À vendre : condo neuf à prix variable

Au beau milieu de l’été, en apprenant que le prix du 2 x 4 était revenu à la normale, j’ai cru que les acheteurs de maisons et de condos sur plan pouvaient enfin dormir tranquilles. Qu’ils ne risquaient plus de se faire demander une somme substantielle et imprévue au contrat avant la livraison.

Mais non ! La baisse du prix du bois d’œuvre de 70 % en trois mois⁠1 n’a pas sonné le glas des mauvaises surprises de ce genre.

Le Groupe Calex, qui est en train de construire le projet de condos Lumina, dans le quartier Rosemont–La Petite-Patrie, à Montréal, vient de prévenir les acheteurs qu’il majorait de 5 % le prix de vente de tous les appartements. Les livraisons débuteront en décembre.

Pour Marie Demers, qui a acheté en mai, cela représente 15 000 $. Une somme qu’elle n’a pas, et qu’elle ne peut ajouter à son hypothèque qui est déjà au maximum.

« Je suis complètement paniquée. Je n’arrive plus à dormir, m’a-t-elle dit il y a quelques jours. Mon revenu est ultra-faible, je n’ai aucune marge de manœuvre. Ç’a été compliqué. J’ai dû mettre la maison de ma mère en collatéral pour avoir l’hypothèque. Car même si j’ai une mise de fonds de 20 % qui vient de l’héritage de mon père, je n’ai rien. Je suis autrice et chargée de cours. »

La femme de 35 ans se sentait complètement laissée à elle-même. Elle a téléphoné partout où elle le pouvait pour obtenir des conseils. Personne ne l’a rassurée. Un avocat a gracieusement offert de rédiger une lettre à l’intention du Groupe Calex.

« Ce qui me semble très clair, c’est qu’en justice, je gagnerais. Mais il y a des préjudices entre-temps qui sont très graves. Non seulement pour ma santé mentale – je suis en train de péter un plomb –, mais aussi pour la personne à qui je suis censée céder mon bail en janvier. »

– Marie Demers, propriétaire d’un appartement dans le projet de condos Lumina

Par écrit, le président du Groupe Calex, Benoit Soucy, a justifié cette augmentation par la pénurie d’aluminium, d’acier et de bois qui a « littéralement fait exploser les prix du marché de 20 % à 50 % » et jusqu’à « 200 % dans le bois d’œuvre ». Il cite l’exemple du 2 x 4, dont le prix est passé de 3 $ l’unité, au début 2020, à 14 $ « en plein cœur des travaux du projet ».

Benoit Soucy m’assure que ce n’est pas de gaieté de cœur qu’il a ajusté ses prix et affirme que son entreprise absorbe « la majeure partie » des augmentations de coût, en plus de proposer des mesures d’accommodement. Certains clients auraient déjà accepté la hausse, d’autres poursuivent les discussions.

Le printemps dernier, j’ai écrit deux textes sur ce nouveau phénomène des hausses de prix imposées pendant la construction à cause des matériaux. Personne n’avait trouvé de solution miracle.

Lisez la chronique « Le chaos du prix des matériaux »

Lisez la chronique « Constructions neuves : que valent les contrats ? »

J’ai contacté l’Association de la construction du Québec (ACQ) pour savoir si cette pratique était encore justifiée. Si le prix du bois d’œuvre a fondu, « les autres matériaux demeurent problématiques », m’a répondu le porte-parole Guillaume Houle. L’acier est 20 % plus cher qu’il y a trois mois, par exemple.

***

Depuis le printemps, l’ACQ encourage ses membres à ajouter des clauses d’ajustement de prix dans leurs contrats afin de se protéger financièrement. Sans cela, il est illégal, en théorie, d’exiger un prix supérieur à celui convenu.

Mais les entrepreneurs demeurent peu nombreux à suivre le conseil. Pourquoi ? « On est dans une culture de prix fixes », explique M. Houle. Il prédit quand même que les prix fixes seront, à l’avenir, de moins en moins courants dans son industrie.

Je parierais que la réticence des constructeurs de condos et de maisons vient aussi du fait qu’un logis à prix variable est pas mal moins alléchant pour le consommateur. Tout le monde est favorable à la transparence, mais dans ce cas-ci, ça provoquerait surtout de l’insécurité.

Imaginez un couple qui demande à son institution financière une hypothèque pour une maison qui pourrait coûter 325 000 $… ou 400 000 $.

« On n’est pas certains du prix, Monsieur le banquier. L’entrepreneur va le fixer en cours de route, ou peut-être juste avant la livraison. »

Pas certaine que ça passerait facilement !

Mais selon l’ACQ, « il va falloir que les banques s’ajustent à ce type de marché ». Car les entrepreneurs ne peuvent ni « avoir recours à des pratiques douteuses de réclamer par la suite à leur client, ni travailler à perte », dit Guillaume Houle.

L’histoire de Marie Demers illustre aussi le risque de contracter une hypothèque au maximum de sa capacité de remboursement. Elle en est bien consciente. Mais après quelques mésaventures en appartement et un héritage, elle tenait à « se construire un futur », n’ayant pas de régime de retraite. « Tout le monde m’a dit que c’était un bon investissement. »

Coup de théâtre, le matin où le propriétaire du Groupe Calex devait m’appeler, il a plutôt transmis un courriel à Marie lui disant d’oublier la hausse de prix de 15 000 $.

« Ça montre qu’il faut se battre. Tout ce qu’on lit, c’est qu’on n’est pas protégés. Mais il faut que ceux qui ont le goût de baisser les bras sachent que ça vaut la peine », conclut la future propriétaire.

1. Contrats à terme du bois d’œuvre (Random Length Lumber) à la Bourse des matériaux du Chicago Mercantile Exchange. Écart entre le prix maximal le 10 mai (1711 $ US pour 1000 pieds mesure de planche) et le prix minimal le 20 août (448 $ US).

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.