Philippines

L’élection de Bongbong Marcos, un avertissement pour la démocratie

Le 9 mai dernier, la démocratie a subi tout un choc lorsque les Philippins ont élu pour président Ferdinand Bongbong Marcos Jr, fils unique de l’ancien dictateur du même nom. Il a obtenu près de 58 % des suffrages, contre 30 % pour Leni Robredo, actuelle vice-présidente et ancienne avocate des droits de la personne au pays. Bongbong Marcos l’emporte ainsi avec la plus forte majorité depuis la révolution de 1986, qui avait ramené les Philippines à la démocratie.

Le régime du père de Bongbong, Ferdinand Marcos, a été marqué par une forte chute économique, une corruption aussi endémique que massive et d’importantes violations des droits de la personne. Après avoir été élu en 1965 puis réélu en 1969, Marcos a déclaré la loi martiale en 1972 devant l’impossibilité de briguer un troisième mandat. Pendant les 14 années qu’a duré sa dictature, plus de 3250 personnes ont été exécutées, quelque 70 000 ont été détenues et souvent torturées...

Ce lourd héritage n’a pourtant pas empêché le fils du dictateur de ravir la présidence haut la main. Comment expliquer un tel paradoxe ?

La famille d’un dictateur, aussi brutal soit-il, peut revenir au sommet du pouvoir si elle réussit à changer le récit historique national. Au cœur de cette victoire historique de Bongbong Marcos se trouve la capacité et l’efficacité de sa machine électorale à manipuler et à réécrire l’histoire politique. Cette stratégie orchestrée de manière systématique s’est déployée par une omniprésence sur les réseaux sociaux. Dans l’archipel, ceux-ci constituent la principale et, pour beaucoup de citoyens, seule source d’information consultée.

Dans ce pays de 110 millions de personnes où l’usage des réseaux sociaux est l’un des plus répandus dans le monde, la mobilisation de cette forme de communication à des fins politiques et partisanes a été politiquement décisive. Avec un taux d’utilisation de l’internet estimé à 67 %, la perle des mers d’Orient arrive au premier rang mondial quant à la fréquentation quotidienne et à la consultation des réseaux sociaux. En fait, les Philippins utilisent l’internet presque 11 heures par jour et sont actifs sur les réseaux sociaux plus de 4 heures par jour.

La campagne présidentielle de Bongbong Marcos a su manipuler habilement les réseaux sociaux pour créer un nouveau récit de l’histoire du régime de son père. Dans ce récit revisité et réécrit, qui a circulé ad nauseam sur de multiples plateformes, en particulier Facebook, YouTube et TikTok, les années du dictateur Marcos sont décrites comme un véritable âge d’or.

Les violations des droits de la personne et les cas de corruption sont complètement effacés et remplacés par un récit qui vante des années de croissance économique, des infrastructures efficaces et des politiques sociales qui ont aidé les plus démunis.

Cette « nouvelle » histoire ne date pas de la campagne présidentielle. En fait, elle s’est mise en place à partir de 2011, d’abord surtout par Facebook. Au début, le récit voulait que la famille Marcos ait hérité de beaucoup d’or d’une famille royale appelée Tallano. Cet or serait la pierre d’assise pour fortifier les Philippines et réduire la pauvreté. Il serait aussi la raison pour laquelle la famille Marcos n’a jamais eu à piller les finances du pays. Bien que cette histoire soit complètement fabriquée et invraisemblable, elle a puissamment résonné sur les réseaux sociaux, créant ainsi une réputation distordue de la famille Marcos, celle d’avoir été suffisamment riche et nantie pour n’avoir jamais été impliquée dans le pillage des finances publiques.

Au même moment, l’adversaire principale de Bongbong Marcos, Leni Robredo, était présentée sur les réseaux sociaux de manière elle aussi manipulée. Ses discours étaient tronqués ou sortis de leur contexte. Robredo était dépeinte comme une politicienne complètement détachée des préoccupations des gens ordinaires. Ces fausses histoires avançaient aussi que la candidate n’avait jamais aidé personne lors des désastres et catastrophes humanitaires. Par ailleurs, ces mêmes cybertrolls mettaient de l’avant les actions et activités publiques du clan Marcos comme étant marquées d’un souci humanitaire.

Les conséquences de ces fabrications et manipulations sont immenses pour la démocratie. Les fake news et la réécriture de l’histoire par une manipulation des réseaux sociaux peuvent modifier de manière significative les perceptions des citoyens envers les candidats et les politiciens. La victoire de Bongbong Marcos résonne au-delà des Philippines : elle sert d’avertissement et nous donne des leçons sur les risques de déclin démocratique.

Il devient essentiel de se questionner sur la manière dont les médias, les intellectuels, les professeurs, les étudiants, les professionnels et même les célébrités (ou influenceurs) peuvent répondre rapidement à de telles manipulations propagées spécialement lors d’une campagne électorale. Si l’on n’arrive pas à détecter de telles manipulations et à y répondre rapidement, il deviendra difficile pour les citoyens de distinguer les faits des fabrications. Comme vient de nous le rappeler la présidentielle aux Philippines, le contenu véhiculé sur les réseaux sociaux est un outil politique des plus puissants.

Plus près qu’on pense

Au Québec, la devise « Je me souviens » nous appelle à la vigilance. Elle nous rappelle l’importance de connaître et de rendre accessible un récit historique fondé sur des faits, des archives et une information rigoureuse. La récente présidentielle aux Philippines illustre comment une amnésie historique peut être coûteuse en démocratie et à quel point cette mémoire est fragile.

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