Consultations du projet de loi sur la laïcité

Guy Rocher craint une « reconfessionnalisation » de l’école publique

Le sociologue émérite Guy Rocher, 95 ans, est inquiet pour l’avenir de l’école publique québécoise. Il prévient que de continuer à permettre le port de signes religieux aux enseignants mettrait le Québec sur la voie d’une « reconfessionnalisation » de l’école.

« Si on permet que des signes ostentatoires soient portés par des personnes, on pourrait aussi permettre que des crucifix s’installent », a dit hier celui qui est le seul commissaire toujours en vie de la commission Parent, qui a enquêté dans les années 60 sur l’état de l’éducation au Québec (ce qui a notamment mené à la création des cégeps pour remplacer les collèges religieux).

« Ce n’est pas une loi contre l’islam. Il se trouve qu’en ce moment, la religion qui est [plus] visible, c’est l’islam. Il y a 40 ans, c’était le catholicisme. Et le catholicisme était drôlement visible avec les soutanes, les cornettes, les crucifix et les processions dans les rues. Nous avons depuis évolué vers un système d’institutions publiques neutres. […] Si une religion se veut plus visible, les autres ne sont pas obligées d’accepter ça. La société n’est pas obligée d’accepter ça », a poursuivi le sociologue.

Pas de « clause Montréal »

Guy Rocher voit d’un bon œil que le gouvernement Legault prévoie une disposition de dérogation à la Charte canadienne des droits et libertés dans son projet de loi.

« On n’aurait pas fait la loi 101 si on avait peur que ça suscite une crise. […] Je crois qu’il est heureux qu’on utilise la clause dérogatoire », a dit M. Rocher hier.

« Cette loi, il faut lui donner la chance de faire la preuve qu’elle vaut la peine. Il faut au moins [lui] donner cinq ans de chance pour qu’elle soit appliquée. »

— Guy Rocher

Mais la mairesse de Montréal, Valérie Plante, s’oppose quant à elle à l’utilisation d’une telle disposition. « Si ce projet de loi est assez solide, il devrait passer les tests des tribunaux », a-t-elle dit hier.

Entre-temps, Mme Plante ne demande pas une « clause Montréal » pour exclure la métropole de la loi. Elle demeure toutefois opposée à l’interdiction de porter des signes religieux pour les employés de l’État en position d’autorité, alors que le conseil municipal de Montréal adoptait à l’unanimité en avril dernier une résolution condamnant le projet de loi 21.

De passage en commission parlementaire après la mairesse Plante, la Fédération québécoise des municipalités (FQM) – qui représente des municipalités locales et régionales de comté (MRC) au Québec – s’est, pour sa part, dite favorable au projet de loi 21 dans son ensemble.

l’argument scientifique

Le fait qu’un enseignant porte un signe religieux peut-il influencer un élève ? La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a rappelé, hier, qu’aucune étude scientifique ne démontrait cela à ce jour. De plus, on n’a jamais rapporté au syndicat le cas d’un enseignant qui aurait tenté de convertir ses élèves à sa religion.

Le président de la FAE, Sylvain Mallette, a affirmé que le gouvernement « s’acharne » sur les enseignants.

« Le simple fait de porter un signe religieux ne peut et ne doit pas être considéré comme menaçant […] pour la laïcité et pour la neutralité de l’État. »

— Sylvain Mallette

Le sociologue Guy Rocher a lui aussi rappelé qu’on ne sait pas si le port d’un signe religieux influence les enfants, mais c’est la raison pour laquelle « il faut pratiquer le principe de précaution » en l’interdisant, a-t-il dit.

Des écoles protégées ?

De leur côté, les écoles anglophones du Québec se sont dites, hier, protégées du projet de loi sur la laïcité en raison de décisions de la Cour suprême qui confirmeraient leur pouvoir exclusif en matière d’embauche du personnel enseignant et de directeurs.

Le directeur général de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec, Russell Copeman, a avancé que la disposition de dérogation prévue par le gouvernement pour protéger le projet de loi 21 de toute contestation judiciaire ne s’applique pas dans leur cas. Selon lui, l’article de la Charte canadienne des droits et libertés qui leur permet d’embaucher qui ils veulent n’est pas visé par la disposition de dérogation.

En soirée hier, le ministre Simon Jolin-Barrette a reconnu que cet argument pourrait être plaidé en cour, mais il s’est dit convaincu que le gouvernement plaiderait sa position avec succès.

Les policiers favorables au projet de loi

L’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (le syndicat des agents de la Sûreté du Québec) dira aujourd’hui qu’elle est favorable à l’interdiction du port de signes religieux pour ses membres. « Les policiers font suffisamment l’objet de critiques négatives lors de leurs interventions sans qu’il faille en rajouter par le port de signes religieux dans l’exercice de leurs fonctions. À cet égard, le projet de loi 21 nous semble une mesure législative souhaitable dans le cadre d’une société libre et démocratique désirant affirmer sa neutralité religieuse », a écrit le président de l’Association, Pierre Veilleux, dans son mémoire, que La Presse a obtenu. À l’heure actuelle, « il n’y a pas de policière ou policier à la Sûreté du Québec portant un ou des signes religieux apparents dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions », a toutefois précisé l’Association. — Hugo Pilon-Larose, La Presse

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