Chronique

Comment leur expliquer ? 

Il était avec sa grand-mère, la veille de l’élection présidentielle américaine. « J’ai hâte que tout ce cirque soit terminé, lui a-t-elle dit. Demain, on va avoir la paix ! » Il l’a regardée droit dans les yeux, et le plus sérieusement du monde, lui a répondu : « Si Trump gagne, on va avoir la guerre… »

Il a 10 ans. Et il est « trumpatisé ». L’état du monde le rend anxieux depuis le 8 novembre. Il n’est pas le seul. Je nourris sans doute ses angoisses, en m’inquiétant chaque jour de la nomination de tel propagandiste antisémite comme conseiller stratégique ou de tel juriste accusé de racisme comme ministre de la Justice. Soyons francs : l’entourage du président désigné des États-Unis n’a rien de rassurant, à moins d’être soi-même un suprémaciste blanc…

Le soir de l’élection, il suivait le dépouillement des votes en Floride comme s’il s’agissait du septième match de la Coupe Stanley entre le Canadien et les Bruins. Donald Trump en avance, Hillary Clinton reprend le dessus, Trump rattrape son retard… On a dû l’arracher à la télé pour le mettre au lit. « Tout va bien aller, lui a dit sa mère, se faisant la plus rassurante possible. Demain, on aura élu la première présidente américaine de l’histoire ! »

L’histoire a changé de cap. Le lendemain matin, lorsqu’on lui a annoncé la nouvelle, il n’en croyait pas ses oreilles, convaincu qu’on lui faisait une très mauvaise blague. En fin d’après-midi, son frère est rentré du collège en déclarant : « On a parlé de trois choses aujourd’hui à l’école : de l’élection américaine, de Donald Trump et de la Troisième Guerre mondiale ! »

La semaine dernière, le plus jeune s’est réveillé au beau milieu de la nuit, après un cauchemar. « Est-ce qu’il y avait dans ton rêve un monsieur avec le visage orange et les cheveux jaunes ? », lui a demandé sa mère. Il a ri – un peu jaune, oui –, mais pas assez pour dissiper ses inquiétudes.

Je me suis rappelé mes propres 10 ans, et le jour où j’ai vu The Day After à la télé. Le film catastrophe avait marqué les esprits (il a été regardé par quelque 100 millions d’Américains sur la chaîne ABC). J’avais été terrorisé par la perspective imminente d’une guerre nucléaire.

Comment rassurer les enfants ? Comment leur expliquer la victoire de Donald Trump ? Comment leur expliquer qu’en intimidant, en étant mesquin et odieux, en promettant d’exclure les autres, surtout ceux qui sont différents, on peut devenir président ? Comment leur expliquer qu’un menteur pathologique n’ayant aucune expérience ou compétence politique particulière puisse devenir « l’homme le plus puissant de la planète » ?

C’est contraire à toutes les valeurs qu’on a pu leur inculquer depuis qu’ils sont nés. Contraire à tous les films qu’ils ont pu voir en boucle en DVD. 

C’est Les Indestructibles de Pixar, mais sans la famille de superhéros qui sauve la planète à la fin. Seulement le supervilain Megamind, ou le méchant Syndrome avec ses cheveux couleur de feu, qui devient le maître du monde sans happy end à la clé.

On me dira que c’est la vie, la dure réalité, et qu’il ne faut pas tout épargner à nos enfants. Soit. Mais comment leur expliquer que ceux qui ont voté pour un raciste misogyne ne sont pas eux-mêmes des racistes misogynes ? Seulement qu’ils ne trouvaient pas ces « petits défauts » assez graves pour les dissuader de voter pour lui…

Comment leur expliquer que tout ce qu’on lit sur un « site de nouvelles » n’est pas nécessairement vrai ? Qu’en cette ère post-factuelle de « post-vérité » – le mot de l’année selon le dictionnaire britannique Oxford –, quantité de lurons s’amusent à publier des mensonges et de fausses rumeurs. Et qu’à force d’être répétés, ils finissent par se substituer à la vérité.

« Pourquoi ils feraient ça, papa ? », m’a demandé le plus vieux d’un ton catastrophé. Pour discréditer les uns et faire mousser la popularité des autres. Pour le simple plaisir de berner les gens, de se jouer de tout le monde et de dévoiler au grand jour la crédulité et l’ignorance d’une grande partie de l’électorat.

Les histoires fabriquées de toutes pièces ont été, en fin de campagne présidentielle, plus lues que les nouvelles authentiques. Fallait-il se rendre jusque-là, au triomphe des conspirationnistes, pour rappeler à nos enfants qu’il faut être plus que jamais vigilant lorsqu’on s’informe ? Oui, mon chéri, c’est désespérant. Pourtant, il ne faut pas désespérer.

Comment faire comprendre à mes fils que les Américains ne sont pas prêts à élire une femme ? Il suffit d’écouter tous ces électeurs avouer qu’ils « aimaient bien Bill » mais ne voteraient jamais pour « Hillary-la-menteuse » pour s’en convaincre. Les mensonges de Donald ont pourtant été comptabilisés, répertoriés, authentifiés, jusqu’à ne plus savoir où compter. 

Comment leur expliquer que 1000 mensonges d’homme ne comptent pas davantage qu’une demi-vérité de femme ?

Comment leur expliquer que les Américains ont préféré élire un président qui souhaite construire un mur à la frontière du Mexique, empêcher les femmes de disposer de leur propre corps et interdire la présence de musulmans sur son territoire ? Comment leur expliquer la haine ? Le nationalisme ethnique ? Le Ku Klux Klan ? Les actes de violence commis contre les musulmans, les Noirs, les Latinos, depuis deux semaines ?

« Tu sais, papa, si Trump est réélu dans quatre ans, je serai adulte avant qu’il y ait un autre président », m’a rappelé le plus jeune. Une adolescence complète passée sous le règne d’un démagogue. Je ne lui ai pas rappelé qu’il était à moitié Arabe. Seulement qu’il avait la chance de ne pas être Américain. Et que c’est dans l’adversité que l’on apprend à se tenir debout.

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