Une deuxième semaine cruciale

Plus d’une centaine de ministres attendus

Si le coup d’envoi de la COP15 a été donné mardi dernier, c’est au cours de la deuxième semaine que les choses sérieuses se mettent en branle à la Conférence internationale sur la biodiversité qui se tient à Montréal. Le Canada et la Chine auront fort à faire cependant pour rallier les 196 pays d’ici dimanche prochain.

« Cette semaine pourrait être un moment historique pour la nature et notre avenir à tous. » Le directeur général du Fonds mondial pour la nature (WWF), Marco Lambertini, a placé la barre très haut, en conférence de presse, lundi matin, au 6e jour de la COP15 à Montréal. « La nature a les clés pour plusieurs solutions à des problèmes de nos sociétés », a-t-il ajouté.

« Je suis plus optimiste maintenant. Des progrès ont été réalisés », a confié en point de presse, lundi, Elizabeth Maruma Mrema, secrétaire exécutive du Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, qui organise la COP15. « Le nombre de crochets [points en litige] diminue chaque jour. »

« La deuxième semaine est cruciale. Mais il y a des signes positifs. Il y a une espèce de fébrilité dans l’air », a indiqué à La Presse Anne-Céline Guyon, chargée de projet climat à Nature Québec.

Plus d’une centaine de ministres de nombreux pays sont d’ailleurs attendus d’ici mercredi. Ce sont eux qui vont conclure les négociations finales en vue d’un éventuel accord pour un nouveau cadre mondial sur la biodiversité.

Un leadership mené par la Chine et le Canada

Selon Eddy Perez, directeur de la diplomatie climatique au Réseau action-climat, la suite des choses dépendra en bonne partie de la collaboration entre la Chine, qui préside cette COP15, et le Canada, qui est le pays hôte.

« La coordination entre le Canada et la Chine, c’est ce qui pourrait contribuer à rendre tous les ministres plus confortables [dans les négociations] », a-t-il expliqué, ajoutant que « le Canada doit utiliser son influence ».

« C’est un peu historique. Ce sont des choses qu’on ne voit pas au G20 », précise M. Perez au sujet de la bonne entente qui semble régner entre les deux pays pour cette conférence internationale. « J’ai des indices qu’ils se parlent », affirme-t-il.

« Autant la Chine que le Canada jouent ce rôle [de coordination]. On voit un bon leadership. En coulisses, il se passe beaucoup de choses grâce au leadership de la Chine et du Canada. »

— Elizabeth Maruma Mrema, secrétaire exécutive du Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique

Cette coordination entre les deux pays sera cruciale jusqu’à la toute fin, souligne cependant Eddy Perez. « Si jamais ça se brise, c’est problématique. »

« Avec l’arrivée des ministres, on entre dans une période extrêmement politique », ajoute-t-il.

Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a précisé à La Presse la semaine dernière qu’il suivait quotidiennement l’évolution des discussions.

« Je rencontre mon homologue chinois [le président de la COP15] presque tous les jours. J’ai parlé à plusieurs de mes homologues qui ne sont pas nécessairement ici, qui vont arriver [la semaine prochaine], pour leur demander de donner des instructions claires à leurs délégations ici pour que les choses avancent. Alors si on met tout ça ensemble, je demeure optimiste. »

Mardi matin, Steven Guilbeault et le ministre chinois de l’Environnement, Huang Runqi, qui préside la COP15, feront d’ailleurs le point sur l’état des négociations, à 24 heures de l’arrivée officielle des ministres représentant plus de 100 pays.

« On arrivait à cette COP vraiment inquiets par rapport aux retards dans les négociations. Mais il y a eu une pression supplémentaire de la société civile », estime Anne-Céline Guyon, de Nature Québec.

« Les 48 dernières heures seront cruciales », ajoute-t-elle.

Points litigieux

Si l’optimisme est au rendez-vous, il reste néanmoins plusieurs points en litige à régler dans les prochains jours.

Elizabeth Maruma Mrema a précisé lundi que tous les chiffres et les cibles chiffrées du projet d’accord « sont entre parenthèses », ce qui signifie qu’aucune entente n’est intervenue à ce jour. « Ces discussions vont être difficiles », a-t-elle affirmé.

Cela signifie, par exemple, qu’il n’y a pas d’entente encore sur l’objectif phare, soit celui de protéger 30 % du territoire d’ici 2030.

C’est le cas aussi de l’objectif 7, qui prévoit de réduire de moitié ou des deux tiers l’utilisation de pesticides d’ici 2030. L’objectif 18, lui, prévoit d’éliminer les subventions nuisibles à la biodiversité à hauteur de 500 milliards de dollars américains à l’échelle planétaire.

Un accord est-il possible avant le 19 décembre, dernière journée officielle de la COP15 au Palais des congrès de Montréal ? Elizabeth Maruma Mrema a précisé que contrairement à la COP27 sur le climat, à Charm el-Cheikh, en Égypte, son organisation ne pouvait pas prolonger aussi facilement les négociations à Montréal.

« Les leaders doivent se concentrer sur ce qui est nécessaire et sur ce que la science nous dit. Sinon, on fera juste continuer de faire comme d’habitude [business as usual] », affirme Marco Lambertini, du WWF.

Réduction mondiale des pesticides

« Avant de courir, il faut marcher »

La mise en place d’une première cible mondiale de réduction des pesticides – proposition débattue au Sommet mondial sur la biodiversité à Montréal – doit s’assurer d’être « réaliste », estime le ministre québécois de l’Agriculture, André Lamontagne.

« Avant de courir, il faut marcher », a-t-il souligné en marge de son passage, lundi, à la COP15, où il a prononcé une allocution sur l’agriculture durable.

« C’est important que […] ce soit raccroché à la réalité, a-t-il ajouté. Il faut que ça tienne la route parce que sinon, les premiers qui vont décrocher, c’est ceux dont le travail, c’est de nous nourrir. »

L’agriculture est au cœur des négociations en vue de l’adoption du prochain cadre mondial sur la biodiversité. La cible 7 du texte, qui aborde la question de la réduction de la pollution, propose de diminuer au moins de moitié ou des deux tiers l’usage des pesticides d’ici 2030.

Au delà d’un « pourcentage », la cible doit être en phase avec la réalité quotidienne des agriculteurs, a dit le ministre Lamontagne.

« Les gens qui décident tout ça sont à cent deux mille pieds dans les airs. Une fois de temps en temps, il faudrait qu’ils plongent et qu’ils aillent au ras des pâquerettes pour s’assurer que ce dont ils sont en train de discuter, ça tient la route sur le terrain », a-t-il remarqué.

Le plan québécois

Au Québec, le Plan d’agriculture durable, adopté en 2020 lors du premier mandat de M. Lamontagne, vise à faire chuter de 15 % le volume de pesticides vendus à l’échelle de la province d’ici 2030.

« Avant de réduire, il faut arrêter l’augmentation. Juste de stabiliser l’utilisation dans un contexte où l’intensité augmente, déjà c’est beaucoup », précise-t-il.

« Juste nous autres, le contrat qu’on s’est donné de réduction de 15 %, ça peut sembler comme pas beaucoup. Mais si on regarde la courbe [d’utilisation des pesticides], de la stabiliser et de la réduire […], c’est un grand défi. »

— André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation

Le ministre André Lamontagne a profité de son passage à la COP15, lundi, pour annoncer qu’il bonifierait de 15 millions son programme de rétribution financière pour les producteurs qui adoptent de meilleures pratiques environnementales à la ferme.

L’approche consistant à récompenser financièrement les bons élèves est la pierre d’assise du Plan d’agriculture durable (PAD) 2020-2030, qui disposera d’une enveloppe de 135 millions pour rétribuer les producteurs qui adoptent des pratiques agroenvironnementales favorables à la biodiversité.

« Alors avant de dire 70 %, voyons si le système qu’on met en place, il nous fait pointer vers où on cherche à aller. Après cela, si tu t’aperçois que ce que tu es en train de mettre en place, ça a l’air de marcher, par la suite, si tu veux accélérer, si tu veux aller un peu plus fort, tu peux ensuite chercher les façons de le faire. »

Sommet du mont Royal

40 % du stationnement transformé en espace vert

Montréal va transformer près de 300 places de stationnement en espace vert au sommet du mont Royal, a annoncé lundi la mairesse Valérie Plante. Le projet, présenté comme un legs de la COP15, devrait commencer à l’été 2024 et se terminer deux ans plus tard. Au total, 40 % des 725 places de stationnement situées autour de la Maison Smith seront retirées pour laisser place à une partie de la « clairière naturelle » prévue dans les plans originaux d’aménagement du parc, qui remontent au XIXe siècle. Ces stationnements sont peu utilisés la semaine et ne se remplissent que les samedis et dimanches. En contrepartie, la Ville de Montréal est en discussion avec la Société de transport de Montréal (STM) afin d’augmenter la desserte en transports en commun. La Ville a aussi annoncé la plantation de plusieurs centaines d’arbres au pied de la montagne, ainsi que la volonté de verdir des stationnements de l’ancien Royal Victoria qui lui seront cédés dans 10 ans.

— Philippe Teisceira-Lessard, La Presse

Restauration de milieux naturels

Ottawa s’engage pour 19 millions d’hectares d’ici 2030

Ottawa s’est engagé lundi à restaurer 19 millions d’hectares de terrains dégradés et déboisés d’ici la fin de la décennie. Le Canada se joint ainsi au Défi de Bonn (Bonn Challenge), un programme mondial visant la restauration de milieux naturels à l’échelle planétaire, soit 350 millions d’hectares de terres d’ici la fin de la décennie. Le gouvernement Trudeau s’est fixé comme objectif, lundi, de restaurer une superficie équivalant à plus de trois fois le territoire de la Nouvelle-Écosse d’ici 2030. Le programme, lancé en 2011 par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), regroupe 61 pays. En 2017, 150 millions d’hectares avaient déjà été restaurés. L’objectif de 350 millions d’hectares d’ici 2030 est l’équivalent d’un peu plus de deux fois la superficie du Québec. En plus du Canada, des pays comme les États-Unis, le Mexique et la France sont signataires du Défi du Bonn.

— Éric-Pierre Champagne, La Presse

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