SANTÉ

Une fin « cruelle » pour une femme paralysée

Fatima Gossa ne répondait pas aux critères d'admissibilité à l'aide médicale à mourir

Cesser complètement de boire et de manger. C’est la seule solution qui restait à Fatima Gossa pour s’échapper de son corps, laissé paralysé par une agression conjugale violente.

Son demi-frère, qui vient d’adopter sa nièce laissée orpheline de mère, dénonce la décision déchirante qu’a dû prendre Mme Gossa, cinq ans après l’autorisation de l’aide médicale à mourir au Québec. Elle ne répondait pas aux critères du programme puisque son état était stable.

Résultat : une fin « cruelle et excessivement pénible », un désir qu’a pourtant fait respecter le Curateur public du Québec, responsable de Mme Gossa, selon une enquête ouverte sur les événements. Un cas « très exceptionnel », affirme l’organisation.

« C’est un malheur. Pour la petite, c’est un malheur de perdre sa maman, quand on regarde la souffrance qu’elle a dû endurer », a confié Xavier Mazet, le demi-frère de Mme Gossa, à La Presse.

« C’était une femme exceptionnelle, magnifique. Quelqu’un de très calme, très posé. »

— Xavier Mazet, demi-frère de Fatima Gossa

M. Mazet a rapporté que sa demi-sœur était surveillée par un gardien de sécurité dans les derniers jours de sa vie, parce qu’un autre membre de sa famille refusait sa décision et aurait tenté de la nourrir de force. La Presse n’a pas pu confirmer ou infirmer ces informations.

Mais même ses dernières minutes n’ont pas pu se dérouler sereinement : le proche récalcitrant a fait intervenir des ambulanciers alors qu’elle en était à la toute fin de sa vie, selon une enquête sur cette situation. Ceux-ci ont appelé la police en renfort pour écarter le personnel soignant, ont tenté de la réanimer et l’ont transportée à l’hôpital où elle a été intubée et où on lui a administré un massage cardiaque ainsi qu’une pléthore de médicaments. Elle est morte le même soir.

« Son corps ne répondait plus du tout »

D’origine algérienne, Mme Gossa vivait au Québec depuis environ trois ans lorsqu’elle a été victime d’un épisode tragique de violence conjugale, en janvier 2011. Après plusieurs mois dans un état végétatif, près du coma, elle a repris conscience dans un corps presque complètement inutile.

La femme ne pouvait plus bouger, ne pouvait plus parler et souffrait de problèmes visuels et auditifs importants. Elle avait perdu toute autonomie. Les discussions Skype du vendredi avec son demi-frère Xavier étaient ardues : chaque question était retranscrite par un employé, avant que Mme Gossa puisse faire un petit signe de la tête pour dire « oui » ou « non », a-t-il relaté.

« Son corps ne répondait plus du tout, mais son cerveau marchait très bien », a dit M. Mazet, qui habite en France. Il venait de reprendre contact avec sa demi-sœur lorsqu’elle a été agressée.

« Mme Gossa est demeurée profondément affectée par sa situation et le fait qu’elle n’avait aucun espoir de guérison. Sa souffrance semblait persistante et intolérable », écrit la coroner Julie-Kim Godin dans son rapport, dont La Presse a obtenu copie. « Elle a exprimé à plusieurs reprises le souhait de mourir entre 2015 et 2019. Elle a fait des tentatives de suicide. »

En avril 2019, sa décision est prise : elle cessera de manger et de boire quoi que ce soit afin de mettre fin à ses jours.

Malgré ses multiples handicaps, Fatima Gossa a été jugée apte à refuser un soin (l’alimentation dans ce cas-ci) par trois médecins. Elle savait ce qu’elle faisait. Le personnel du Centre d’hébergement Paul-Émile-Léger de Montréal, où elle habitait, continuait de lui servir un plateau à chaque repas, auquel elle ne touchait pas.

« À la lumière de l’opinion des experts consultés, de l’état de santé de Mme Gossa, de sa qualité de vie et de ses volontés, le Curateur public a choisi de respecter les volontés de cette dernière et il a jugé que cette décision était dans son meilleur intérêt. »

— La coroner Julie-Kim Godin, dans son rapport

Le Curateur public du Québec a toutefois nuancé cette vision des choses : une fois que des médecins ont certifié que Mme Gossa était apte à refuser un soin, il ne lui revenait plus d’intervenir, a indiqué Nathalie Gilbert, chargée des communications de l’organisme. « Les refus de soins d’une personne apte doivent être respectés, a-t-elle écrit dans un courriel. Le rôle du Curateur public, comme représentant légal, est de s’assurer que les droits de la personne sont respectés. »

Un protocole « dépassé »

Le rapport de la coroner Godin met en lumière une directive peu connue, mais appliquée par tous les ambulanciers au Québec : peu importe vos dernières volontés, si l’un de vos proches demande aux ambulanciers de tenter de vous réanimer sur votre lit de mort, ils s’exécuteront.

Ce fut le cas de Mme Gossa. Un membre de sa famille ne pouvait concevoir qu’elle choisisse de cesser de vivre et lui a mis des bâtons dans les roues, tentant de la nourrir de force, selon M. Mazet, et communiquant avec le 9-1-1 pour faire intervenir des paramédicaux. Ce dernier élément est confirmé par la coroner.

Une première équipe s’est présentée la veille de la mort de Mme Gossa. Les ambulanciers ont discuté avec le personnel soignant et ont respecté les volontés de la patiente.

Mais le 16 avril, les ambulanciers sont rappelés. Lorsqu’ils se présentent, ils font face à une femme à l’agonie. Ils appellent la police pour écarter le personnel soignant qui s’oppose à leur intervention et refuse d’écouter leurs explications, en vertu du « Protocole MED.-LEG. 3 » qui leur indique d’intervenir, rapporte la coroner.

Ce mot d’ordre, d’agir dès qu’un proche le demande et sans égard pour les instructions laissées, « me semble dépassé et n’a plus sa raison d’être dans notre société actuelle. Il brime sans raison valable apparente les droits fondamentaux de la personne ayant rédigé une directive de non-réanimation et donne aux proches un pouvoir décisionnel auquel ils n’ont aucunement droit », a écrit la coroner Godin dans son rapport. Selon elle, cette façon de faire est problématique sur les plans juridique, éthique et moral. Dans le cas de Fatima Gossa, elle a « bouleversé profondément tout son processus de fin de vie ».

Chez Urgences-santé, on affirme que les ambulanciers ont agi en toute conformité avec les règles en place et qu’il revient au ministère de la Santé de modifier ou de conserver ce protocole.

« Il faut penser que cette situation s’est déroulée en quelques secondes dans un contexte très émotif », a expliqué Pierre-Patrick Dupont, directeur des soins d’Urgences-santé, en entrevue avec La Presse. « Le travail a été effectué de façon adéquate. »

M. Dupont a souligné que les ambulanciers préfèrent souvent tenter de sauver un patient qui ne voulait pas être sauvé, plutôt que d’échapper un patient qui voulait vivre. D’autant plus que les ambulanciers n’ont pas accès aux dossiers médicaux.

L’opinion de la coroner quant à une révision de protocole est « valable », a-t-il dit, surtout après l’autorisation de l’aide médicale à mourir dans la province. Une révision systématique des protocoles par le Ministère pourrait inclure celui-ci, a-t-il dit.

Comme La Presse n’a pas pu communiquer avec le proche de Mme Gossa qui s’opposait à sa décision de mourir, nous avons choisi de ne pas l’identifier.

« On a adopté la petite. Jade a choisi de prendre le deuxième prénom de sa maman en sa mémoire », a confié Xavier Mazet.

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