Éducation

Le Québec perd la course

Le Québec n’accueille qu’une part congrue des cerveaux qui viennent étudier au pays, ce qui, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre aiguë, désavantage la province. C’est que le fédéral refuse plus de la moitié des demandes visant le Québec, un taux largement plus élevé qu’ailleurs au pays.

Un dossier d’André Dubuc et de William Leclerc

Éducation

Loin derrière l’Ontario

Le nombre d’étudiants étrangers qui entrent au pays a doublé en quatre ans. L’Ontario en profite à plein. Le Québec ? Si peu que la province risque de perdre la course aux talents internationaux.

Selon les données d’Immigration Canada, le Canada a délivré 256 000 permis d’études à des étrangers en 2019, le double d’il y a quatre ans.

La moitié des candidats acceptés au pays étudie en Ontario. Le Québec, pour sa part, accueille seulement 12 % des titulaires de permis d’études, moins que le poids de sa population de 22,5 % dans le Canada.

Cette sous-représentation n’est pas sans conséquence, puisque l’attraction et la rétention des étudiants étrangers constituent un axe stratégique en vue de créer de la richesse et de soulager un tant soit peu la pénurie de main-d’œuvre à moyen terme. Le ministre de l’Immigration du Québec, Simon Jolin-Barrette, a décliné notre demande d’entrevue en nous invitant à communiquer plutôt avec Ottawa.

« La réalité, c’est que l’écart se creuse entre le Québec et les autres provinces dans la course aux talents », déplore Christian Bernard, économiste à Montréal International, organisme de prospection des investissements directs étrangers, qui fait aussi la promotion de Montréal comme ville étudiante internationale.

« Les étudiants étrangers sont la main-d’œuvre qualifiée de demain. »

— Christian Bernard

M. Bernard rappelle que le Canada est en compétition avec la plupart des pays occidentaux dans cette course aux talents.

D’après les chiffres obtenus par La Presse, 51 % des étrangers voulant étudier au Québec se sont vu refuser leur permis d’études par le gouvernement canadien en 2019, contre 38 % dans le reste du pays.

Outre la barrière de la langue française, qui réduit le nombre de demandes à son égard, le Québec est pénalisé par le refus du Canada de laisser entrer au pays un fort contingent d’étudiants francophones en provenance d’Afrique.

Selon Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), les raisons courantes pour refuser une demande sont que « le demandeur n’a pas prouvé qu’il a assez d’argent pour subvenir à ses besoins pendant ses études ». Ou qu’« il n’a pas convaincu l’agent des visas qu’il quittera[it] le Canada à la fin de sa période d’études », explique, dans un courriel, Peter Liang, conseiller en communication d’IRCC. Pour certains pays, un examen médical est également requis. Dans tous les cas, le candidat ne doit pas avoir de dossier criminel.

« Ce qui est désolant, ajoute Christian Bernard, de Montréal International, c’est la contradiction entre, d’une part, les critères mis de l’avant pour délivrer ou non le permis d’études et, d’autre part, la volonté de tous les paliers de gouvernement qui déploient des initiatives et qui investissent des sous avec l’intention d’attirer et de retenir davantage d’étudiants internationaux au Canada et au Québec. »

Le 31 janvier, l’organisme a recommandé que le Canada réduise le taux de refus des étudiants francophones dans une étude sur la connectivité de la métropole, produite conjointement avec la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Accepter deux fois plus d’étudiants dans l’espoir de pourvoir les places disponibles

Au trimestre d’automne 2019, à l’Université de Sherbrooke, 37 des 102 places réservées aux étudiants étrangers admis au bac en régime coopératif avec stages de travail rémunérés n’ont même pas pu être pourvues, les étudiants admis ayant été refusés par Immigration Canada. L’institution avait pourtant admis 189 étrangers au départ pour que soient pourvues ces 102 places.

À l’Université Laval, le taux d’inscription des étudiants internationaux préalablement admis a décliné depuis 2014. Il se situait à 67 % en 2018, dernière année pour laquelle la donnée est disponible. « En nombre absolu, le nombre a augmenté de 1100 à 1400 étudiants internationaux. Ce qui nous préoccupe, c’est qu’en pourcentage, ça baisse. On a des étudiants qui ne peuvent pas venir chez nous faute d’obtenir leur permis d’études à temps », dit Yan Cimon, vice-recteur adjoint aux affaires externes, internationales et à la santé et directeur des affaires internationales et de la francophonie.

« En 2017, il y a eu des bourses qu’on n’a pas pu octroyer parce que les élèves n’avaient pas leur visa. »

— Bernard Tremblay, PDG de la Fédération des cégeps du Québec

Ces bourses d’exemption de droits de scolarité pour la francophonie du Sud, au nombre de 235 par an, ont été créées par le premier ministre Philippe Couillard lors du Sommet de la Francophonie tenu au Madagascar en 2016.

En raison de refus de permis d’études, le réseau des cégeps est incapable d’atteindre son objectif, datant de 2012, de 5000 étudiants internationaux. Les 48 cégeps publics accueillent actuellement 4300 élèves étrangers au diplôme d’études collégiales.

Dans le reste du Canada, les collèges d’enseignement professionnel formaient 151 000 étrangers en 2017, d’après un document de 2018 du Bureau canadien de l’éducation internationale. C’est 35 fois plus qu’au Québec.

« On cherche à mieux faire connaître aux agents d’immigration le réseau collégial, avance M. Tremblay, en guise de solution. On leur dit que ça se peut qu’un diplômé universitaire d’Afrique veuille suivre après coup une technique dans un cégep. Il y a un grand attrait pour les formations techniques qui ne sont pas très présentes dans le système d’éducation en Afrique. »

« Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, l’intégration des étudiants internationaux au réseau collégial représente la solution à la régionalisation de l’immigration, qui est un problème au Québec depuis 40 ans », soutient le patron de la Fédération des cégeps.

Les Africains refusés par dizaines de milliers

Les données d’Immigration Canada montrent que les taux de refus sont particulièrement élevés pour les demandeurs des pays africains, principal réservoir de locuteurs francophones, après la France.

La proportion de refus atteint 90 % pour les Guinéens, 82 % pour les Camerounais, 77 % pour les Algériens et 75 % pour les Sénégalais.

Depuis cinq ans, 16 000 étudiants algériens et 5300 Sénégalais se sont ainsi vu refuser l’entrée au pays.

« Nous n’arrivons pas à nous expliquer cette situation, écrit dans un courriel René Gingras, DG du Cégep de Rivière-du-Loup. Nous espérons qu’il y aura déblocage bientôt. Nous pourrions ainsi accueillir plus d’étudiants qui parlent français, qui s’intègrent dans notre région et qui répondent aux besoins du marché du travail. »

De leur côté, les collèges et universités anglophones du reste du Canada ne rencontrent pas ce problème. Ils recrutent les étudiants de pays anglo-saxons, de pays comme le Japon, la Chine, l’Inde et la Corée du Sud, tous plus riches que les pays africains. Les taux de refus y sont beaucoup plus faibles.

Cheminement d’un étudiant étranger

Processus d’inscription d’un étudiant étranger : 

1. Lettre d’admission d’un cégep ou d’une université

2. Obtention du Certificat d’acceptation du Québec (taux d’acceptation : 97 % ; délai moyen : 20 jours ouvrables)

3. Obtention d’un permis d’études d’Immigration Canada (taux d’acceptation : 49 % ; délai moyen : 6 semaines)

4. Simultanément à l’obtention du permis d’études, obtention du visa de résident temporaire s’il y a lieu ou de l’autorisation de voyage électronique

5. Inscription à l’établissement d’enseignement

« Aucune discrimination », soutient Immigration Canada

« Les demandes du monde entier sont examinées de façon uniforme et en fonction des mêmes critères. Il n’y a absolument aucune discrimination dans notre processus d’évaluation des demandes », se défend M. Liang, d’Immigration Canada.

Aucune discrimination, mais des objectifs totalement contradictoires avec ceux du Québec, déplore la Fédération des cégeps.

Le fédéral ferme la porte quand il n’est pas convaincu que l’étudiant quittera le pays à la fin des études. Or, ce même étudiant est recruté en se faisant promettre par Québec qu’une fois diplômé, il pourra rester au pays de façon permanente.

Par exemple, des missions de recrutement d’étudiants visent régulièrement le Maghreb, une région pour laquelle Immigration Canada refuse de 40 à 77 % des demandeurs.

Autant de cerveaux qui n’entrent pas au Québec.

Étudiants étrangers au Canada

Cinq pistes pour hausser la part du Québec

Pour attirer davantage d’étudiants étrangers, le Québec pourrait toujours emprunter un raccourci et imiter la France en proposant des formations uniquement en anglais. Le cégep de Gaspé a choisi cette voie avec son campus de Montréal, qui accueille 2000 Indiens et permet à la maison d’enseignement de faire des profits de 1 million. Des solutions moins controversées existent néanmoins.

Diminuer le taux de refus des permis d’études

« On aimerait voir plus de flexibilité dans le processus de délivrance des permis d’études, confie Yan Cimon, de l’Université Laval. Il y a énormément de pièces justificatives à fournir. C’est difficile de voir des dossiers refusés pour des formalités. »

Si le taux d’acceptation des demandes visant le Québec remontait au niveau du Canada hors Québec, la province aurait accueilli 10 000 étudiants internationaux de plus en 2019. Rapidement, la part du Québec passerait de 12 à 18 % de l’ensemble des étudiants étrangers présents au Canada.

Le fédéral ferait ainsi d’une pierre deux coups. Le pays marquerait plus de points dans la course aux cerveaux qui a cours en Occident tout en diminuant sa dépendance à l’égard de l’Inde et de la Chine, responsables à eux deux de 54 % du flux d’étudiants internationaux au pays.

Instaurer le traitement rapide des permis dans les pays francophones

En 2018, le gouvernement canadien a lancé le Volet direct pour les études (VDE) pour les demandeurs de la Chine, de l’Inde, des Philippines et du Viêtnam, puis en juillet 2019 pour le Pakistan. Le VDE a permis de réduire les délais de traitement.

« Quand vous avez des délais qui interrompent ou qui induisent un report de projets d’études, ce n’est à l’avantage ni de l’étudiant ni de l’université », dit Yan Cimon, de l’Université Laval, où les deux tiers des étudiants étrangers inscrits sont africains.

« Dans le cadre du VDE, les permis d’études des étudiants potentiels peuvent être traités plus rapidement, avance Immigration Canada, dans un courriel, car en faisant leur demande, ceux-ci montrent d’emblée qu’ils ont les ressources financières et les compétences linguistiques. » Le VDE a été élargi au Maroc et au Sénégal en septembre 2019.

Élargir l’admissibilité des diplômés du collégial au PEQ

L’accès rapide à la résidence permanente pour les candidats ayant passé par la filière étudiante contribue à la popularité du Canada comme terre d’études. Au Québec, la voie rapide se nomme le Programme de l’expérience québécoise (PEQ), en révision. Les cégeps voudraient que le gouvernement ouvre le PEQ aux diplômés d’une attestation d’études collégiales, obtenue habituellement après un an d’études, dans les secteurs en pénurie de main-d’œuvre.

Augmenter le nombre de bourses

La France a haussé les droits de scolarité facturés aux étrangers en 2018. La mère patrie cible dorénavant les pays payants comme l’Inde et la Chine. L’Afrique francophone pourrait en subir les contrecoups, elle qui fournissait historiquement 45 % des étudiants étrangers en France, selon un article du Devoir de novembre 2018. Une fenêtre s’ouvre pour le Québec en augmentant le nombre de bourses versées aux Africains. Depuis 2016, le Québec offre 500 bourses d’études aux francophones du Sud qui s’inscrivent au cégep. Encore faudrait-il que les agents d’Immigration Canada considèrent la bourse dans l’examen de la demande de permis d’études.

Entente avec la Belgique et la Suisse

La Fédération des cégeps est en demande auprès du gouvernement pour que celui-ci conclue une entente pour admettre les étudiants de la Belgique et de la Suisse aux mêmes conditions monétaires que les Français dans le réseau collégial. Les étudiants en provenance de l’Hexagone acquittent les mêmes frais que les Québécois. Une entente existe avec la Belgique depuis deux ans pour faciliter l’inscription de ses ressortissants à l’université, mais rien en ce qui concerne le cégep. Aucune entente n’existe actuellement avec la Suisse.

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