OPINION CLAUDE CASTONGUAY

INFIRMIÈRES
Une profession sous-évaluée

Les infirmières en ont lourd sur le cœur et n’en peuvent plus. Elles dénoncent, ce qui n’est pas leur habitude, les conditions dans lesquelles elles doivent travailler.

Des conditions, soit dit en passant, dont les patients subissent inévitablement les conséquences. Il faut dire que les médecins qui se sont succédé à la tête du ministère de la Santé n’ont fait qu’un minimum à leur égard.

Le moment est assurément venu de revoir leur statut et leur rôle dans notre système de santé. D’autant plus que la ministre Danielle McCann, n’étant pas médecin, peut s’engager dans cette voie dans une perspective d’équité et de valorisation de la profession.

Malgré les engagements des 20 dernières années, l’accès aux soins de première ligne demeure un problème majeur.

Les longues attentes dans les urgences des hôpitaux et les débordements des civières, qui vont jusqu’à excéder de 200 % les ressources disponibles, constituent un problème chronique inacceptable.

De plus, au moins 20 % des Québécois n’ont pas de médecin de famille. De toute façon, que donne avoir son nom sur la liste d’un médecin inaccessible, qui ne vous consacre que quelques minutes ou en qui vous n’avez pas confiance ?

Enfin, les services de santé mentale sont, si l’on en juge par les nombreux témoignages, à la fois inadaptés et impuissants devant les besoins.

Ce sont là des problèmes que la CAQ s’est engagée à régler. Mais pour ce faire, il va être nécessaire d’aller au-delà des changements à la marge qui ne peuvent modifier l’ordre établi. La nécessité d’agir et de s’attaquer aux causes s’impose, compte tenu des sérieux problèmes qui perdurent depuis de trop nombreuses années face aux besoins des patients.

Simplement à titre d’exemple, la récente annonce sur les cliniques d’hiver pour désengorger les urgences ne constitue qu’une réaction aux symptômes qui ne touche aucunement les causes du problème.

Un long chemin vers la reconnaissance

Pour mieux saisir comment se situent les infirmières dans cette problématique, un bref retour dans le passé est nécessaire.

À l’origine, que ce soit en Grande-Bretagne ou en France, les infirmières ont été reléguées jusqu’à la Seconde Guerre mondiale à des rôles effacés et considérés comme secondaires. En France, ce n’est qu’en 2006 que l’Ordre national des infirmiers a été créé ! Comme on peut le constater, les infirmières ont dû s’engager dans un long processus d’affirmation de leur profession et de reconnaissance de leur statut professionnel. Un processus qui, à des degrés divers selon les territoires, est loin d’être terminé.

Au Québec, elles demeurent assujetties à la profession médicale et le statut de professionnel leur est refusé.

De plus, elles continuent d’être traitées avec parcimonie à la suite du passage des ministres-médecins qui se sont succédé à la tête du ministère de la Santé. Pourtant, dans la réalité, 24 heures sur 24 et 365 jours sur 365, les infirmières assurent, beau temps, mauvais temps, la lourde responsabilité des soins aux patients dans nos hôpitaux et nos autres établissements de santé.

Leur champ de pratique est rigoureusement encadré dans la législation. On y trouve même une série d’activités qui leur sont défendues. C’est d’ailleurs dans cet esprit de contrôle qu’une prime de 40 000 $ a récemment été accordée à chaque omnipraticien qui supervise le travail d’une infirmière praticienne. Un non-sens. Et c’est ainsi qu’à la suite d’un traitement par une superinfirmière, le patient doit se présenter chez son médecin dans les 30 jours. Ce qui, à bien y penser, est un autre non-sens.

Une telle attitude et un tel encadrement sont dépassés. Malgré l’évolution profonde des besoins de la population et l’accroissement correspondant dans les responsabilités des infirmières, le Québec demeure la seule province qui n’exige pas le baccalauréat universitaire conformément aux standards de formation toujours plus élevés dans tous les domaines. La correction de cette anomalie demande un changement de culture afin que le statut de professionnel des infirmières soit reconnu. Aussi, afin qu’elles soient traitées comme tel par les médecins.

Sur le plan des soins de première ligne, la situation exige en premier lieu que les soins qu’elles peuvent assumer soient clairement définis.

Puis, qu’elles soient déployées selon les besoins dans les différents types de cliniques. Enfin, qu’elles soient incitées à créer des cliniques animées principalement par des infirmières cliniciennes.

Quant aux soins de longue durée, aux soins à domicile et aux personnes en perte d’autonomie, le rôle des infirmières doit être adapté à ces besoins variés et croissants avec le vieillissement de la population. Une fois le diagnostic établi, la majorité des patients ont besoin de suivi, de soins d’entretien et de soutien. Des responsabilités qui doivent être confiées aux infirmières assistées d’auxiliaires.

Une simple comparaison avec le modèle des soins infirmiers de l’Ontario illustre bien la voie à suivre. On y trouve plus de 25 cliniques d’infirmières cliniciennes et d’infirmières, contre une seule clinique au Québec. Une clinique qui doit se débattre, car le Ministère n’accepte pas le concept de clinique sans médecin. De plus, l’Ontario comptait en 2016 près de 2800 infirmières praticiennes comparativement à moins de 400 au Québec. C’est tout dire !

Enfin, les conditions de travail et la rémunération des infirmières doivent être normalisées dans une perspective d’équité et afin de rendre la profession attrayante. 

Plusieurs infirmières m’ont affirmé spontanément que si c’était à recommencer, elles auraient choisi un autre métier ou une autre profession.

Des défis pour la ministre

À la suite du passage de Gaétan Barrette à la Santé, un intermède de stabilisation s’est imposé. Mais dès que possible, la nouvelle ministre Danielle McCann va devoir s’attaquer aux causes du dysfonctionnement de notre système de santé. Le statut des infirmières, leur rôle et leurs conditions de travail devraient normalement se situer en tête de liste de ses priorités.

La ministre, qui connaît bien notre système de santé, a une occasion assez unique de faire sa marque de façon significative et durable. Si elle s’engage avec détermination dans cette voie, elle va bénéficier de larges appuis. Les infirmières ont la sympathie des Québécois.

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