawippi

Un combat acharné pour déloger la moule zébrée

North Hatley — Pour la première fois au Québec, des acteurs se rallient autour d’une mission presque impossible : éradiquer l’envahissante moule zébrée – découverte au lac Massawippi l’automne dernier – avant qu’elle ne le défigure pour de bon.

Le soleil brille à la surface du lac Massawippi, entouré de collines boisées et de maisons au charme bucolique des Cantons-de-l’Est. Une sérénité apparente qui dissimule un combat acharné, sous la surface.

Depuis le 2 mai, des équipes de plongeurs se relaient, jour après jour, couteaux en main, pour déloger les jeunes moules zébrées et cartographier leur habitat. L’objectif : empêcher l’espèce envahissante, découverte en octobre dernier, de coloniser les lieux. Elles l’ont déjà fait dans les lacs Memphrémagog et Magog, depuis 2017. Sans compter les dizaines de milliers de moules qui pullulent dans le fleuve Saint-Laurent, les Grands Lacs et la rivière Richelieu.

« On a peu d’exemples de réussite, mais peu d’exemples de tentatives non plus », lance Annick Drouin, biologiste au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), rencontrée sur la berge. Avec une équipe de plongeurs, la biologiste s’apprête à prendre le large pour faire l’inventaire de la biodiversité encore présente dans le plan d’eau.

« Ici, comme il reste une lueur d’espoir, ajoute-t-elle, ça donne envie de tenter le tout pour le tout. »

Une moule ingénieure d’écosystèmes

Pas plus grosse qu’un ongle et originaire d’Eurasie, la moule zébrée peut, en quelques années, changer un paysage subaquatique. D’abord, par son nombre impressionnant : jusqu’à 30 000 spécimens par mètre carré, explique Annick Drouin.

Dans les lieux colonisés, de véritables tapis de moules s’étendent dans les fonds, sur les plages, et même dans les tuyaux d’alimentation en eau potable, allant jusqu’à les colmater.

Dire que la moule zébrée est envahissante est un euphémisme. En 2020, dans le lac Stephens du Manitoba, la population a grimpé de 100 000 %, a rapporté Manitoba Hydro. Au lac Massawippi, comble de malheur, les conditions « physico-chimiques » sont idéales pour l’implantation du mollusque, ajoute Annick Drouin.

Plus elles sont nombreuses, plus les moules déséquilibrent l’écosystème, précise la biologiste. Elles filtrent l’eau et se nourrissent de phytoplancton – les organismes végétaux à la base de la chaîne alimentaire. Il reste donc moins de nourriture pour toutes les espèces locales.

Une eau plus claire modifie aussi la végétation, nuisant aux frayères et favorisant l’apparition de cyanobactéries (algues bleues), nocives pour la santé humaine. La moule zébrée est donc un machiavélique « ingénieur des écosystèmes », résume Annick Drouin.

Combattre l’invasion

Un matin de mai, La Presse s’est joint à une équipe de plongée dont l’objectif était d’inspecter une canalisation d’eau potable, à quelques mètres des berges. Un grand nombre de moules zébrées y ont été délogées l’automne dernier. Auront-elles déjà réussi à se multiplier ? C’est peu probable, étant donné que les mollusques ne se reproduisent pas avant que l’eau n’atteigne 12 °C.

Après quelques minutes de navigation et de préparation, quatre plongeurs, équipés de combinaisons étanches, sautent dans l’eau glaciale. Une demi-heure plus tard, ils ressortent avec une maigre collecte : 19 moules au total. Une excellente nouvelle, dans les circonstances.

L’équipe fera deux autres sorties de plongée dans la journée. Au total, environ 120 plongées printanières sont prévues jusqu’au 5 juin, tandis que l’opération d’éradication se poursuivra tout l’été.

Élan de solidarité

Pour sauver le lac, l’organisme Bleu Massawippi a réussi un véritable tour de force : rallier à la lutte bénévoles, citoyens, artistes, municipalités et ministères provinciaux et fédéraux. Même l’Aquarium de Québec et le Biodôme de Montréal participent aux efforts d’éradication. Une mission qui coûte au total près de 500 000 $ en 2022, selon l’organisme.

« C’est un projet ultracollaboratif. Moi, je n’ai pas vu ça souvent. C’est très rassembleur. »

— Annick Drouin, biologiste au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs

Si une telle ambition a vu le jour, c’est un peu – beaucoup – grâce à l’énergie et au travail acharné de Michèle Gérin, directrice de Bleu Massawippi, qui a refusé de jeter l’éponge. « Vous n’avez pas idée à quel point je me suis fâchée [pour obtenir tout ça], lance la directrice, qui n’a pas la langue dans sa poche. Mais je suis vraiment fière de réaliser, après coup, que ça a marché. »

En plus des plongées, une campagne de sensibilisation a vu le jour pour éduquer les propriétaires de bateau, explique Hélène Daneau, présidente du parc régional Massawippi et mairesse de Hatley. Des stations de lavage ont été installées tout autour du lac, où les embarcations sont encouragées à être nettoyées, pour éviter le transport de mollusque de plan d’eau à plan d’eau.

Le lac Massawippi saura-t-il reprendre le contrôle de ses eaux, à l’égard du lac George, aux États-Unis ? Le cas échéant, il deviendra le premier à y parvenir au Québec… et un exemple à suivre pour tous les autres.

« La population est avec nous, estime Mme Daneau. Tout le monde veut que le lac soit en santé pour les prochaines générations. »

De 0,5 cm à 5 cm

Longueur de la moule zébrée

Source : Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec

De 30 000 à 100 000

Nombre d’œufs qu’une moule zébrée femelle peut pondre par année

Source : Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec

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