HUÎTRES

Une culture unique dans le Maine

EDGECOMB, MAINE — Le soleil se lève à peine que Barbara Scully revêt déjà sa combinaison de plongée sous-marine. Ses deux labradors la regardent prendre la direction de son bateau. Ce matin, ils n’accompagneront pas leur maîtresse sur la rivière Damariscotta, dans le Maine. Nous prendrons leur place pendant que Barbara Scully disparaîtra sous les eaux salées de la rivière trois heures durant pour cueillir ses huîtres à la main, une à la fois.

La propriétaire de la Glidden Point Oyster Sea Farm fait les choses autrement des autres éleveurs de mollusques. De tous les États-Unis, elle est la seule à pêcher ses huîtres à la main plutôt qu’à la drague.

« La plongée me permet d’avoir une meilleure connexion avec mes huîtres. Si les huîtres sont heureuses dans leur milieu ou si elles sont stressées, le meilleur moyen de le savoir, c’est de se rendre dans le fond de la rivière et de regarder leur comportement. Ce sont des animaux, après tout », raconte-t-elle, de la buée s’échappant de sa bouche. En ce matin ensoleillé d’automne, le thermomètre affiche 2 °C.

De la cueillette à la livraison des huîtres, Barbara Scully tente de minimiser son empreinte écologique. Lorsqu’elle plonge, elle coupe le moteur de son bateau, contrairement aux producteurs qui pratiquent la pêche à la drague. Pour nettoyer les coquillages, elle utilise un tuyau connecté à la rivière. Surtout, elle s’installe sur un quai flottant pour que l’eau retourne entièrement dans la rivière.

Le triage des mollusques s’effectue d’ailleurs par un employé, sans tapis roulant ni mains robotisées. « Lorsque Zak a terminé de trier les huîtres, il apporte les roches, les coquillages morts et les algues au centre du chenal. Ainsi, le calcium demeure dans la rivière et ça fait moins de déchets sur terre », explique-t-elle.

Barbara Scully travaille à la dure, mais elle ne croit pas qu’elle aurait eu la vie plus facile si elle élevait ses huîtres d’une manière plus conventionnelle. « C’est certainement la manière la plus ardue de faire les choses, mais il y a des difficultés dans les autres manières de pêcher. Si tu lances une drague et que le moteur de ton bateau brise, tu ne peux plus faire le travail. En plongée, je peux y aller quand je veux, pourvu que la météo le permette. »

UNE RENOMMÉE QUI ATTEINT LE QUÉBEC

La récolte à la main n’est pas étrangère au goût singulier des Glidden Point. Lorsque les huîtres se font brasser dans les dragues, de tout petits fragments de coquillage se cassent. En même temps, le fond marin se fait remuer, ce qui fait en sorte qu’un peu d’eau boueuse se retrouve à l’intérieur des huîtres. Même si elles se nettoient à l’étape de la purge, une infime quantité de vase pénètre dans la chair et altère son goût.

Pour purger ses huîtres, Barbara Scully place les coquillages dans de grands filets au milieu de la rivière Damariscotta, à environ 20 km de l’embouchure de l’océan Atlantique. Pendant deux semaines, les huîtres se nettoient grâce aux marées qui montent et redescendent. En comparaison, certains producteurs purgent leurs huîtres pendant à peine deux jours.

Alexander Meletakos, vice-président de la poissonnerie La mer, a visité des éleveurs du Massachusetts, du Maine et de l’Île-du-Prince-Édouard. À la poissonnerie, il vend environ 45 variétés d’huîtres. La manière de faire de Barbara Scully est unique, atteste-t-il.

« La première raison, c’est évidemment parce qu’elle plonge et qu’elle choisit les huîtres individuellement. Ça ne perturbe pas celles qui ne sont pas prêtes pour le marché. »

— Alexander Meletakos, vice-président de La mer

« L’une des choses les plus remarquables à propos des Glidden Point, c’est aussi leur propreté. Je n’ai jamais ouvert une huître avec de l’eau boueuse ou de petits sédiments. Les coquillages sont intacts, et la chair est belle et charnue », explique-t-il.

Le chef de la prestigieuse Maison Boulud est lui aussi un friand des huîtres Glidden Point. Riccardo Bertolino a essayé des dizaines et des dizaines d’huîtres avant d’arrêter son choix sur les coquillages de la rivière Damariscotta.

« C’est une catégorie supérieure d’huîtres. Elles ont une qualité exceptionnelle. Ce sont des huîtres qui sont très bien balancées, qui ont un goût profond et ce parfum iodé de la mer que j’aime particulièrement », affirme-t-il.

DES HAUTS ET DES BAS

Barbara Scully récolte de 10 000 à 15 000 huîtres par semaine qu’elle envoie à des poissonneries et des restaurants triés sur le volet. En été, sa saison la plus occupée, elle peut sauter sur son bateau à cinq heures du matin, toujours avec Gus et Bud D., ses deux fidèles compagnons. Tout au long de notre visite, la travailleuse dévouée répète que ses deux enfants, maintenant de jeunes adultes, lui donnent aussi un énorme coup de main.

Sa saison commence au mois de mars et s’étend jusqu’en janvier lorsque l’eau frôle le point de congélation. Elle essaie cependant d’abattre le plus de boulot possible lorsque le temps est clément. « Pelleter la neige sur le bateau avant d’aller pêcher, ce n’est pas l’idéal », dit-elle en riant.

Le succès qu’elle obtient aujourd’hui n’a cependant rien à voir avec un conte de fées ou un rêve de petite fille, raconte celle qui célébrera son 52e anniversaire dans moins de 2 semaines. Son élevage d’huîtres est plutôt né d’un parfait concours de circonstances… et de beaucoup d’ardeur.

Barbara Scully occupait un poste de scientifique au sein du département des Ressources marines du Maine. Lorsque son employeur a décidé de remettre certaines huîtres à la mer à la fin d’un projet-étude en 1987, elle en a récupéré quelques-unes pour les élever à temps perdu, les soirs et les week-ends. Quinze ans plus tard, elle a quitté son poste de scientifique pour se consacrer uniquement à son élevage.

Au fil des saisons, il lui a parfois fallu surmonter des écueils. Certaines années, le Maine s’est fait souffler par de violentes queues d’ouragans. Les bébés huîtres, pas plus gros que des têtes d’épingle, ont été éparpillés et perdus dans la rivière. Comme les huîtres prennent de trois à cinq ans pour atteindre une grosseur adéquate pour le marché, les pertes étaient particulièrement douloureuses.

Il y a quatre ans, Barbara Scully a d’ailleurs vécu une de ses saisons les plus difficiles. La maladie MSX, qui sévissait auparavant dans des climats beaucoup plus cléments, a tué 90 % de toutes ses huîtres. Comme si ce n’était pas assez, elle a appris qu’elle était atteinte du cancer du sein l’été suivant.

Aujourd’hui, elle s’est débarrassée de la maladie MSX et, surtout, elle a retrouvé la santé. Lorsqu’elle parle de ses huîtres et de son travail, ses yeux pétillent et son sourire rayonne.

Elle insuffle d’ailleurs son énergie aux visiteurs qui s’arrêtent pour acheter des huîtres fraîches dans la petite cabane peinte en jaune, en bordure de la River Road. Si elle n’y est pas, les clients se servent eux-mêmes et laissent leur argent dans une boîte. Mais pour goûter à la passion de Barbara Scully, il vaut la peine d’attendre son retour de la rivière. Sinon, il y a toujours moyen de goûter à ses huîtres, ici, à Montréal.

Chanceux que nous sommes.

OÙ GOÛTER AUX HUÎTRES GLIDDEN POINT*

Poissonnerie La mer

1840, boulevard René-Lévesque Est, Montréal

lamer.ca

Maison Boulud

1288, rue Sherbrooke Ouest, Montréal

maisonboulud.com

Bouillon Bilk

1595, boulevard Saint-Laurent, Montréal

bouillonbilk.com

Maestro s.v.p.

3615, boulevard Saint-Laurent, Montréal

maestrosvp.com

* Selon les arrivages

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.