Opinion Félix-Antoine Joli-Cœur

À quand une coopérative d’aviation ?

Les coopératives du monde ont de commun la modestie de leurs origines.

Au fil du temps, elles sont apparues là où les forces du marché n’arrivaient pas à répondre aux besoins de segments spécifiques de clientèles, par exemple le besoin d’épargne et de crédit dans les campagnes du Québec (Desjardins), le besoin d’assurance des agriculteurs aux États-Unis (State Farm), ou encore le besoin d’une offre de commerce de détail de qualité et à bon prix dans les régions excentrées d’Angleterre (The Co-operative Group).

Aujourd’hui, ces entreprises, qui ont la particularité d’être détenues par leurs membres, ont un poids économique non négligeable. À elles seules, les 300 plus grandes coops du monde ont eu des revenus combinés de 2706 milliards de dollars (2016), soit un peu plus que le PIB du Canada et un peu moins que celui de la France.

Comme n’importe quelle entreprise, les coopératives naissent et meurent. Elles disparaissent, faute de s’être adaptées aux besoins changeants de leurs clientèles. Elles naissent pour répondre à de nouveaux besoins mal desservis par la main invisible du marché. MEC, un magasin de plein air, a été fondé en 1971 par un groupe d’alpinistes frustrés de ne pas trouver l’équipement adéquat pour ce sport, alors pratiquement inconnu. Come As You Are, une coopérative de jouets érotiques en ligne, a été fondée en 1997 par un groupe d’individus scandalisés que la vente de jouets érotiques soit desservie par une industrie pornographique machiste et vulgaire.

Il est impossible de prédire avec certitude quelle sera la prochaine grande coopérative à voir le jour au Québec. Mais il est possible de rêver…

S’il est un besoin qui est mal desservi sur notre territoire, c’est bien la mobilité de masse. Ces derniers mois, nous avons fait grand cas des besoins d’investissements dans les transports en commun urbains avec le REM, le tramway à Québec et les lignes bleue et rose. Il a été également question d’un train à haute fréquence entre Québec et Montréal. Cependant, un troisième mode de transport est tout aussi mal agencé et demande attention : l’avion.

Médiocre et cher

Les vols entre Montréal et Saguenay, par exemple, sont peu fréquents. Un billet aller-retour coûte souvent aussi cher, sinon plus cher, qu’un vol Montréal-Paris. Les appareils en service datent d’une autre époque. En partance de Montréal, non seulement faut-il se rendre dans la seule partie de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau qui n’a pas été rénovée, mais il faut de surcroît marcher sur le tarmac pour embarquer dans l’avion. Le service à bord est pratiquement inexistant. Et pour rajouter à l’injure, les points de fidélité sont une portion d’un vol vers l’Europe puisqu’ils sont calculés en fonction des kilomètres parcourus. En somme, un service médiocre, mais à grand prix.

Changer les choses est à la fois un impératif économique et social. Dans l’histoire, les agglomérations ont pratiquement toutes été construites sur le bord de cours d’eau navigables pour permettre le transport des biens et des individus. Aujourd’hui, un service aérien régulier, fiable et abordable joue un rôle tout aussi névralgique. C’est l’une des considérations majeures pour l’établissement d’entreprises sur un territoire éloigné des grands centres ou pour toute activité qui demande à faire venir des partenaires d’affaires, des consultants, des clients et, surtout, des employés, qui ne voudront s’établir en région qu’avec la garantie qu’ils n’y seront pas prisonniers.

Il s’agit également d’un impératif social parce qu’à l’ère du numérique, les contacts authentiques entre personnes en chair et en os n’ont jamais été aussi importants. Aussi, l’idée de développer le Québec passe obligatoirement par l’idée d’encourager et faciliter la mobilité entre les régions. Cela est d’autant plus vrai pour la métropole, car Montréal est situé à l’orée d’un territoire vaste et superbe, ce qui distingue la ville des autres villes du monde… dans la mesure cependant où l’on puisse s’y rendre.

Alors que plusieurs propositions ont été faites pour changer les choses, elles avaient généralement en commun la mise en place de mesures pour obliger ou encourager les compagnies aériennes, en particulier Air Canada, à améliorer leur desserte régionale. Force est cependant de constater que si les grandes compagnies aériennes ne s’intéressent que peu aux régions, c’est pour les mêmes raisons que les banques à charte ne s’intéressaient pas aux agriculteurs du Québec : peu de volume d’activité en comparaison des autres marchés, et donc peu d’empressement à bonifier l’offre.

Fonder une coopérative québécoise de l’aviation m’apparaît une solution toute désignée pour changer les choses.

Mettre sur pied une telle entreprise demanderait des membres, du capital et une équipe de gestionnaires dégourdis.

Les membres pourraient être les futurs clients, voire les compagnies déjà implantées sur le territoire. Pour ce qui est du capital, le projet est plutôt modeste. À titre de comparaison, l’entreprise canadienne Porter Airlines, qui exploite une flotte de 29 appareils, principalement des Dash-8 de Bombardier tout à fait adéquats pour le territoire du Québec, a eu besoin de 125 millions de dollars pour voir le jour. Cette somme pourrait être trouvée à même les fonds existants pour encourager l’émergence de nouvelles coopératives et pourrait également provenir du gouvernement du Québec, maintenant dirigé par un premier ministre qui s’y connaît passablement dans ce secteur. Pour ce qui est de l’équipe de gestionnaires, il est difficile d’imaginer qu’on ne puisse pas la recruter à même l’écosystème de l’industrie aérospatiale québécoise.

Cette coopérative n’est pour moi qu’un rêve. Mais sait-on jamais, parfois les rêves deviennent réalité.

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