Un troisième lien « carboneutre », une panacée ?

Cette semaine, le ministre des Transports, François Bonnardel, enjoignait la population de se rallier au troisième lien, un projet « vert ».

Afin de minimiser l’impact environnemental de celui-ci, le ministre indiquait dans sa lettre que « très rapidement après sa mise en service, il ne sera[it] plus possible d’acheter un véhicule à essence au Québec. Entre 2035 et 2045, le Québec devrait assister à la conversion de l’essentiel de son parc automobile en véhicules zéro émission. Or, le tunnel Québec-Lévis aura une durée de vie utile de 125 ans. La construction du tunnel sera elle-même carboneutre ». Plusieurs aspects de cette affirmation sont problématiques.

Tout d’abord, l’électrification du parc automobile ne peut pas servir de prétexte à l’élargissement du réseau autoroutier. En ce qui concerne le troisième lien, l’argument des voitures électriques n’écarte pas la question fondamentale de la pertinence d’une nouvelle infrastructure dans un axe où les besoins ne sont pas démontrés.

En justifiant le troisième lien par le fait qu’il sera utilisé par des voitures électriques d’ici 15 ans, le ministre évacue la totalité des externalités négatives du projet. Plus encore, il évacue une question de société fondamentale : est-ce vraiment dans une infrastructure autoroutière que nous souhaitons investir 10 milliards, et ce, alors que les besoins en mobilité sont criants dans toutes les régions du Québec (traversiers, liens interrégionaux collectifs manquants, etc.) et que nos infrastructures routières existantes sont menacées par les changements climatiques ?

Parlons également de l’impact environnemental des voitures électriques, qui n’est pas totalement inexistant. Si la voiture électrique est carboneutre dans son utilisation quotidienne au Québec, elle ne l’est pas dans sa construction.

En fait, dans l’analyse du cycle de vie, il faut tenir compte de l’impact de l’exploitation minière et de l’alimentation énergétique des usines de production. Toutes ces étapes ne sont pas carboneutres.

L’électrification des transports, nous ne le nions pas, est l’un des virages à faire au Québec pour parvenir à réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, dans une perspective de mobilité réellement durable, telle qu’elle est d’ailleurs définie dans la Politique de mobilité durable – 2030 du gouvernement lui-même, il serait largement préférable de miser d’abord sur la réduction du nombre de déplacements – électriques ou non –, puis sur le transfert des déplacements vers des modes durables, pour finalement électrifier les déplacements restants. Rappelons que la voiture la plus écologique est toujours celle… qu’on ne construit pas.

Pourtant, ce qu’on nous propose actuellement ne s’inscrit pas du tout dans cette ligne de mire. En augmentant la capacité routière, le troisième lien aura au contraire pour effet d’augmenter le nombre de véhicules en circulation sur notre territoire, la congestion et l’étalement urbain. Cette réalité est celle de la demande induite : la construction de nouvelles routes engendre systématiquement une circulation automobile supplémentaire équivalente à la nouvelle capacité. En offrant aux individus une plus grande facilité dans leurs déplacements en auto solo, on influence leur comportement : ils voyagent davantage, déménagent plus loin de leur lieu d’emploi et choisissent la voiture plutôt que le transport en commun. Éventuellement, les infrastructures routières sont à nouveau saturées, et c’est le retour à la case départ.

Ce phénomène explique pourquoi même les autoroutes les plus larges du monde ne sont pas parvenues à enrayer la congestion routière. Nous semblons aujourd’hui vouloir faire la même erreur… pour la modique somme de 10 milliards !

À ce prix, pourquoi ne pas nous montrer visionnaires et exemplaires dans le développement de notre territoire ? En ce sens, le débat sur le troisième lien cache surtout un questionnement collectif sur la place que nous souhaitons donner à la voiture dans nos milieux de vie au cours du prochain siècle. Il n’est pas ici question de mener une guerre à l’automobile – nous en sommes tous et toutes dépendants à un certain point en raison de la rareté de solutions de rechange assez efficaces. Il s’agit plutôt de cesser de planifier les transports comme on le faisait il y a 60 ans et de réorienter nos ressources en priorité vers l’aménagement du territoire et le développement des transports collectifs, actifs et partagés, en adéquation avec les défis de notre époque.

* Cosignataires : Alexandre Turgeon, directeur général du Conseil régional de l’environnement – région de la Capitale-Nationale ; Sarah V. Doyon, directrice générale de Trajectoire Québec ; Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales chez Équiterre ; Charles Bonhomme, spécialiste, communications et affaires publiques, à la Fondation David Suzuki

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