Chronique

On construit l’avion pendant qu’il vole

C’est la Dre Caroline Quach qui m’a dit ça, à propos du mur de connaissances qui s’accumule face à la COVID-19 : on construit l’avion pendant qu’il vole.

Ce que voulait dire la pédiatre de Sainte-Justine, microbiologiste-infectiologue et épidémiologiste, c’est qu’à mesure qu’on en apprend sur ce coronavirus, on ajuste la réponse médicale. Et on en apprend tous les jours. Comme elle m’a dit ce jour-là : ce qui était vrai ce matin ne l’est plus forcément ce soir.

J’ai l’impression que c’est toute la société qui fait voler des avions qu’on construit à mesure. Tout le monde doit s’adapter. Personnellement, au travail, en famille. En société.

À Ottawa, on trouvait il y a quelques semaines que des déficits d’une dizaine de milliards en temps de prospérité, c’était peut-être fort de café. On se dirige vers des déficits de dizaines de milliards. Ça ne chiale pas. C’est la normalité des temps anormaux.

Évidemment, il y a des angles morts partout. Je reçois chaque jour des témoignages qu’on m’envoie, témoignages qui, hors de ces temps anormaux, mèneraient à des chroniques suintant d’une indignation bien sentie.

Cas typique : Maman est en CHSLD, ou alors Papa est en centre privé pour personnes âgées, et l’immeuble est fermé. Les résidants sont pour ainsi dire enfermés, pas de visites. J’ai reçu quelques messages outrés de fils, de filles qui se demandent si on ne va pas trop loin, si tout cela est bien nécessaire, s’il n’y a pas lieu d’assouplir les règles « si on fait attention »…

Je lis ces témoignages, je comprends le désarroi de ces gens-là. Mais je ne peux pas grimper dans les rideaux, je ne peux pas déchirer ma chemise : c’est ce qu’il faut faire pour éviter le pire, pour aplatir cette foutue courbe.

Idem quand une dame m’a écrit, furieuse : le service de garde pour enfants des travailleurs de la santé, comme elle, va confier 20 enfants à une seule éducatrice, un ratio qui défie ce qui se voit dans les services de garde habituels, pestait-elle.

Je la comprenais de pester. Mais encore là, je pense qu’on s’adapte comme société à mesure qu’on avance dans cette ère pandémique.

Il y aura des absurdités, des erreurs. Je ne dis pas qu’il faudra les tolérer, toutes. Mais il va souvent falloir faire avec.

La semaine passée, j’ai reçu en matinée un courriel, un témoignage à vous arracher le cœur : un homme dénonçait une nouvelle politique de l’unité de soins palliatifs où, le matin même, il était allé reconduire sa vieille mère malade…

Pas de visites.

Sauf, peut-être, à la fin, à la toute fin.

La famille a dû faire ses adieux à l’être aimé dans le vestibule de l’établissement.

Dans son témoignage où il interpellait les médias, le pauvre fils en appelait à la dignité humaine, et on le comprend.

Des histoires semblables – des histoires qui en des temps normaux mettraient le feu à l’organigramme des établissements qui prendraient de telles décisions –, j’en reçois à peu près tous les jours. Mes camarades journalistes de La Presse et d’ailleurs, aussi. Des fois, on fait un appel ; des fois, quelqu’un voit la lumière et ajuste une directive, corrige une interprétation des règles. Mais des fois, il n’y a rien à faire. Et je pense que ces prochains jours, ces prochaines semaines et ces prochains mois, on devra collectivement se résoudre à se dire plus souvent qu’avant qu’il n’y a rien à faire.

LA SAQ

Bien sûr que l’alcool n’est pas un service essentiel… D’habitude.

C’est une blague, l’alcool n’est pas plus essentiel ces jours-ci que d’ordinaire. La modération a bien meilleur goût.

C’est en anglais, mardi, que le PM s’est étendu sur une des raisons qui ont poussé le gouvernement à laisser les SAQ ouvertes, pour l’instant. Une de ces raisons : on ne veut pas que les alcooliques se ramassent en grand nombre dans les hôpitaux. Un médecin d’urgence, le Dr Mathieu Bernier, a corroboré : « Attention, si la SAQ est essentielle, c’est parce que sa fermeture remplirait les hôpitaux d’alcooliques en sevrage. On n’aura pas le temps (ni les lits) pour s’occuper d’eux, et un sevrage d’alcool non traité, c’est mortel. »

Et comme a dit le PM, toujours en anglais, en parlant de ceux qui ne vivent pas avec l’alcoolisme : « Pour réduire le stress, il faut faire de l’exercice. Il faut aller faire des marches. Mais des fois, un verre de vin peut aider… »

Tab…, oui.

TEL-AIDE

Je pense que l’époque exige un rappel : Tel-Aide continue son travail d’écoute, si vous avez besoin de parler. C’est au 514 935-1101.

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