Michel T. Desroches

Palette d’émotions

Dans son atelier-logis de Saint-Jean-sur-Richelieu, le peintre-illustrateur Michel T. Desroches s’efforce sans relâche de faire vibrer ses toiles, cherchant à transmettre ces ondes de choc à son public. Ses vecteurs : visages, mains et corps, composés ou recomposés, au service de l’émotion et de l’expressivité. Longtemps intervenant en santé mentale, il a su puiser dans ce réservoir pour faire valoir son travail, de la Californie à l’Asie.

Quand l’artiste nous a conviés dans son atelier, chevalets, pinceaux, croquis et taches de peintures y avaient presque tout colonisé, du sol au plafond. Dans un angle mort : un lit. Car c’est également son lieu de vie, partagé avec sa conjointe, Louise. Habitent-ils dans l’atelier ou l’atelier réside-t-il chez eux ? Peut-être la combinaison des deux…

Sur les murs et les meubles, de drôles de colocataires ont aménagé leur nid : figures, personnages et représentations abstraites hyperexpressives, vitraux émotionnels explosifs et croqués avec intensité, capturés dans des toiles ou cristallisés sur papier. Avec, systématiquement, une ligne omniprésente, sinueuse comme la baguette d’un chef d’orchestre oscillant entre largo et presto.

« Souvent, des tableaux peuvent être très beaux, mais statiques. La ligne que j’utilise, qui est un peu ma signature, permet de donner une vibration aux personnages et expressions, de créer un dialogue avec la personne qui va les regarder », décortique l’artiste originaire d’un quartier industriel de Montréal – l’odeur d’essence, qui planait dans son quartier de jeunesse, l’emplit de nostalgie. Un côté corrosif assumé, et même recherché : « Je veux provoquer une réaction, quelque chose qui va interpeller chaque jour. Éviter que, placée dans un salon, on ne voie plus la peinture après deux mois. »

Un client lui avait un jour rapporté une toile, jugée « trop intense ». Une semaine plus tard, il s’était ravisé et l’avait récupérée ; elle avait déjà créé un vide dans son lieu de vie. « L’intensité que j’y mets s’y transfère, je ne fais pas quelque chose qui cherche à correspondre à la saveur du mois », brandit Desroches.

Bien qu’admirateur de Giacometti et de Klimt, entre autres, il modèle, pétrit et peaufine son propre style depuis plusieurs décennies, forgeant ses propres traits artistiques à partir de ceux d’autrui. « Le visage et le personnage, c’est sans fin : on a beau en produire toujours de nouveaux, ce ne sera jamais vraiment la même émotion. Avec le temps, on trouve des subtilités, on arrive à aller chercher, avec un trait de moins ou de plus, une émotion plus subtile », avance celui qui s’adonne également à la sculpture.

Après des centaines de toiles produites à travers plusieurs décennies, le peintre a décidé de se consacrer à temps plein à son art depuis 2017, après avoir signé un contrat avec une galerie de Los Angeles. Ses toiles ont également fait leurs valises ces dernières années, au gré des foires d’art (art fairs) et d’expositions, de la Chine à l’Espagne, en passant par la Floride ; avec pour point d’orgue l’exposition de 50 œuvres de son cru au Yellowstone Art Museum, au Montana, en 2019.

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Toiles et santé mentale

Michel T. Desroches a son atelier, mais aussi ses ateliers : dix ans durant, il a animé des séances d’art-thérapie auprès de L’étincelle de l’amitié, un OBNL soutenant des gens aux prises avec des problèmes de santé mentale. Il épaulait ainsi des groupes, dont une partie était issue de l’hôpital Lafontaine, pour transférer leur ressenti sur toiles et papiers. « Leur stigmatisation faisait en sorte qu’ils n’avaient aucune estime d’eux-mêmes, mais l’art-thérapie leur en donnait. On voyait clairement les résultats, c’était presque un médicament. Créer une œuvre d’art, c’est se dissocier de soi-même : mettre une partie d’eux sur la feuille les amenait à avoir une autre perspective sur eux-mêmes », se souvient l’artiste.

Une relation qui ne fut pas simplement à sens unique, puisque côtoyer les participants de ces ateliers a mis à sa disposition un véritable réservoir de matière première émotionnelle. « Comme on est un peu des éponges, ces gens-là me transmettaient une émotion que je pouvais capter », narre celui qui dit aimer le côté « edgy » et « la mince ligne entre folie et génie ». Lui-même a fini par faire céder la digue de sa propre psychologie : en 2015, après des années de noir et blanc, la couleur finit par irriguer ses œuvres. « Comme si, jusque-là, je n’osais dévoiler mes propres émotions dans mes œuvres », philosophe-t-il.

Art en feu

Être créateur n’exclut pas d’être également destructeur : lors de notre rencontre, Desroches s’apprêtait à incendier une partie de sa production de dessins, à la qualité jugée insuffisante à ses yeux – un rituel inédit pour lui. Disons que son côté prolifique et discipliné, couplé à sa « gymnastique quotidienne » (il exécute chaque matin plusieurs dessins, dont certains seront portés sur toile), l’a conduit à accumuler des boîtes entières d’œuvres. « À un moment, un tri s’impose, par souci de qualité et par respect pour mes clients et les collectionneurs. Je ne garde que les meilleurs », explique-t-il, avec en mains une boîte contenant une centaine de dessins qui finiront en cendres.

Quelques minutes plus tard, au cœur du splendide vignoble des Cigales, non loin de son atelier de Saint-Jean-sur-Richelieu, il joint le geste à la parole en jetant aux flammes, sans trembler, des centaines d’heures de travail. « Aucun regret ! Je me sens même plus léger, maintenant », lance-t-il tout en observant le papier se réduire en cendres. Le peintre se dit même prêt à réitérer le rituel avec des toiles. De quoi aviver la flamme de l’ambition : s’étant récemment libéré du contrat d’exclusivité signé avec le galeriste californien, il se sent plus que jamais déterminé à explorer de nouveaux territoires d’exposition, en Europe ou aux États-Unis.

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