États-Unis

Quand le pays de la liberté devient liberticide

Avec le revirement en juin 2022 de l’arrêt Roe c. Wade aux États-Unis – qui faisait de l’accès à l’avortement un droit fédéral –, force est de constater que le débat sur les droits reproductifs a dépassé les frontières pour s’importer directement au Canada et en Europe. Désormais, ce sont les droits des personnes queers qui sont menacés avec la multiplication de projets de lois anti-LGBTQIA+ à la Cour suprême américaine. Le risque de voir ces mêmes tendances se renforcer dans le reste du monde est alarmant.

« Pays de la liberté », « Terre des libres ». Des mots que Washington assume de manière presque messianique depuis l’époque de la destinée manifeste. Des mots qui résonnent avec l’idée du « rêve américain » et la promesse d’une société démocratique, respectueuse des droits de la personne. Pourtant, ces mêmes droits n’ont jamais été autant remis en question qu’aujourd’hui et, à la manière de l’effet papillon, la vie politique américaine continue d’influencer les tendances internationales.

Ces dernières années, la polarisation politique américaine entre démocrates et républicains s’est radicalement accentuée, si bien qu’elle en est devenue pernicieuse pour la démocratie. La perte de confiance envers les institutions a induit la multiplication de décisions antidémocratiques proposées par certains élus du Grand Vieux Parti (Grand Old Party), remettant en question des décennies de progrès en la matière.

Avec le revirement de l’arrêt Roe c. Wade en juin dernier, les États américains sont désormais libres de restreindre ou d’interdire l’avortement sur leur territoire. Déjà 13 États traditionnellement républicains comme le Texas, l’Alabama et le Tennessee ont officiellement interdit l’avortement, sans exception pour les cas de viols ou d’inceste. Le juge Clarence Thomas, qui a œuvré en faveur du renversement de Roe c. Wade, invite désormais aux contestations juridiques envers la contraception et le mariage entre personnes du même sexe. Un saut de 50 ans en arrière.

La remise en cause de ce droit par Washington a déjà ravivé des vagues de manifestations anti-IVG (interruption volontaire de grossesse) partout dans le monde, notamment au Canada et en France, alors que cette dernière est sur le point d’inscrire le droit à l’avortement dans sa constitution. Bien que sans incidences négatives sur ces législations où l’avortement est acquis, cette tendance risque de servir d’exemple pour des pays aux politiques plus restrictives à les renforcer, voire les légitimer.

Plus récemment, ce sont les droits des personnes LGBTQIA+, et plus particulièrement des personnes trans, qui menacent d’être à leur tour bafoués. On compte déjà presque 361 projets de loi anti-LGBTQIA+ déposés par les législateurs à la Cour suprême américaine depuis le début de l’année 2023, surpassant le total pour l’année 2022. Plusieurs d’entre eux ont déjà été adoptés par certains États américains. Sept ont déjà interdit l’accès aux soins d’affirmation de genre pour les mineurs. L’État de l’Oklahoma a proposé une loi interdisant ces mêmes soins aux adultes. Le Tennessee a interdit les performances de drag. D’autres projets de loi visant notamment à interdire l’enseignement des questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle dans les écoles, d’utiliser les toilettes publiques pour les personnes trans ou encore d’obtenir une pièce d’identité conforme à son identité de genre risquent désormais de faire leur chemin vers la Cour suprême.

Même si elles ne sont pas acceptées, ces propositions de loi criminalisent l’existence même des personnes LGBTQIA+. Ces lois ont été édictées au moment où Brihanna Ghey, 16 ans, a été poignardée à cause de sa transidentité en Angleterre, où Kelly, Daniel, Raymond, Derrick et Ashley ont perdu la vie lors d’une fusillade survenue dans une discothèque queer à Colorado Springs et où Lucas, collégien français de 13 ans harcelé à l’école en raison de son homosexualité, a mis fin à ses jours. Les législateurs de ces lois portent d’une certaine façon le sang de ces victimes sur leurs mains.

Similairement à l’annulation de Roe c. Wade et ses potentielles influences à l’encontre des droits reproductifs, la montée des lois anti-LGBTQIA+ dans un pays aussi influent que les États-Unis alimentent dangereusement cette vague historique de recul des droits de la personne. Le « pays de la liberté » semble alors avoir plus en commun avec la panoplie de régimes autoritaires qu’il condamne ouvertement. Une chose est sûre, l’Amérique « de la liberté » n’est plus légitime de porter ce nom.

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