Vive le vin

Entraîner son nez… et le reste !

Mémoire et vin : je me souviens

Rien de tel qu’une coupe de vin pour savourer l’instant présent. Mais dans nos verres se forment aussi des concentrés de souvenirs. Par quels mécanismes le vin se distille-t-il dans nos têtes ? Y a-t-il des stratégies pour muscler notre mémoire de dégustation ? Et quid de la mémoire sociale ? Voici un assemblage de réponses, vendangées auprès d’une sommelière réputée, d’un professeur de psychologie et d’un anthropologue, tous nés sous le signe du raisin.

« Souvent, j’ai l’impression d’avoir une mémoire pourrie, je ne me rappelle pas le vin que j’ai goûté avant-hier, et ça fait rire les gens à cause de mes performances dans les concours ! », lance notre collaboratrice Véronique Rivest, sommelière à l’impressionnante feuille de route (dont le titre de vice-championne du monde de sommellerie en 2013). Alors, comment jongle-t-elle avec ces avalanches de nuances olfactives et gustatives ? Au-delà des souvenirs liés aux émotions, il y a surtout une question d’entraînement, avec des astuces pas seulement réservées aux pros du goulot, et sans que cela devienne une corvée empiétant sur le plaisir. « C’est comme un muscle », illustre Mme Rivest.

Premièrement, elle recommande de tout renifler, tout le temps.

« Quand on cuisine, fait l’épicerie, une marche en ville, en forêt : sentir autant le bon que le mauvais pour développer notre banque de mémoire d’arômes. »

— Véronique Rivest, sommelière

On peut ensuite s’exercer à reconnaître les odeurs de façon ludique, par exemple en plaçant des ingrédients, même les plus banals, dans des récipients opaques percés. « C’est très révélateur, car on réalise à quel point on est nul pour reconnaître des choses familières avec les yeux bandés ! »

Sa recommandation : commencer avec cinq éléments, puis élargir la gamme, en revenant régulièrement sur les précédents. Même écho chez Christophe Fortin, professeur de psychologie à l’Université d’Ottawa, qui suggère d’échafauder un « alphabet des odeurs », puis d’apprendre à les combiner progressivement.

Ensuite, la catégorisation permet de mieux structurer la mémoire. C’est ce qui permet aux grands sommeliers de fonctionner par silos et par déduction, en distinguant de grandes familles d’arômes (florale, végétale, fruitée, etc.). « Par exemple, un vin fruité. Quel genre de fruit ? Agrume, tropical ? Acide, sucré ? Si c’est un agrume, plutôt orange ou citron ? », illustre Véronique Rivest. Nos trois interlocuteurs conviennent que ces catégories restent propres à chacun, sans compter les fossés culturels (que goûte le yuzu ? le durian ?). « Chaque sommelier a sa propre bibliothèque, le même arôme pouvant être placé dans des catégories différentes », souligne M. Fortin.

Cela dit, les échanges restent très bénéfiques, estime la sommelière : « Quand on discute des choses et qu’on en débat, on les assimile mieux, en plus de développer un vocabulaire commun. » Se retrouver entre amis ou en famille crée aussi un contexte positif et favorable. Cela dit, face à l’hypereffervescence contemporaine, elle préconise de faire abstraction des sollicitations externes pour se concentrer sur le contenu de son verre ; bref, s’exercer à la dégustation de pleine conscience !

Ce qui nous conduit aux vertus de l’écriture, unanimement louée. Le chroniqueur Marc Chapleau en a d’ailleurs fait un mantra : « Un carnet de dégustation tu tiendras » figure au sommet de ses commandements. C’est vrai : pros et connaisseurs rédigent des notes à la tonne. « Est-ce que l’écriture fonctionne ? C’est sûr, c’est une manipulation cognitive de l’information et un moyen avec lequel les gens sont extrêmement à l’aise, dit M. Fortin. On pourrait en utiliser d’autres, comme dessiner des pictogrammes ou se tatouer le corps : ultimement, c’est une stratégie pour enrichir le réseau neuronal. »

Attention, cependant, au leurre de la « recette magique » : selon le professeur, imiter les processus d’apprentissage et de mémorisation d’autrui peut être vain, chacun devant plutôt développer le sien.

1000 milliards

C’est le nombre d’odeurs que l’être humain est potentiellement capable de reconnaître, nous apprend Christophe Fortin, professeur de psychologie à l’Université d’Ottawa. « Évidemment, l’être humain n’est, dans les faits, pas capable de toutes les reconnaître ; mais techniquement, si on active tous les récepteurs spécialisés, on arrive à ce nombre. »

Vive le vin

Entraîner son nez… et le reste !

Mémoire et vin : je me souviens

Rien de tel qu’une coupe de vin pour savourer l’instant présent. Mais dans nos verres se forment aussi des concentrés de souvenirs. Par quels mécanismes le vin se distille-t-il dans nos têtes ? Y a-t-il des stratégies pour muscler notre mémoire de dégustation ? Et quid de la mémoire sociale ? Voici un assemblage de réponses, vendangées auprès d’une sommelière réputée, d’un professeur de psychologie et d’un anthropologue, tous nés sous le signe du raisin.

« Souvent, j’ai l’impression d’avoir une mémoire pourrie, je ne me rappelle pas le vin que j’ai goûté avant-hier, et ça fait rire les gens à cause de mes performances dans les concours ! », lance notre collaboratrice Véronique Rivest, sommelière à l’impressionnante feuille de route (dont le titre de vice-championne du monde de sommellerie en 2013). Alors, comment jongle-t-elle avec ces avalanches de nuances olfactives et gustatives ? Au-delà des souvenirs liés aux émotions, il y a surtout une question d’entraînement, avec des astuces pas seulement réservées aux pros du goulot, et sans que cela devienne une corvée empiétant sur le plaisir. « C’est comme un muscle », illustre Mme Rivest.

Premièrement, elle recommande de tout renifler, tout le temps.

« Quand on cuisine, fait l’épicerie, une marche en ville, en forêt : sentir autant le bon que le mauvais pour développer notre banque de mémoire d’arômes. »

— Véronique Rivest, sommelière

On peut ensuite s’exercer à reconnaître les odeurs de façon ludique, par exemple en plaçant des ingrédients, même les plus banals, dans des récipients opaques percés. « C’est très révélateur, car on réalise à quel point on est nul pour reconnaître des choses familières avec les yeux bandés ! »

Sa recommandation : commencer avec cinq éléments, puis élargir la gamme, en revenant régulièrement sur les précédents. Même écho chez Christophe Fortin, professeur de psychologie à l’Université d’Ottawa, qui suggère d’échafauder un « alphabet des odeurs », puis d’apprendre à les combiner progressivement.

Ensuite, la catégorisation permet de mieux structurer la mémoire. C’est ce qui permet aux grands sommeliers de fonctionner par silos et par déduction, en distinguant de grandes familles d’arômes (florale, végétale, fruitée, etc.). « Par exemple, un vin fruité. Quel genre de fruit ? Agrume, tropical ? Acide, sucré ? Si c’est un agrume, plutôt orange ou citron ? », illustre Véronique Rivest. Nos trois interlocuteurs conviennent que ces catégories restent propres à chacun, sans compter les fossés culturels (que goûte le yuzu ? le durian ?). « Chaque sommelier a sa propre bibliothèque, le même arôme pouvant être placé dans des catégories différentes », souligne M. Fortin.

Cela dit, les échanges restent très bénéfiques, estime la sommelière : « Quand on discute des choses et qu’on en débat, on les assimile mieux, en plus de développer un vocabulaire commun. » Se retrouver entre amis ou en famille crée aussi un contexte positif et favorable. Cela dit, face à l’hypereffervescence contemporaine, elle préconise de faire abstraction des sollicitations externes pour se concentrer sur le contenu de son verre ; bref, s’exercer à la dégustation de pleine conscience !

Ce qui nous conduit aux vertus de l’écriture, unanimement louée. Le chroniqueur Marc Chapleau en a d’ailleurs fait un mantra : « Un carnet de dégustation tu tiendras » figure au sommet de ses commandements. C’est vrai : pros et connaisseurs rédigent des notes à la tonne. « Est-ce que l’écriture fonctionne ? C’est sûr, c’est une manipulation cognitive de l’information et un moyen avec lequel les gens sont extrêmement à l’aise, dit M. Fortin. On pourrait en utiliser d’autres, comme dessiner des pictogrammes ou se tatouer le corps : ultimement, c’est une stratégie pour enrichir le réseau neuronal. »

Attention, cependant, au leurre de la « recette magique » : selon le professeur, imiter les processus d’apprentissage et de mémorisation d’autrui peut être vain, chacun devant plutôt développer le sien.

1000 milliards

C’est le nombre d’odeurs que l’être humain est potentiellement capable de reconnaître, nous apprend Christophe Fortin, professeur de psychologie à l’Université d’Ottawa. « Évidemment, l’être humain n’est, dans les faits, pas capable de toutes les reconnaître ; mais techniquement, si on active tous les récepteurs spécialisés, on arrive à ce nombre. »

Vive le vin

Quand l’Émotion rebat les cartes

Une autre dimension, plus personnelle et moins rationnelle, entre en jeu lorsqu’il est temps de consolider notre album de souvenirs gustatifs. Cette pointe de groseille dans ce bourgogne, ne serait-ce pas les baies que je cueillais autrefois dans les buissons de mes grands-parents ? Et ce chianti décapant, n’est-ce pas celui que j’ai dégusté lors de mon premier rendez-vous galant ?

On ne fait pas que se souvenir du vin ; le vin convoque nos souvenirs, s’enveloppant d’un tissu émotionnel lorsqu’il est bu dans un contexte marquant.

« Les gens sous-estiment le rôle de l’émotion dans la formation des souvenirs. Quand on porte un toast, on crée une émotion encore plus vive, à travers laquelle le rappel sera encore plus facile et le goût, plus prononcé. On a adapté ces processus de survie de l’espèce à quelque chose qui est culturellement sympathique », note le professeur de psychologie Christophe Fortin, qui dit par exemple avoir été particulièrement marqué par le champagne Veuve Clicquot bu le jour de son mariage.

Il distingue deux processus : la formation du souvenir et son rappel. Dans le premier, le contexte de dégustation modèlera l’expérience émotionnelle, positivement ou négativement. « Le contexte dans lequel on va aller encoder cette information donnera une saveur particulière. Si je vous donne de la piquette la plus belle journée de votre vie, sans doute en auriez-vous un meilleur souvenir que si je vous la donne alors que vous êtes prisonnier des talibans », pose-t-il.

Ensuite, pour faciliter le rappel du souvenir, divers éléments entrent en jeu, notamment un état psychologique similaire à celui de son acquisition : c’est la congruence émotionnelle. « Le rappel est toujours plus facile quand on est dans le même contexte que celui de l’apprentissage initial », indique le professeur, précisant que l’autoactivation reste possible pour les souvenirs acquis en contexte neutre.

Vive le vin

Au-delà des arômes : des lieux et des hommes

Pour l’anthropologue Vincent Fournier, spécialisé en vin et cofondateur du guide en ligne Sommelier virtuel, les millésimes représentent une autre facette de la mémoire œnologique. « À travers ceux-ci, le vin peut devenir un marqueur de mémoire, on va le rattacher à une époque ou à un évènement précis, qui peut être collectif ou individuel », relève-t-il, citant le Château Mouton Rothschild arborant le V de la victoire sur l’étiquette de son cru 1945.

Le fait de se procurer une bouteille spécifique pour souligner la naissance d’un enfant, en vue de le boire ultérieurement, éventuellement dans un contexte marquant (majorité, mariage, etc.), est un autre exemple du rôle que peut jouer un millésime dans l’évocation du passé – ce qui implique de se tourner vers des vins de garde. L’universitaire entame, par la bande, une réflexion sur le statut à long terme des vins nature, lesquels supportent mal l’épreuve du temps : « Quelle est la place de la mémoire dans ces vins ? En gardera-t-on le souvenir ? »

Mémoire du temps, mais aussi des lieux : « Certains conserveront une préférence pour certains vins, car ils vont leur rappeler des lieux auxquels ils sont rattachés : un pays ou une région qu’ils ont visité, où ils ont résidé », évoque celui qui a gardé un penchant pour les vins du sud de l’Italie, après avoir effectué sa thèse en Calabre. « Quand on servira ces vins-là, on aura des choses à raconter : le voyage, l’expérience au domaine, etc. »

C’est d’ailleurs votre mémoire que certains domaines vont tenter de marquer au fer rouge (ou blanc !), en soignant la réception des visiteurs, dans l’espoir de les fidéliser ou d’en attirer d’autres. « Ces producteurs veulent recevoir des visiteurs, mais ce qu’ils veulent en fait créer, c’est cet attachement, ce lien tissé à travers cette expérience. Les visiteurs auront ainsi quelque chose à raconter sur le vin, mais aussi, ultimement, sur eux-mêmes », raconte M. Fournier, après avoir observé ce genre de stratégie dans la région de l’Okanagan, où les domaines sont particulièrement bien équipés.

Alors, boire pour oublier ? C’est tout l’inverse qui se produit quand on déguste avec passion, concentration, satisfaction et, bien sûr, modération !

Appel à tous

Vous associez un vin bien particulier à un souvenir marquant ? Un cru spécifique contient un arôme unique ancré dans votre mémoire ? Racontez-nous brièvement l’association entre ce souvenir et ce vin, en indiquant le plus précisément possible duquel il s’agit (nom, domaine, origine, etc.). Une sélection d’histoires sera publiée dans un numéro ultérieur.

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