Industrie hôtelière

Des milliers d’emplois disparaissent

Les hôteliers redoutent une fuite de leur main-d’œuvre vers d’autres secteurs

Des hôteliers montréalais qui espéraient une reprise de leurs activités ont dû se résoudre à licencier plus de 700 employés, selon le plus récent relevé du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, obtenu par La Presse. Du côté de la région de Québec, l’Association hôtelière calcule que près de 3800 emplois seront perdus d’ici le mois d’octobre.

En tout, ce sont 753 salariés travaillant au Centre Sheraton Montréal, au Delta, à L’Embassy Suites, au Marriott Terminal Aéroport de Montréal et au W Montréal qui ont été touchés par les avis de licenciement – entrant pour la plupart en vigueur de septembre à novembre – que les hôteliers ont transmis au Ministère entre le 19 août et le 2 septembre 2020, indique-t-on dans le document.

Plus à l’est, les travailleurs de l’industrie n’ont pas été épargnés, indique Marjolaine de Sa, directrice générale de l’Association hôtelière de la région de Québec, qui représente 224 établissements. D’ici la fin octobre, celle-ci calcule qu’il y aura environ 3800 emplois perdus. Près de la moitié des travailleurs seront touchés.

« On pensait que ça reprendrait un peu plus que ça » admet Ève Paré, présidente-directrice générale de l’Association des hôtels du Grand Montréal (AHGM), qui se dit peu surprise par le nombre élevé de licenciements.

« Il y avait une espèce de candeur quand on a fermé en mars où on pensait que ça [les frontières] rouvrirait en mai, en juin, poursuit la PDG de l’Association. Et là, on va de mois en mois. Ça se prolonge la fermeture des frontières. C’est vraiment ça qui était l’élément clé dans la capacité à rappeler des équipes et à avoir un peu d’occupation dans les chambres. ll y a certains hôteliers qui ont fait leur préavis en juillet dernier, mais il y en a qui avaient toujours l’intention de repartir donc ils ont attendu. »

La Loi sur les normes du travail prévoit que, lorsqu’une mise à pied temporaire dure plus de six mois, l’employeur est dans l’obligation d’envoyer un préavis de licenciement collectif au Ministère, explique Mme Paré.

« On roule à 15 % de taux d’occupation. [Au début de la pandémie], j’avais de 80 % à 85 % des effectifs qui ont été mis à pied. S’ils n’ont pas été rappelés, automatiquement, ils tombent en licenciement collectif. Il n’y a aucune surprise. »

— Ève Paré

Les préposés à l’entretien, comme les femmes de chambre, et les employés affectés à tout ce qui entoure les activités de banquet (cuisiniers, serveurs) sont particulièrement touchés par ces licenciements, selon Mme Paré. « On a eu des annulations de banquet jusqu’au deuxième trimestre de 2021. Il n’y a pas de groupe dans les livres. Ça va être bien embêtant d’imaginer rappeler des gens pour tenir des réunions d’affaires ou des banquets. »

Maintenir le lien d’emploi

Malgré la situation difficile, la CSN, qui représente 6000 travailleurs dans 63 hôtels à travers le Québec, estime qu’il est primordial pour les patrons et les salariés de conserver un lien d’emploi. « Les conventions collectives continuent de s’appliquer, tient à rappeler Michel Valiquette, trésorier de la Fédération du commerce (CSN) et responsable du secteur touristique. Ils conservent leur droit de rappel, leur ancienneté. »

« On travaille fort, ajoute-t-il. Des travaux sont en cours pour prévoir la relance de cette industrie-là. »

« On a une situation particulière où on est obligé d’émettre des avis de licenciement collectif, mais avec l’intention de rappeler les équipes, assure pour sa part Ève Paré. Il ne faut pas penser que ce sont des pertes d’emplois définitives. »

Lui-même travailleur de l’industrie, M. Valiquette se dit convaincu que les employés, « s’ils ont l’opportunité de revenir à leur travail, vont le faire ». C’est le cas de Danielle Ouellette, qui a travaillé pendant sept ans dans la cuisine d’un hôtel du centre-ville. Interrogée par La Presse, cette mère de famille monoparentale ne cache pas qu’elle pourrait chercher un autre gagne-pain après Noël. Si l’hôtel pour lequel elle a travaillé la rappelle, retournera-t-elle dans sa cuisine ? « Absolument, répond-elle sans détour. On l’espère. »

Mais le retour à la normale pourrait être long, concède-t-on à l’AHGM.

« Je ne peux pas faire de promesses. Tant qu’on n’a pas de vaccin et que les frontières ne sont pas ouvertes, la reprise des activités, on s’attend à ce qu’elle soit longue. »

— Ève Paré, présidente-directrice générale de l’Association des hôtels du Grand Montréal

Dans les circonstances, l’industrie pourrait perdre des employés, selon elle. « J’ai l’impression qu’on peut en perdre pas mal. C’est un risque », dit-elle en faisant référence aux travailleurs qui s’occupent des services d’entretien. En ce qui concerne les banquets, elle souligne que plusieurs travaillent désormais dans les cuisines institutionnelles, notamment dans les hôpitaux.

« Est-ce qu’on va être capables de les récupérer ? C’est une grosse préoccupation. On se rappellera qu’en février, on parlait de la pénurie de main-d’œuvre. C’est sûr que si demain matin il y a un retour à la normale, la pénurie n’aura pas disparu, et si en plus on a une fuite de compétences vers d’autres secteurs, là on va avoir un double problème. »

Du côté de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), la directrice générale, Lisa Frulla, craignait de subir les contrecoups de cette crise, mais affirme que le nombre d’inscriptions dans la plupart des programmes est stable par rapport à l’an dernier. « Ça va reprendre, dit-elle avec conviction. D’ici là, il faut se donner le temps de réfléchir pour valoriser la profession [et non la considérer] comme une job en attendant. »

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

Nombre de salariés touchés par les avis de licenciement dans les grands hôtels de Montréal

(reçus entre le 19 août et le 2 septembre 2020)

Centre Sheraton Montréal : 261

Delta : 195

Embassy Suites : 88

Marriott Terminal Aéroport de Montréal : 127

Hôtel W : 82

Total : 753

Source : ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale

Le secteur touristique veut que la subvention salariale d’urgence soit maintenue

Une coalition d’organisations touristiques réclame le maintien du programme fédéral de subvention salariale d’urgence jusqu’à l’année prochaine pour aider les entreprises qui pourront difficilement se relever de la pandémie de COVID-19. Quarante organisations se sont regroupées pour former une « coalition des entreprises les plus touchées » afin d’exercer des pressions sur le gouvernement fédéral pour qu’il reporte la suppression progressive de la Subvention salariale d’urgence (SSUC) à compter de ce mois-ci. En vertu de ce programme, le gouvernement couvrait jusqu’à 75 % des salaires en fonction des revenus perdus par une entreprise à cause de la COVID-19. Mais à partir de la fin du mois, le gouvernement a l’intention de commencer à réduire le programme dans le but de l’éliminer complètement à la fin de l’année. « Réduire et éliminer progressivement la SSUC pour toutes les entreprises en même temps n’a pas de sens », a soutenu la présidente de l’Association des hôtels du Canada, Susie Grynol, lors d’une conférence de presse, jeudi. « Il faut reconnaître que si certaines entreprises peuvent se rétablir, d’autres ne le pourront pas. Ce programme de soutien devrait refléter cette réalité », a-t-elle ajouté. — La Presse Canadienne

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