Il faudra bien « discriminer »

L’heure n’était pas aux questions délicates, mardi. C’était jour d’annonce du Grand Déconfinement. Ouvrez terrasses, sonnez cloches, astiquez tire-bouchons : on va revivre.

Mais après l’hommage mérité à la science médicale et à la discipline nationale, la question se pose : quoi faire avec les vaccino-hésitants et les récalcitrants de la seringue ?

Je veux dire : pour quelle activité, et surtout pour quelle job, pourra-t-on exiger une preuve de vaccination ?

Nos lois garantissent l’inviolabilité de la personne et le droit de refuser un traitement. On ne peut pas vous vacciner de force.

Fort bien.

Mais ce droit de ne pas se faire vacciner n’inclut pas un droit inaliénable d’entrer dans n’importe quel pays, de faire du karaoké extrême dans un sous-marin ou d’occuper n’importe quel emploi sans être vacciné.

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Les exemples évidents sont ceux des gens travaillant auprès de personnes vulnérables. On pense CHSLD. On pense hôpitaux en première ligne. Il va de soi que ces travailleurs doivent être vaccinés pour protéger tout le monde.

Il n’existe pas encore de décisions des tribunaux pour la COVID-19, mais il existe un précédent de 2008 pour l’influenza, me signale l’avocat Cédric Marsan-Lafond, spécialiste du droit du travail.

Dans cette affaire de la région de Rimouski, des employés d’un CHSLD avaient été suspendus sans solde pour 72 heures pour avoir refusé le vaccin contre la grippe. Il y avait une éclosion dans un CHSLD et ceux qui n’avaient pas été vaccinés ont été envoyés chez eux, le temps de voir s’ils développaient des symptômes, vu que les employés devenaient contagieux avant même de se sentir malades…

(Ça vous rappelle un virus ?)

Le syndicat a contesté cette suspension, mais a perdu devant l’arbitre, puis devant la Cour supérieure. On peut refuser le vaccin… mais on ne peut pas être payé chez soi parce qu’on devient trop dangereux pour les patients.

Dans le cas d’un virus plus dangereux, plus contagieux comme celui auquel le monde entier est confronté, le même raisonnement s’applique à plus forte raison.

Mais sortons du milieu des soins de santé. De nombreux emplois supposent un contact avec le public. Une personne non vaccinée peut mettre à risque la clientèle. Même la clientèle vaccinée, puisque les vaccins ne sont pas efficaces à 100 %.

« Ce sera au cas par cas, mais l’employeur devra démontrer que par la nature de son entreprise et le type de poste que la personne occupe, l’exigence de la vaccination est justifiée », dit MMarsan-Lafond.

Certaines personnes peuvent refuser le vaccin pour des raisons médicales, voire religieuses. Dans ce cas, l’employeur doit trouver un « accommodement raisonnable » : travail à distance, changement de fonction.

Mais ces options n’existent évidemment pas toujours. Et si l’exigence du vaccin est raisonnable, en lien avec les fonctions, il y aura des cas où l’option sera carrément de se faire vacciner ou de perdre sa job.

Le sujet est trop délicat pour être abordé franchement en ce moment, comme l’a démontré Horacio Arruda en conférence de presse. On est encore au stade de l’encouragement, de la pédagogie et de l’effet d’entraînement.

Mais maintenant que virtuellement tout le monde peut être vacciné, et comme demain « presque tout le monde » le sera… il y aura des lignes à tracer.

Et tôt ou tard, le message devra être envoyé : le droit de ne pas être vacciné existe. Mais ne pas être vacciné, ça veut dire être confiné à certains emplois.

Ça veut dire être exclu de certains pays.

Ça veut dire ne pas participer à certaines activités.

Il n’y a pas de droit illimité à la culture, au sport, au loisir, alors pourquoi un propriétaire de gym, ou de salle de spectacle, ou de bateau, ne pourrait-il pas exiger une preuve de vaccination ?

On a des chartes pour empêcher la discrimination. Mais la discrimination, quand elle est faite sur des bases rationnelles, est parfois justifiée, nécessaire même, dans l’intérêt général.

Ce sera la prochaine discussion collective… sur une terrasse, bientôt, bientôt…

Santé !

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