ÉDITORIAL TOPONYMIE

« Nègre », « nigger » et autres reliques toponymiques

Il est grand temps de débarrasser nos cartes de ces termes péjoratifs

La Commission de toponymie a entamé une réflexion sur la présence des termes « nègre » et « nigger » dans des noms de lieux québécois. On ne voit pas ce qui pourrait justifier leur maintien.

« Le Comité permanent canadien des noms géographiques a convenu à l’unanimité que des noms comme Nigger Rapids, au Québec, devraient être remplacés par des appellations moins choquantes. Ce n’est pas trop tôt. La nécessité de respecter les origines raciales et religieuses de chacun fait l’objet d’une prise de conscience croissante dans ce pays », soulignait le Ottawa Citizen dans son éditorial du 28 octobre… 1965.

Eh non, la demande faite récemment à la Commission de toponymie du Québec n’est pas un caprice ni la dernière lubie des tenants de la rectitude politique. Il y a au moins un demi-siècle que la connotation péjorative est reconnue sous nos latitudes. Des noms comme Niggertoe Mountain, en Colombie-Britannique, et Nigger Island, en Ontario, ont ainsi été changés pour Mount Nkwala et Makatewis Island dès 1966.

Nos fameux rapides Nigger aussi ont été rebaptisés. En 1975, leur nom a été officiellement remplacé par… Rapides des Nègres.

Le terme controversé figure encore, dans l’une ou l’autre langue, dans 12 lieux québécois. La demande de changement faite cet été n’est pas la première. Les membres de la Commission de toponymie étudient le dossier depuis au moins 2013. Ils décideront des prochaines étapes cet automne, après avoir reçu la mise à jour des analystes de l’organisme.

Leur décision, toutefois, risque de se faire attendre. Changer un nom de lieu officiel prend du temps, explique-t-on à la Commission. Par exemple, le changement de nom de la rue Alexis-Carrel (Nobel de médecine, mais aussi défenseur de l’eugénisme), demandé par le maire de Gatineau il y a deux ans, vient tout juste d’être accepté.

Que la Commission prenne le temps dont elle a besoin. Mais quand on prend une décision au terme d’un processus de réflexion, on fait un choix. Or, on voit mal comment le Québec pourrait défendre un tel choix de termes en 2015.

Oui, ces mots témoignent d’une certaine histoire. Les fameux rapides auraient été baptisés en souvenir d’un couple de Noirs trouvés noyés dans la rivière Gatineau en 1912. Le rocher Nigger et les trois rapides Nigger-Eddy se trouveraient à proximité de sépultures d’esclaves. Sauf que ces mots, il faut bien l’admettre, témoignent surtout d’une autre époque. Et si qualifier les Afro-Américains de nègres était alors une banalité, ce n’était pas pour autant un signe d’inclusion.

Ce besoin de mémoire ne doit toutefois pas être sous-estimé. C’est d’ailleurs pourquoi la Ligue des Noirs du Québec, qui organise une visite à Nigger Rock chaque année, n’est pas favorable aux changements de noms. « Pour les remplacer par quoi ? », demande son directeur, Dan Philip.

On peut trouver de meilleures façons de préserver la trace des Noirs dans notre toponymie. En Californie, une montagne Negrohead et une montée Nigger Nate ont été rebaptisées des noms de Noirs qui ont résidé à proximité. Plus près de nous, à Gatineau, la rue Philipp-Lenard, (un prix Nobel de physique antisémite et membre du parti nazi) s’appelle désormais Albert-Einstein. Un joli pied de nez à ce détracteur de la théorie de la relativité, qu’il qualifiait de « physique juive ».

Les Principes et directives pour la dénomination des lieux de la Commission de toponymie du Canada indiquent que les noms géographiques « doivent être de bon goût » et « que la perception de ce qui est "discriminatoire" ou "péjoratif" peut varier selon l’époque ou d’un lieu à l’autre. » Les provinces sont maîtres de leur toponymie et la commission québécoise a élaboré ses propres directives. Mais elle ne vit pas sur une autre planète ni à un autre siècle. Il est temps d’en finir avec ces termes reconnus depuis longtemps comme insultants.

Squaw et esquimau, les prochaines controverses ?

Une collection pour femme baptisée Dsquaw qui exploite des motifs traditionnels amérindiens ? Ce détournement culturel affublé d’une insulte raciste a déclenché un tollé ce printemps contre la marque Dsquared2, des jumeaux canadiens Dean et Dan Caten. Les designers n’ont pas publié de rétractation officielle, mais le terme « squaw » est désormais introuvable sur leur site.

Le Québec est peut-être la seule province à avoir les termes nigger et nègre dans sa toponymie, mais pour ce qui est des squaw, nos voisins ne donnent pas leur place. La Base de données toponymiques du Canada recense 19 endroits étiquetés de la sorte hors du Québec. Les mots esquimau et eskimo (jadis utilisés par les Blancs pour désigner les Inuit, et aujourd’hui considérés comme péjoratifs au Canada) apparaissent 17 fois.

Le Québec, pour sa part, compte trois occurrences esquimaudes. Huit lieux portent aussi le nom de squaw – il y en a déjà eu quatre de plus, mais ceux-là ont été remplacés par indienne ou sauvagesse, ce qui n’est pas exactement un progrès. On compte aussi bon nombre d’endroits dits « du Sauvage » et « au Sauvage ».

Aucun n’a fait l’objet de demandes, nous dit-on à la Commission de toponymie. Cela viendra peut-être un jour. La décision prise par des festivals commerciaux comme Osheaga d’interdire les coiffes autochtones montre que les attitudes changent à l’égard des Premières Nations.

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