Le télétravail, accélérateur d’un mouvement de dispersion territoriale

Le confinement pour contrer la propagation du virus a entraîné chez les employeurs publics et privés un boom du télétravail. La COVID-19 a fait davantage progresser le télétravail en une nuit qu’en cinq ans sans elle.

Parmi les effets de cette nouvelle façon de travailler, il y a la désertion des centres-villes qui cause de sérieux problèmes financiers à l’activité commerciale. Avec seulement 10 à 15 % des travailleurs de retour au bureau, Montréal appelle désespérément ceux-ci à revenir en ville, une démarche qu’appuie le gouvernement. À cette désertion s’ajoute chez plusieurs le choix de vivre en dehors des grands centres. Pour les télétravailleurs, il y a désormais moins l’impératif d’être collé sur son emploi. Avec la perspective de poursuivre le télétravail à temps plein ou à temps partiel (formule hybride privilégiée par plusieurs employeurs et employés) après la pandémie, le choix de vivre hors de la cité prend de l’ampleur. Le travail à distance élargit le territoire de résidence des travailleurs.

Une étude de l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec révèle que de juin à août, il y a eu 41 % plus de transactions dans les régions qui entourent la métropole, qui elle n’a connu qu’une hausse de 20 %. Les municipalités situées à environ une heure ou une heure et demie de route du centre-ville de Montréal ont connu une véritable explosion des transactions. Sainte-Agathe, Saint-Sauveur et Sainte-Adèle, dans les Laurentides, sont en tête du classement. La Rive-Sud ne fait pas exception. À Granby, par exemple, l’activité immobilière a augmenté de 72 %.

Le télétravail n’est pas un épiphénomène

Tous les sondages, tant auprès des employeurs (secteur public et secteur privé) que des employés, démontrent l’engouement en faveur du télétravail.

Certes, il y a des irritants à corriger, mais l’État, le patronat et les syndicats s’appliqueront à trouver des solutions pour optimiser la pratique du télétravail, car il y a consensus sur le fait que les avantages surpassent les inconvénients dont certains ne sont que transitoires.

Le lundi 7 septembre, le ministre du Travail, Jean Boulet, a annoncé le lancement d’un grand chantier pour mieux encadrer le télétravail.

On est à l’étape ou on apprend à travailler autrement dans plusieurs secteurs de l’activité économique. Ce qui n’a rien d’inusité en soi considérant les technologies d’information et de communication dont on dispose en ce début du XXIe siècle, et les applications numériques complémentaires qui ne cessent d’être créées ou de s’améliorer. C’est le contraire qui serait surprenant. Le télétravail est une manifestation, voire un pas majeur, d’une société qui passe de l’ère industrielle à l’ère postindustrielle avec un nombre croissant d’activités qui se dématérialisent et qui se prêtent au télétravail.

Le travail à distance : de la concentration à la dispersion

Si le télétravail permet l’exécution de tâches à distance, soit à domicile, dans un lieu de coworking ou sur la route (travailleurs nomades), toute la question de la distance se pose ainsi que celle des incidences territoriales. Dans les faits, il s’agit d’une « délocalisation » des emplois concernés.

Le télétravail élargit les bassins d’emploi. La géographie du travail se modifie et avec elle l’occupation du territoire.

La proximité physique à l’égard de son entreprise n’est plus une nécessité. Après des décennies de concentration à travers un processus de métropolisation continu qui a appauvri les régions, les signes d’un mouvement de dispersion et de reconquête territoriale se manifestent.

Causes profondes de l’éclatement des lieux de travail

Si la relation est vite faite entre le boom du télétravail et la demande résidentielle accrue dans les couronnes périphériques et les régions, il faut chercher au-delà du télétravail les raisons fondamentales qui conduisent plusieurs travailleurs et leurs familles à opter pour un milieu de vie en dehors des limites de la grande ville.

Il y a tout d’abord les fragilités des centres métropolitains associées à des dysfonctionnements qui érodent la qualité de vie des résidants : coût de la vie trop élevé, congestion routière, diverses formes de pollution, insécurité de certains quartiers, éloignement des services de proximité, espaces verts insuffisants, stress de la vie quotidienne, anonymat, etc. Les villes moyennes et les petites villes et villages en région exercent une attractivité reconquise du fait des avantages qu’offrent ces milieux : coût moins élevé de l’habitation, proximité des services, plus grande facilité de déplacement, milieu propice à élever une famille, accès aisé aux milieux naturels, meilleure qualité de l’environnement, facilités pour l’autonomie alimentaire (potager et petits élevages), perception d’un esprit communautaire et d’entraide…, autant d’atouts qui se conjuguent pour une qualité de vie améliorée.

Ce tandem répulsion/attraction explique le phénomène d’exode urbain qui affecte les grandes villes depuis une dizaine d’années, une réalité constatée dans plusieurs pays.

Montréal a perdu 178 067 personnes dans ses échanges interrégionaux entre 2010-2011 et 2018-2019, dont 27 890 pour la seule année 2018-2019. À Québec, sans être négatifs, les soldes migratoires sont faibles, soit une moyenne annuelle de 582 pour la même période. Pendant ce temps, plusieurs régions connaissent un bilan migratoire interrégional positif que révèlent les données de l’Institut de la statistique du Québec. Longtemps terres d’exode, les régions redeviennent des terres d’accueil.

Le télétravail apparaît à la fois comme révélateur et accélérateur du mouvement d’exode urbain amorcé depuis quelques années. Puisque la concentration n’est plus nécessaire pour nombre d’activités économiques et d’emplois et qu’une installation dans une ville petite ou moyenne ou un village devient viable et désirable à plusieurs égards, il est désormais loisible de penser que la croissance économique et démographique du Québec sera mieux partagée entre les grandes villes, notamment Montréal, et les villes et villages en régions.

À travers ce mouvement de rééquilibrage territorial, l’idéologie de la métropolisation est remise en cause. Le plan de relance économique de l’après-COVID-19 doit inclure la relance des régions qui se traduira par la mise en œuvre d’une stratégie de renforcement de l’attractivité et de la capacité concurrentielle des villes moyennes et des chefs-lieux des MRC, faisant de celles-ci des bassins de vie, d’activité économique et d’emploi dotés d’un haut niveau d’autonomie administrative et financière. Ainsi parviendra-t-on à combler la fracture territoriale entre les agglomérations métropolitaines de Montréal et de Québec et les régions.

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