Faut-il confier son REER à la Caisse ?

J’ai beaucoup d’admiration pour la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), où je suis passé, comme beaucoup. Pourtant, même si elle est le gestionnaire idéal de notre rente, ce serait une fausse bonne idée de lui confier nos régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER).

Michel Girard, chroniqueur au Journal de Montréal, propose de permettre aux Québécois « d’investir directement une portion de leurs épargnes dans un fonds commun de placement basé sur le gigantesque portefeuille diversifié de la Caisse. »⁠1 La distribution serait confiée à Épargne Placements Québec.

Malheureusement, il serait difficile de « cloner » le rendement de la CDPQ, car plus du tiers de ses actifs est constitué de placements peu liquides, qu’on ne peut reproduire facilement, tels ses immeubles, ses infrastructures ou ses entreprises non cotées en Bourse.

Impossible d’ajouter des étages à la Place Ville Marie quand afflueraient les contributions des épargnants. Une nouvelle tour n’offrirait pas le même rendement, car ni les coûts ni l’attrait ne seraient pareils.

Qu’il s’agisse du REM, de participations dans le tunnel sous la Manche ou dans le port de Brisbane, en Australie, les infrastructures les plus intéressantes sont souvent uniques et la concurrence pour les acquérir, féroce. En acheter pour notre REER en priverait les déposants actuels.

Cloner le portefeuille d’actions en Bourse et une bonne partie du portefeuille obligataire est possible, quoique ce dernier comprend des financements privés. Mais la gestion des actions et des obligations n’est pas l’avantage distinctif de la Caisse.

Les cotisants et retraités du Régime de rentes du Québec, les fonctionnaires du gouvernement provincial et autres déposants sont chanceux que la Caisse ait la taille et l’expertise pour investir dans les actifs peu liquides, mais cela vient avec des contraintes difficilement conciliables avec un REER.

Dans le cas des régimes collectifs, des calculs actuariels permettent de prévoir les entrées et sorties de fonds, ce qui permet d’immobiliser une partie des capitaux pour une très longue période, d’autant que la plupart des clients de la Caisse n’ont pas le droit de changer de gestionnaire, s’ils sont mécontents. L’avantage est que ces placements diversifient les risques et rapportent un peu plus que les actifs liquides à long terme2.

Confier ses REER à la Caisse exigerait de geler ces fonds au moins jusqu’à la retraite, quelle que soit la performance, ou de garder une solide proportion de liquidités qui ne rapportent presque rien pour rendre l’argent à ceux qui voudraient changer de gestionnaire.

Beaucoup seraient déçus des résultats, forcément inférieurs au rendement de la Caisse, car il faudrait déduire les frais de distribution sur le marché du détail, même si cette tâche était confiée à Épargne Placements Québec.

Un portefeuille adapté ? Ou battre les marchés ?

Le rendement de la Caisse qui fait les manchettes est la moyenne pondérée des rendements de ses 46 déposants, régimes de retraite et d’assurances, tous légèrement différents, car chacun requiert un portefeuille adapté à son passif, au profil des paiements qu’il devra débourser.

Chercher un gestionnaire qui bat le marché pour son REER n’est pas la meilleure façon d’assurer sa retraite. Peu y parviennent, net des frais, et la surperformance est rarement durable. Plus important est de commencer à épargner tôt pour profiter des rendements composés.

En fait, le choix le plus déterminant est celui, peu sexy, de la répartition des classes d’actifs. Aussi, chaque déposant de la Caisse calibre soigneusement son portefeuille pour remplir les promesses aux retraités ou aux assurés.

Un REER reproduisant la répartition du portefeuille global de la Caisse – ou même un portefeuille conçu pour des individus – conviendrait à chacun comme des chaussures 9 ½ pour homme. D’où l’importance d’obtenir des conseils personnalisés pour établir et ajuster au fil du temps une répartition selon l’âge, les objectifs et la tolérance au risque.

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Ce serait bien de trouver une formule permettant au petit épargnant d’investir dans des actifs peu liquides, outre sa maison. Mais difficile de concilier la liberté de changer d’idée ou de faire face aux imprévus avec le gel de l’épargne sur une très longue période, sans sacrifier le rendement.

Le modèle canadien des pensions n’est pas parfait, mais il est supérieur à celui de nombreux pays avec ses différents piliers. Je ne crois pas qu’on améliore celui des REER en le confiant à la Caisse, dont ce n’est pas le métier.

Certains verront ici la défense des gestionnaires privés, certes opposés à la proposition de M. Girard. J’y vois plutôt la prudence de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, surtout quand il n’est pas conçu pour les petits œufs de caille.

1. Lisez la proposition de Michel Girard

2. L’immobilier et les infrastructures ont des revenus stables, mais rapportent plus que les obligations, alors que les placements privés donnent un meilleur rendement que les actions cotées.

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