Capital de risque

Un « rappel » pour l’industrie québécoise

La condamnation de la fondatrice de Theranos lundi aux États-Unis est un rappel pour les fonds de capital de risque québécois : il est plus crucial que jamais d’user d’une extrême vigilance avant d’investir des millions dans de jeunes pousses aux promesses mirobolantes.

Elizabeth Holmes est devenue la coqueluche des médias – et des investisseurs – américains en fondant à 19 ans une entreprise qui promettait de réaliser 200 tests médicaux avec une simple goutte de sang. Theranos a atteint une valeur de 10 milliards de dollars avant qu’une enquête journalistique démontre en 2015 que sa technologie n’avait jamais fonctionné. Mme Holmes a été reconnue coupable de fraude et pourrait passer des décennies en prison.

La frénésie qui a entouré Theranos entre sa création en 2003 et sa chute est un exemple extrême de l’engouement que peuvent susciter certaines firmes technos. « Les quelques investisseurs qu’on connaissait [dans Theranos], ils ont rencontré la demoiselle le jeudi et le chèque était fait le lundi ; ils n’ont pas fait de vérification diligente », rappelle Chris Arsenault, associé au fonds de capital de risque montréalais Inovia Capital.

M. Arsenault n’a jamais vu un cas de fraude similaire au Québec pendant ses 25 ans de carrière. Mais l’examen détaillé mené par son groupe avant chaque investissement potentiel lui a permis d’écarter plusieurs jeunes pousses aux prétentions douteuses au fil des ans, dit-il.

« La raison pour laquelle un fonds de capital de risque existe, c’est pour permettre à des investisseurs d’avoir des outils pour pouvoir analyser le risque, et la fraude, c’est un des risques », souligne-t-il.

Plusieurs « couches » de vérification

Le défi de s’informer sur une entreprise qui n’a pas encore de produits sur le marché est considérable, reconnaît Chris Arsenault. Le processus de vérification diligente doit se faire en plusieurs « couches ».

Pour chaque investissement potentiel, Inovia examine la gouvernance de l’entreprise, vérifie les antécédents de crédit et criminels de ses dirigeants, scrute les réseaux sociaux, demande des références. Le groupe analyse aussi la technologie proposée et ses perspectives de pénétration du marché par rapport au prix demandé.

Il faut toujours garder la tête froide et s’éloigner du « FOMO » (fear of missing out), soit la crainte de rater l’occasion d’un investissement juteux, dit Chris Arsenault.

« Les gens ont peur que s’ils n’investissent pas aujourd’hui, ça va devenir le prochain Facebook qui va valoir un trilliard. »

— Chris Arsenault, associé fondateur d'Inovia Capital

Inovia a étudié plus de 2000 dossiers d’investissements potentiels, l’an dernier, et n’en a retenu que huit, souligne son associé. Le fonds possède des parts dans 50 sociétés, évaluées à 1,9 milliard.

Pression psychologique

Aux États-Unis, le scandale Theranos a enflammé les débats sur la culture de la Silicon Valley, qui raffole des histoires de succès stratosphériques comme celle d’Elizabeth Holmes. La femme d’affaires déchue a appliqué l’adage du « fake it till you make it » (feindre jusqu’au succès) en mentant sur les capacités réelles de sa technologie pour attirer des investisseurs.

Sans aller jusqu’à cet extrême, la tentation d’exagérer le potentiel d’un produit en développement peut être bien réelle chez certains jeunes entrepreneurs de la sphère techno.

La pression qui repose sur leurs épaules est énorme, dit John Stokes, associé chez Real Ventures, un fonds de capital de risque montréalais. Les entrepreneurs sentent souvent qu’ils doivent vite livrer des résultats tangibles lorsqu’ils reçoivent d’importantes injections de capitaux.

« Notre rôle est de procurer le capital, mais aussi de créer un environnement dans lequel la pression qui vient avec ce capital ne devient pas écrasante », explique M. Stokes.

Selon lui, l’affaire Theranos devrait agir comme un « rappel » pour l’industrie du capital de risque. « L’élément clé est de s’assurer que les leaders ont toujours un endroit pour pouvoir discuter des défis qu’ils rencontrent, et qu’ils ne sentent pas qu’ils doivent prétendre avoir les réponses en tout temps. »

Real Ventures, qui détient un portefeuille de 60 investissements évalué à 700 millions, a créé il y a trois ans plusieurs programmes pour épauler psychologiquement les jeunes entrepreneurs. Le groupe leur offre entre autres des ateliers sur « l’authenticité et la transparence » ainsi que des services de mentorat.

Plus de rigueur

Pierre-Philippe Lortie, directeur, gouvernement et affaires publiques, au Conseil canadien des innovateurs, qui représente 25 entreprises technos au Québec, croit que l’affaire Theranos amènera probablement des investisseurs à faire preuve de plus de « rigueur » à l’avenir.

« La beauté de la chose, c’est que ça va amener les investisseurs à prendre le temps de regarder la technologie, et aussi de voir si cette technologie a été testée, quel est son historique, dit-il. Ça va les amener à mieux faire leurs devoirs à l’avenir. »

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