Roman-feuilleton

Sirop de poteau (chapitre 1)

L’écrivain de grand talent Francis Ouellette, auteur du roman primé Mélasse de fantaisie, a gracieusement offert d’écrire pour L’Itinéraire un roman-feuilleton, à raison d’un chapitre par mois. Suivez son personnage principal, Frigo, l’itinérant dans ce livre en devenir intitulé Sirop de poteau.

Ça a beau être le premier jour du reste de sa vie, pour le moment, Frigo est pas trop chaud à l’idée de la continuer. En fait, contrairement à son habitude, il est pas chaud pantoute. On pourrait même affirmer qu’il est gelé. Gelé ben raide. Gelé comme une balle dans le cul d’un ours polaire pogné tout seul sur une banquise fraîchement arrachée à son continent de glace. Et cette banquise, c’est un lit roulant bleu et blanc dans une chambre à Saint-Luc.

Faut dire qu’ils l’ont pas juste barouetté comme il faut, à’pital. Ils l’ont aussi pompé de toué bords toué côtés. Le gros mini-sip de soluté, une sonde dans le chalumeau, des pululles, des piqûres, toute le kit. Il est couché raide là comme un poteau, notre Frigo. Il peut même pas se rendre aux toilettes tout seul : faut qui fasse son affaire dans une panne-à-chier en métal si désagréablement luisante qu’il peut entrevoir le reflet de son visage tuméfié dedans. Il a mal. La douleur est une araignée qui a tendu sa toile entre des parties de son corps qui ne communiquent pas ensemble, d’ordinaire. C’est pas mêlant, il sent ses cheveux lui tirer de la souffrance jusque dedans les nerfs de ses dents.

Frigo songe. Si, dans le grand almanach de l’existence, il y trouvait une section sur les pétages de yeule en sang et les multiples manières de les recevoir, cré ben que dans sa vie, Frigo en aurait écrit une couple de pages yinque à lui. D’ailleurs, il réserverait volontiers une page entière à ce dernier et ultime varlopage. C’était pas des mornifles, qu’il avait mangé, le bonhomme. Oh non ! Ça s’apparentait plus à une véritable envolée de taloches sauvages. Une crète de canisses ben pleines de coups lui était tombée sua fieule. L’enfant de chienne responsable de son décrissage s’enorgueillissait de son aptitude aux morsures profondes. À juste titre, il se percevait comme un prodige dans l’art de maudire des drettes dans le cœur du monde. C’te fois-ci, c’est avec l’opinel rouillé de sa rage qu’il avait entaillé le robineux. Le vilebrequin de sa haine avait zigné à des places dont Frigo ne se doutait même plus qu’il était le propriétaire, en dedans. Marco le macro. C’était lui, l’écœurant derrière cette confirmation sanglante.

Marco, proxénète intermittent et analphabète de Chantal Choquette, n’attendait pas à rire. Accessoirement, on disait aussi de lui qu’il venait d’une certaine Cécile. Fouille-moi pourquoi c’est important dans l’histoire. Chantal Choquette, elle, au cas que tu le saurais pas déjà, est une légende dans le Faubourg à m’lasse. La Marie-Madeleine dans l’Est. C’est la fille de toutes les joies, ceuses-là qui viennent avec des prenages d’élans et des chants de gorge. Il faut aussi savoir que c’est le beau grand amour de sa vie, à Frigo. Elle le sera toujours.

Vous venez de lire un extrait du chapitre 1 de Sirop de poteau, publié dans l’édition du 1er mai de L’Itinéraire. Suivez le roman-feuilleton de Francis Ouellette dans tous les numéros du 1er du mois ! Disponible auprès de votre camelot préféré ou en ligne.

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