Réseau express métropolitain

LE REM SE FERA ATTENDRE

Une détonation et la pandémie font dérailler l'échéancier

Des explosifs centenaires retardent la mise en service du Réseau express métropolitain (REM). L’ouverture de la partie située sous le tunnel du mont Royal est retardée de 18 mois à la suite d’une détonation « imprévue » en juillet.

« On a eu une détonation imprévue lors du forage, le 21 juillet. Aucun travailleur n’a été blessé. La cause la plus probable, c’est un ancien trou de forage contenant des résidus d’explosifs datant de la construction, entre 1912 et 1918 », a révélé mercredi le chef du bureau de projet du REM, Jean-Marc Arbaud, lors d’une conférence de presse. Selon les résultats de l’enquête, la détonation est survenue à la suite d’un contact thermique avec des résidus de nitroglycérine.

L’incident a causé « un réel impact sur l’échéancier » et s'ajoute aux contretemps attribuables à la pandémie de COVID-19. Les méthodes de travail ont dû être rapidement modifiées. Par mesure de sécurité, les 30 000 trous de forage requis pendant les travaux doivent maintenant se réaliser à l’aide d’une caméra et d’un système de contrôle à distance.

Aucun employé ne peut être à moins de 50 mètres du lieu de forage. En deçà de 585 mètres, les ouvriers devront être dans une cabine protégée. Selon M. Arbaud, ces nouvelles réalités empêcheront de travailler « de façon superposée et de mener différentes tâches en parallèle » dans le tunnel.

« Il est possible qu’il reste d’autres explosifs dans le tunnel […], d’où l’impact sur l’échéancier. On doit prendre toutes les précautions.  »

— Jean-Marc Arbaud, chef du bureau de projet du REM

La détérioration plus importante que prévu du tunnel au centre-ville est aussi un facteur qui aurait retardé l’échéancier, selon le bureau de projet. « Avec l’arrêt des trains, on s’est rendu compte que les conditions générales de ce tunnel sont déficientes et qu’il faut procéder à un certain nombre de travaux pour assurer sa durabilité », ajoute M. Arbaud. L’usage de sel de déglaçage sur McGill College et l’absence de membranes d’étanchéité sur le tunnel pourraient notamment expliquer sa décrépitude.

Retards et coûts en plus, Québec n’épongera pas

Ces retards auront forcément « un impact à la hausse sur les coûts », a reconnu le président et chef de la direction de CDPQ Infra, Macky Tall. « Nous sommes à estimer quels vont être les impacts complets, en travaillant très fort pour les minimiser. Ça fera l’objet d’une mise à jour additionnelle », a-t-il assuré.

Les dépassements de coûts pourraient atteindre jusqu’à quelques centaines de millions. À eux seuls, les travaux de renforcement dans le tunnel du mont Royal coûteront environ 80 millions.

Québec, de son côté, dit réitérer sa confiance envers la Caisse, mais n’entend pas assumer ces dépassements de coûts. « La contribution financière du gouvernement demeurera à 1,28 milliard, assure la ministre déléguée aux Transports, Chantal Rouleau, dans une déclaration envoyée à La Presse. Par conséquent, tout coût additionnel associé à ce retard devra être entièrement assumé par la Caisse. »

Ce nouveau report allonge encore la période au cours de laquelle les usagers du train de banlieue Deux-Montagnes sont privés de leur moyen de transport habituel, leur ligne ayant été mise à l’arrêt jusqu’à l’ouverture du REM, puisque les travaux s’effectuent sur le tracé même de leur train.

Un système de transport alternatif a été mis en place pour cette longue période.

Le porte-parole du comité des usagers du train Deux-Montagnes, Francis Millaire, affirme que tous ces reports ne le surprennent guère. « On s’y attendait. Ce n’est pas une grande surprise, mais ça reste une déception pour beaucoup de gens », illustre-t-il.

Si les mesures de contournement offrent une solution convenable dans le contexte actuel, elles ne pourront le faire lorsque le télétravail cessera d’un coup, croit M. Millaire. « Notre plus grosse crainte, c’est qu’on ne s’adapte pas dans le temps. En ce moment, le système fonctionne bien parce qu’il y a moins d’usagers, mais il ne pourrait pas accueillir 15 000 usagers. On est très inquiets pour la suite », dit-il.

« Advenant un retour massif d’usagers, on se demande si le nombre de bus sera suffisant, et si cet afflux pourra réellement continuer. »

— Francis Millaire, du comité des usagers du train Deux-Montagnes

Un tunnel « compliqué » à prévoir, dit un expert

Pour l’expert en planification des transports à l’Université de Montréal, Pierre Barrieau, les travaux dans un tunnel comme celui du mont Royal sont particulièrement compliqués à gérer. « Sa structure est ainsi faite que la dégradation n’est pas visible de l’intérieur. Et étant donné qu’il y a de la chaussée par-dessus, c’est très dur de mesurer les dégâts avant de réellement tomber dessus », soutient-il.

Certes, il est possible de procéder à des sondes ou des rayons X, mais ces moyens « sont très limités », rappelle le spécialiste. « Je ferais le parallèle avec une maison centenaire. C’est seulement en enlevant le gypse et la laine isolante qu’on arrive à voir les réels problèmes. On peut imaginer que c’est ce qui s’est produit ici », soutient-il.

« Pendant un mégachantier, quand on essaie de recycler du neuf avec du vieux, il y a toujours un risque supplémentaire. Le REM vient d’en faire la démonstration. »

— Pierre Barrieau, spécialiste en transports de l’UdeM

« Je suis surpris que ça ne soit pas arrivé plus tôt », renchérit même M. Barrieau, pour qui le report des autres échéanciers ne peut être justifié que « sur la seule base de la COVID-19 ». En conférence de presse, Jean-Marc Arbaud a notamment reconnu que l’impact de la fermeture des frontières est aussi considérable sur l’approvisionnement et l’emploi d’une main-d’œuvre « spécialisée ».

Le REM est en construction depuis 2018. Il doit à terme comprendre 26 stations et s’étendra sur 67 km dans la région métropolitaine, avec quatre antennes reliées au centre-ville. Officiellement, ce projet est chiffré à 6,5 milliards, mais La Presse a déjà démontré que des factures se sont ajoutées en cours de route pour porter les coûts totaux à près de 7,5 milliards.

En octobre 2019, La Presse révélait également l’existence d’un rapport du consortium NouvLR, responsable de l’ingénierie du projet, selon lequel l’insécurité du tunnel ferait inévitablement exploser coûts et délais.

Les nouveaux échéanciers

Le tunnel du mont Royal

Prévue pour le printemps 2022, l’ouverture du tunnel, situé entre Du Ruisseau et la gare Centrale, ira à l’automne 2023.

Tronçon Rive-Sud

La mise en service de l’antenne reliant la station Brossard à la gare Centrale, qui devait voir le jour dès la fin de 2021, est reportée de « trois à six mois » en raison des impacts de la pandémie. Elle devrait finalement être mise sur pied au printemps ou à l’été 2022.

Antenne d’Anse-à-l’Orme 

D’abord planifié pour 2023, ce tronçon est repoussé au printemps 2024, y compris le segment de l’antenne Deux-Montagnes jusqu’à la station Sunnybrooke.

Antenne Deux-Montagnes

Ce tronçon du REM ne verra finalement pas le jour avant l’automne 2024, au grand dam des usagers de trains de banlieue. Il devait initialement être livré pour la fin de 2023.

Antenne vers l’aéroport Montréal-Trudeau

Elle est retardée d’un an, de la fin 2023 à la fin 2024, en raison de tests supplémentaires devant être effectués.

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