L’économie a émis beaucoup de signes de détresse en 2023 et son parcours erratique rend la tâche des prévisionnistes difficile. L’équipe d’économistes qui a participé l’an dernier à notre exercice traditionnel de prévisions économiques avait prévu une année entre stagnation et récession, ce qui s’est avéré juste. Que nous réserve 2024 ?

Alors que des mois difficiles sont encore à venir, il y a de l’amélioration en vue dans la deuxième moitié de 2024, prévoient Matthieu Arseneau, chef économiste adjoint à la Banque Nationale, Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins, et Robert Hogue, économiste principal de la Banque Royale du Canada, qui ont participé à la 48e édition des prévisions économiques de La Presse.

  • Matthieu Arseneau, chef économiste adjoint à la Banque Nationale

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

    Matthieu Arseneau, chef économiste adjoint à la Banque Nationale

  • Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins

    PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

    Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins

  • Robert Hogue, économiste principal de la Banque Royale du Canada

    PHOTO HUGO-SEBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

    Robert Hogue, économiste principal de la Banque Royale du Canada

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Inflation : victoire à l’horizon

La meilleure nouvelle de l’année 2024 sera sans contredit le déclin de l’inflation et le retour de l’indice des prix à la consommation à la cible de 2 % de la Banque du Canada. « La bataille tire à sa fin », avance Jimmy Jean. Très critiquée pour avoir trop attendu avant d’augmenter les taux d’intérêt et pour l’avoir fait de façon très agressive, la Banque du Canada a agi de façon appropriée pour refroidir l’économie, croit pour sa part Robert Hogue. Pour Matthieu Arseneau, la dernière hausse du taux directeur était probablement de trop et elle a aggravé le ralentissement économique. Mais la politique monétaire fonctionne, dit-il, et elle a calmé l’inflation de façon importante. L’IPC, qui était de 5,9 % au début de 2023, avait reculé sous les 3 % à la fin de l’année.

La Banque du Canada devrait pouvoir dire mission accomplie à la fin de 2024, prévoient nos participants.

Ce qui ne veut pas dire que les consommateurs ne souffriront plus, souligne Jimmy Jean. Les prix des aliments, comme ceux du logement, vont rester élevés pour des raisons que ne peut contrôler la politique monétaire. L’augmentation des prix du logement se poursuivra, à moins d’avoir un moratoire sur l’immigration pour essayer de rééquilibrer l’offre et la demande, dit Matthieu Arseneau.

Une, deux, trois baisses de taux

La baisse des taux d’intérêt est l’autre embellie que devrait apporter la prochaine année. Les trois économistes prévoient une baisse du taux directeur de la Banque du Canada d’ici la fin de 2024. Cette baisse pourrait varier entre 100 et 150 points de base, en deux ou trois annonces. Contrairement à la Réserve fédérale américaine, qui a télégraphié trois baisses du taux directeur pour 2024, la Banque du Canada cache bien son jeu. Son discours officiel parle toujours d’une autre hausse « si nécessaire » et elle ne le changera pas avant d’avoir la conviction que l’inflation a reculé sur une baisse durable, croient nos économistes.

Les conditions attendues par la Banque du Canada pour entamer la baisse des taux devraient arriver en même temps que le printemps, au mois d’avril.

Attention, dit Matthieu Arseneau, même après une baisse de 150 points de base, on a encore un taux directeur à 3,5 %, ce qui reste très élevé. « Il ne faut pas oublier que la politique monétaire peut mettre jusqu’à huit trimestres pour avoir son plein impact sur l’économie, insiste l’économiste de la Banque Nationale. Ça veut dire qu’il reste 40 % de l’impact des hausses de taux passées à répercuter sur un consommateur qui a déjà un genou à terre. »

Le mot qui commence par R

Il a beaucoup été question de récession dans l’année qui vient de s’achever, mais elle ne s’est pas encore matérialisée, sauf peut-être au Québec où les dernières statistiques devraient confirmer deux trimestres consécutifs de recul du produit intérieur brut, ce qui est la définition technique d’une récession.

Malgré un endettement record, les ménages ont supporté le choc des hausses rapides des taux d’intérêt.

Ce n’est pas la catastrophe que certains avaient prédite ni au Canada ni au Québec, dit Jimmy Jean. « Les bilans des ménages québécois sont en relativement bonne santé. On ne voit pas une explosion des insolvabilités ou des défaillances. » Les prochains mois vont être difficiles, selon lui, mais « lorsque la pression va commencer à tomber au niveau des taux d’intérêt et que l’inflation extrême va être chose du passé, l’économie du Québec va être capable de rebondir parce qu’il n’y a pas une détérioration significative autant du marché de l’emploi que des bilans des ménages ».

Pour les mêmes raisons, Matthieu Arseneau estime que la faiblesse de l’économie québécoise n’est pas alarmante. « C’était l’économie la plus en surchauffe de la fédération. Oui, le taux de chômage a augmenté plus qu’ailleurs, mais il reste sous la moyenne nationale, rappelle-t-il. J’ai du mal à croire que le Québec va continuer d’avoir une contre-performance par rapport au reste du Canada. »

Le prix des maisons résiste

La baisse prévue des taux d’intérêt devrait redonner un peu d’air au marché immobilier, prévoit Robert Hogue. « On s’attend à ce que le marché demeure assez calme d’ici le printemps, sinon jusqu’à l’été. Ça va prendre une baisse de taux pour faire redécoller un petit peu l’activité. »

La hausse des taux d’intérêt n’a pas donné lieu à une vague de ventes de maisons, dit-il, elle a plutôt conduit les ménages à se serrer la ceinture et à restreindre leurs autres dépenses. « Culturellement, au Canada et au Québec, les gens sont prêts à faire des sacrifices avant de donner les clés de leurs maisons », croit Robert Hogue.

L’économiste de la Banque Royale souligne que 40 % des détenteurs de prêts hypothècaires les ont déjà renouvelés leurs prêts à des taux plus élevés. Ceux qui doivent encore le faire devraient passer à travers, selon lui, surtout si les taux baissent. La cohorte la plus à risque parmi les détenteurs d’hypothèque arrivera en 2025, alors que les taux devraient être plus bas.

Le prix des maisons résiste aussi parce les gens ont gardé leur emploi. Mais on remarque une augmentation des inscriptions et le marché a déjà tourné en faveur des acheteurs dans certaines régions, selon Jimmy Jean. « Ça pourrait mener à une baisse du prix des maisons », dit-il.

Si le prix des maisons devait baisser beaucoup, la récession serait inévitable. « Un atterrissage en douceur deviendrait aussi probable que le retour des Nordiques de Québec », image l’économiste, qui croit toutefois que les risques d’une correction majeure des prix de l’immobilier sont « assez faibles ».

Chômage : hausse inévitable

La bonne tenue du marché du travail a été la surprise de 2023. Il faut s’attendre à ce que le taux de chômage continue d’augmenter en 2024, estiment nos économistes, pour se rapprocher de 7 %.

L’économie ne pourra pas créer assez d’emplois pour absorber la croissance démographique record. « La hausse du taux de chômage n’est pas due uniquement à des pertes d’emplois, rappelle Robert Hogue, c’est que la population active augmente tellement vite, c’est une situation assez inusitée. »

Le marché du travail sera moins porteur parce que l’impact des taux d’intérêt continue de faire mal aux entreprises.

« Il y a tout un contraste entre les salaires qui augmentent de 7 % et les profits des entreprises qui baissent de 20 % au Canada, explique Matthieu Arseneau. Les entreprises sont un peu traumatisées par les pénuries de main-d’œuvre, elles gardent leurs employés, mais à un moment donné, il y a des secteurs qui vont avoir des difficultés et il y aura des décisions difficiles à prendre. »

Les entreprises pourraient aussi subir l’impact du ralentissement prévisible de l’économie américaine au début de l’année. Les risques d’une récession ou d’un ralentissement majeur aux États-Unis ne peuvent pas être écartés, estiment nos trois participants. Si ça arrive, « on va être exposés par le canal des exportations », avance Jimmy Jean.

Des gouvernements trop généreux

Les gouvernements se sont montrés généreux récemment pour aider les ménages à faire face à l’inflation. Cette générosité a nourri la croissance économique et l’inflation que la Banque du Canada s’efforçait de calmer. « Je pense qu’il va falloir que les gouvernements fassent attention parce que les investisseurs sont très aux aguets de leur situation financière », estime Matthieu Arseneau.

Le niveau des déficits et de l’endettement des gouvernements, tant au Canada qu’aux États-Unis, devrait imposer une certaine retenue dans les dépenses publiques. Si le contexte économique devait se détériorer, les demandes d’intervention vont affluer de toutes parts, et les gouvernements ont démontré qu’ils ont du mal à résister à la tentation, surtout que l’échéance électorale se rapproche, craint Robert Hogue. « Il y a peut-être quelque chose qui a changé durant la pandémie, les programmes de dépenses pour faire face à des situations absolument historiques deviennent un peu la norme. »

Le Canada a intérêt à faire preuve de plus de rigueur dans ses dépenses s’il veut conserver sa cote de crédit triple A. Après avoir analysé la situation financière du gouvernement, les économistes de la Banque Royale sont arrivés à la conclusion que le Canada ne devrait pas tenir pour acquis qu’il conservera cette meilleure note. « On ne dit pas qu’une décote s’en vient, précise Robert Hogue, mais qu’il ne faut pas perdre ça de vue. »