Secteur manufacturier

Le plan du « Fabriqué au Québec »

L’ambition du retour de la fabrication locale vient avec son lot de défis et de paradoxes

François Legault veut rapatrier au Québec la fabrication de « toutes sortes de produits qu’on importe de la Chine, mais aussi de l’Europe et des États-Unis ». Mais pour la production manufacturière, qu’est-ce que ça signifie ?

Deux cas de figure se présentent. Fabriquer ici ce qu’on achète pour l’instant ailleurs. Et rapatrier la fabrication qui avait été délocalisée.

Dans un cas comme dans l’autre, le défi n’est pas mineur. Distech Controls a relevé le second.

Pas une pièce. Pas cinq. Des dizaines et des dizaines de pièces de plastique différentes étaient moulées en Chine pour l’entreprise québécoise Distech Controls, située à Brossard.

Sa production est de retour au Québec. Distech Controls conçoit et fabrique des systèmes de gestion et d’automatisation pour le chauffage, la climatisation et l’éclairage de grands édifices.

Ses modules de contrôle, ses télécommandes, ses boîtiers électroniques comportent tous des pièces de plastique moulées par injection. Il y a une quinzaine d’années, la logique et la tendance à la délocalisation voulaient que leur fabrication soit confiée à d’abordables, quoique distants, fournisseurs chinois.

Mais au milieu des années 2010, l’entreprise a revu son calcul.

« Quand on regardait les coûts globalement, y compris les coûts de transport, ça revenait assez cher. Le plastique est léger, les pièces sont volumineuses : on transportait de l’air. »

— Élisabeth Gagnon, vice-présidente aux opérations chez Distech Controls

L’entreprise voulait également accroître la proportion de fabrication canadienne de ses systèmes, pour satisfaire aux exigences de l’ALENA et limiter les droits douaniers. « Près de 98 % de nos produits sont vendus à l’étranger », rappelle Mme Gagnon.

C’est pourquoi Distech, dont 98 % des produits sont exportés, a entrepris de rapatrier sa production en 2015.

« La question n’était pas le prix de la matière première, qui est le même ici, relate la vice-présidente. Il fallait trouver un partenaire qui était prêt à optimiser le plus possible ses opérations pour être en mesure de faire concurrence aux fabricants chinois.

« On en a rencontré quatre. »

Un seul s’est dit prêt à relever le défi.

Et près de cinq ans après ce rapatriement, quel est le bilan ? « Que des avantages, répond la vice-présidente. Sur le plan des coûts, c’est moins cher, en considérant les frais de transport. »

La proximité dans l’espace et dans le temps – c’est-à-dire dans le même fuseau horaire – a assoupli les échanges et a procuré à l’entreprise une nouvelle agilité.

« Pour l’innovation et le développement de produit, ça facilite énormément le travail de nos ingénieurs. »

Distech a connu depuis une croissance fulgurante. En 2019, l’entreprise a fait mouler un total de 1,5 million d’exemplaires de quelque 120 pièces différentes par son fournisseur québécois. En 2020, ce nombre devrait atteindre 2 millions.

Rapatriement et relocalisation

Le rapatriement d’un élément ou d’un produit dont la fabrication avait été délocalisée « est possible, mais pas pour tout », observe Richard Blanchet, président de STIQ, association multisectorielle d’entreprises manufacturières.

« Ce que les dirigeants nous disent en général, c’est que l’intérêt n’est pas très grand pour rapatrier ce qui est déjà sorti. Parce que lorsqu’on l’a sorti, la décision était basée sur plusieurs facteurs. »

Très souvent, les arguments demeurent suffisamment valides pour ne pas entreprendre un ardu rapatriement.

S’il s’agit de produire ici, mieux vaut porter le regard vers l’avenir plutôt que corriger le passé.

« Les gens nous disent : “Regardons plutôt pour les nouveaux produits, les innovations, et voyons comment on peut travailler ensemble pour développer ici des produits à plus haute valeur ajoutée, qui vont être distinctifs.” »

— Richard Blanchet, président de STIQ

Mais pas n’importe quel produit jusqu’ici importé.

Fabriqué ici ce qui n’est fait qu’ailleurs ?

« Premièrement, si on veut que quelque chose qui est uniquement fabriqué ailleurs soit fabriqué ici, ça prend un entrepreneur qui décide de créer une usine », résume Frédéric Laurin, professeur en économie à l’École de gestion de l’UQTR et chercheur à l’Institut de recherche sur les PME.

« L’entrepreneuriat est un processus social et culturel qui n’est vraiment pas simple. Ça veut dire qu’il faut d’abord travailler avec les entreprises qu’on a ici. »

Mieux vaut donc se concentrer sur ce que l’on sait bien faire, dans les secteurs où l’expertise est reconnue.

Mais avec la vague de délocalisation, sait-on encore le faire ? Combien d’artisans et de petits ateliers ont disparu avec leur expertise ?

Une expertise de perdue, dix de retrouvées

« On a perdu de l’expertise, mais en même temps, c’est une occasion, parce qu’on peut sauter une génération de technologie », fait valoir Yanick Tremblay, coprésident de l’Association des designers industriels du Québec (ADIQ).

« La technologie va tellement vite que l’expertise perdue, c’est en grande partie des technologies d’il y a 20 ans, alors que si on veut relancer le manufacturier, il faut s’appuyer sur celles des prochains 20 ans. Et là, on part tous sur la même ligne de départ. Une fois que la machine est programmée, elle n’a pas de désavantage par rapport à une délocalisation en Asie. »

— Yanick Tremblay, coprésident de l’Association des designers industriels du Québec

Bravo. Mais qui dit machine et automatisation dit aussi lourds investissements, qui, règle générale, doivent être compensés par une production d’autant plus intensive qu’elle peut se poursuivre jour et nuit.

Mais le marché local peut-il y suffire ?

Le marché local… d’exportation

« Si on est capables d’être concurrentiels ici, on va être capables d’être concurrentiels à l’étranger aussi, donc on va être capables d’augmenter nos parts de marché à l’international dans ces secteurs », souligne Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ).

Évidemment, si chaque région, chaque pays relocalise sa production dans l’objectif de la distribuer sur les marchés locaux étrangers, il semble y avoir là un paradoxe en forme de goulot d’étranglement.

L’opposition entre fabrication locale et marché international « est une contradiction qui est fausse », rétorque Frédéric Laurin, qui a fait porter sa thèse de doctorat sur cette question. « Pour être concurrentiel sur les marchés internationaux, il faut vraiment un produit qui se distingue, d’abord par son prix, puis par ses spécificités. Ça peut être un élément technique, le service à la clientèle, le design. »

Le vrai paradoxe est ici : cette distinction internationale se gagne avec l’identité régionale et la coopération locale, soutient-il.

« De plus en plus, on fait de la valeur ajoutée qui porte sur un design, de la technologie, une unicité particulière. Ça demande du sur-mesure, de la personnalisation, donc ça demande de la capacité à bien coopérer avec ses sous-traitants. Et ça, ça se fait mieux à proximité. Le face-à-face est avantageux et on est dans les mêmes référents culturels. »

Un retour à la production locale est également l’occasion de repartir sur des bases fraîches, avec de nouvelles idées.

Des idées jeunes.

« Je suis en contact avec plusieurs entreprises émergentes et la nouvelle génération a une vision complètement différente de l’industrie et de la fabrication manufacturière », souligne Marie-Pierre Gendron, l’autre coprésidente de l’ADIQ. « Elles prônent la collaboration à une échelle vraiment plus grande que dans le passé. Il y a un nouveau mouvement qui fait que si une entreprise ne peut pas produire quelque chose actuellement, elle collabore avec une autre, qui va la lui produire. En échange, elle va l’aider à un autre moment. Cette dynamique de collaboration est exponentielle et elle risque de changer la façon de travailler et de voir les choses. »

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