État des routes

Le laxisme des autorités montré du doigt

Quand Alan Carter voit une route criblée de nids-de-poule, il pense à un patient qui n’a plus aucune chance de survie. Et lorsqu’il aperçoit des employés réparer les trous avec leurs machines et leurs pelles, il ne peut s’empêcher de soupirer.

« Une route avec des nids-de-poule, c’est un cancéreux en phase terminale. Même si on lui met des pansements, il va mourir quand même », explique celui qui dirige le Laboratoire sur les chaussées et matériaux bitumineux à l’École de technologie supérieure (ETS).

Dans l’état actuel des routes, M. Carter admet qu’il faut bien boucher les trous pour assurer la sécurité des usagers. Sauf qu’il déplore le fait qu’on ait attendu que ces nids-de-poule apparaissent pour réagir.

« Le grand problème de nos routes en est un d’entretien, tranche l’expert. Les connaissances, on les a. Les bons matériaux aussi. Et nos routes, de façon générale, ont été bien conçues et bien construites. Sauf qu’on ne les a pas entretenues. »

Un nid-de-poule n’apparaît pas au milieu d’une route du jour au lendemain. Pour qu’il se forme, il faut d’abord qu’il y ait une fissure dans la chaussée. Cette fissure permet à l’eau de s’infiltrer. Puis cette eau gèle, prend de l’expansion et brise la chaussée par le dessous.

« Aucun matériau bitumineux au monde ne peut résister à la force créée par l’eau qui gèle. »

— Alan Carter, de l’École de technologie supérieure

En entretenant les routes pour prévenir la formation des fissures plutôt que de faire la guerre aux nids-de-poule, le ministère des Transports du Québec et les municipalités qui gèrent nos routes parviendraient à en maintenir la qualité, croit M. Carter. Et, ironiquement, ils épargneraient de l’argent, selon le spécialiste.

« C’est comme si ma voiture commence à rouiller et qu’au lieu de réagir tout de suite, j’attends que la moitié de la porte tombe par terre. Ça va me coûter une porte au lieu d’un peu d’huile et de peinture », dit M. Carter.

Sans compter que les travaux d’entretien préventif, moins lourds à effectuer, perturbent moins la circulation que les réparations majeures.

Bitume Québec, l’association qui représente les fournisseurs de bitume de la province, tient un discours similaire.

« C’est un problème d’entretien, dit Joe Masi, président de l’association, lorsqu’on lui demande d’expliquer le mauvais état des routes au Québec. On a construit les routes, puis on les a laissé se dégrader sans rien faire. »

Selon ces deux hommes, les Québécois ont donc le pire des deux mondes. Ils ont de mauvaises routes, affrontent les cônes orange au quotidien… et paient trop cher pour maintenir en vie des chaussées défoncées.

MONTRÉAL ET QUÉBEC RÉAGISSENT

Le ministère des Transports du Québec (MTQ), qui gère 30 163 km de routes au Québec sur un total de 285 000 km, dit avoir abandonné la stratégie du « pire en premier » – c’est-à-dire réparer les pires routes en priorité.

« Depuis 2006, nous avons un plan d’intervention à long terme », dit Martin Girard, porte-parole du MTQ. Ce plan « privilégie le prolongement de la durée de vie des chaussées en bon état par la réalisation de travaux préventifs », indiquent les documents du Ministère.

Les routes en mauvais état ? Le MTQ avoue qu’elles sont trop nombreuses pour être toutes refaites rapidement. En attendant, il vise à y effectuer des « correctifs moins coûteux ». L’idée : investir le minimum afin de maintenir les routes sécuritaires avant de pouvoir les réasphalter.

« RATTRAPER LE DÉFICIT »

À la Ville de Montréal, le colmatage des nids-de-poule demeure au cœur des interventions. Chaque année, on en bouche de 75 000 à 90 000. Pour la première fois cette année, un budget est aussi réservé à la réparation des fissures, avec l’objectif d’intervenir avant l’apparition des trous. Mais on y consacrera moins de 1 million, sur un budget total de 230 millions pour la voirie.

« Ça fait partie d’un budget d’entretien qui doit être augmenté, admet Lionel Perez, responsable des infrastructures à la Ville. Il faut travailler à prolonger la durée de vie utile de la voirie. »

M. Perez estime devoir jongler simultanément avec plusieurs priorités parce qu’il a hérité des problèmes découlant de décennies de sous-investissements.

« C’est la première fois cette année depuis des décennies qu’on investira non seulement le montant nécessaire pour s’assurer que le déficit du réseau n’augmente pas, mais aussi pour commencer à rattraper ce déficit, dit M. Perez. Et si on maintient ces montants pendant cinq à sept ans, on pourra rattraper le déficit accumulé. »

Alan Carter, de l’ETS, parle de « pas dans la bonne direction » lorsqu’il voit la Ville de Montréal boucher les fissures et le MTQ faire de l’entretien. Mais il souhaiterait qu’on augmente la proportion des budgets consacrés à l’entretien préventif… et qu’on fasse ce dernier de façon systématique.

« La majorité des entretiens est encore en réaction au lieu d’être planifiée », déplore-t-il.

« Il y a du rattrapage à faire et ça coûte malheureusement plus cher que si ça avait été fait avant, ajoute M. Carter. Mais si l’argent est investi aux bons endroits et que le budget et les efforts sont maintenus, les chaussées devraient être en meilleur état et finir par coûter moins cher à maintenir. »

QUELQUES CHIFFRES

6 600 000 $ 

Somme investie par le MTQ pour le colmatage de nids-de-poule en 2014

38 188 tonnes 

Poids des enrobés bitumineux (asphalte) appliqués sur les routes par le MTQ pour boucher des nids-de-poule en 2014

230 millions 

Somme consacrée à la voirie par la Ville de Montréal en 2015, contre 125 millions l’an dernier

30 616 km 

Longueur de routes sous la responsabilité du MTQ

4500 km 

Longueur de rues et de routes sous la responsabilité de la Ville de Montréal

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